Terrain glissant

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Le maréchal des logis-chef Mathias Brochart n'avait pas prévu de tomber sur un cadavre ce matin-là. La patrouille était partie un peu plus tôt qu’à l’accoutumée, au vu des dégâts causés par les intempéries. Les deux gendarmes tombèrent sur le véhicule accidenté, non loin d’un chemin de terre, entre Fregeaigues et Migoulet.

Après la tempête qui venait de rincer le Limousin, pas étonnant qu'il y ait des victimes. Le téléphone de la gendarmerie de Nantiat sonnait sans relâche et, à en croire le récit des collègues, ils avaient été sur le pied de guerre toute la nuit. Ce coin comptait une multitude de lieux-dits en région boisée, les arbres étaient tombés par centaines. Des clôtures ravagées avaient permis aux animaux de s'échapper, sans compter les dégâts subis par les habitations. Le maréchal des logis-chef et son binôme allaient être bien occupés pour la journée.

Mathias s’arma d’une lampe de poche afin d’inspecter le véhicule embouti dans le large tronc d’arbre. Son binôme fit de même. Ils se faisaient rares les jeunes à rejoindre cette petite brigade de campagne. Un peu de sang neuf dans l'équipe les rajeunissait. Vincent Duplin était une bonne recrue, un petit gars enthousiaste, avec à cœur de faire son travail consciencieusement.

Le blondinet rapprocha son trait de lumière de l’habitacle.

— La voiture est complètement fichue.

Ils repérèrent une paire de lunettes brisées dans ce qui semblait être des restes de vomissements. Vincent fronça le nez avant de se pencher pour voir l’intérieur de la voiture.

— Il y a du sang sur le siège conducteur et sur la portière. L'airbag s'est gonflé. Je vois une sacoche avec des papiers.

Mathias passa des gants jetables pour récupérer avec précaution la carte d’identité tombée sur le siège passager.

— Jacques Reignac. Il a l’air d’avoir un certain âge.

Il inspecta le document quelques instants.

— Quatre-vingts ans en fait.

— Les clés sont restées sur le contact, ajouta Duplin.

— Ça ne me plait pas beaucoup…

— Vous pensez que la personne est dans les parages, chef ? S’il est blessé, à son âge, il n’a pas dû aller bien loin.

Le temps de septembre restait doux, une chance, cela éviterait de retrouver le vieux monsieur congelé dans un fossé.

— Je vais appeler le PSIG en renfort, toi tu préviens les pompiers.

Le jeune s’exécuta. En attendant l’arrivée du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, et des soldats du feu, les gendarmes passèrent les abords du véhicule au peigne fin. Quand tout ce petit monde fut réuni, une battue de plus grande envergure se mit en place.

Mathias s’enfonça dans les sous-bois.

— Chef ! cria Vincent au loin, quelques minutes plus tard.

Le gendarme écrasa ronces et orties pour le rejoindre et déboucha sur une allée gadouilleuse. Il manqua de s'étaler et constata, en arrivant à sa hauteur, que le pantalon du jeune était maculé de boue.

— Tu t'es vautré Vincent ?

— Ah ouais, chef, en beauté ! répondit l'intéressé en esquissant un sourire.

Il lui désigna ensuite une chaussure solitaire, bien enfoncée dans la terre mouillée. La piste se précisait.

— Il y a du sang aussi. J’ai repéré des gouttes çà et là, le reste a été balayé par la pluie et le vent.

— Ok, beau travail. On continue dans cette voie.

Ils dérapèrent sur une centaine de mètres avant de tomber sur la maison. Mathias fronça les sourcils en apercevant la porte grande ouverte.

— On va s’approcher avec prudence, voir s’il y a un signe d’effraction.

Voyant son supérieur prendre en main son arme, le jeune gendarme dégaina également son pistolet 9min. Deux collègues du PSIG vinrent les épauler. Ils firent quelques gestes silencieux pour leur indiquer qu’ils allaient contourner le bâtiment en premier. Les deux gendarmes restèrent en retrait et observèrent le devant de la maison. Il leur était bien difficile de différencier les dégâts de la tempête d’un éventuel cambriolage.

— Encore du sang, pointa Mathias à Vincent.

Un des hommes en noir revint leur faire signe que la voie était libre. Ils passèrent derrière la bâtisse. Mathias et Vincent s'intéréssèrent au grand abri de jardin semi ouvert. La structure massive en bois avait préservé le bâtiment de la tempête, seules quelques tuiles du toit manquaient à l'appel. À l'intérieur, tout un tas de matériel de jardinage pour officier dans le grand potager qui s'étalait plus loin. Vincent s'attarda sous l'abris et rappela vite son binôme. Le maréchal des logis-chef revint au trot et le découvrit accroupi derrière des sacs d'engrais. Il observait au sol un cercle bien net, tracé dans la terre. Le sillon semblait avoir été dessiné à l’aide d’un bâton. Au centre, des débris de végétaux brulés étaient encore visibles, protégé de la furie des éléments.

— Mais qu'est-ce que... ? s'étonna Mathias, s’accroupissant à son tour pour mieux observer la chose.

— Il y a beaucoup de matériels de jardinage. La personne a dû bruler des mauvaises herbes ou des feuilles.

Le gendarme resta sceptique. Ces choses là se faisaient généralement en plein air. L’affaire devenait de plus en plus mystérieuse.

— Pas de vitre brisée à l’arrière, pas de porte de sortie, précisa un des homme du PSIG.

Son collègue poursuivait ses observations plus loin.

— On va entrer dans la maison, décida Mathias. Entre le sang et la porte ouverte, ça sent pas bon.

Après un petit briefing avec Vincent, ils pénétrèrent dans l’habitation. Une odeur nauséabonde leur sauta au nez. Le jeune se pinça les narines avant de se reprendre. Les traces de boue et de sang les menèrent jusqu’à la chambre à coucher. Là, ils trouvèrent le corps du vieil homme recroquevillé sur son lit. Mathias sut tout de suite que l’homme était mort.

Son collègue, moins aguerri, tenta tout de même :

— Monsieur Reignac, vous m’entendez ?

Ses bras encadraient son visage, le masquant aux gendarmes. Mathias et Vincent firent prudemment le tour du lit. Des cachets, en nombre, reposaient sur le matelas, non loin de la victime. La découverte du masque mortuaire remua les entrailles du maréchal des logis-chef, bien qu'il n’en laissa rien paraître. Une expression figée d’horreur restait peinte sur les traits du vieillard. Il était mort en proie à une profonde panique.

Vincent souffla bruyamment. Mathias lui prit l’épaule en le voyant blanc comme un linge.

— Tout va bien ? Sors prendre l’air si tu veux.

— Ça va, chef, c’est juste que… c’est mon premier…

Le gendarme plus expérimenté compatit. Lui avait manqué de vomir la première fois qu’il avait vu un cadavre.

Un des hommes du PSIG intervint :

— Je vais prévenir les pompiers qu’on a un corps.

— Ok, merci, lui répondit Mathias. Je vais appeler la procureure. Vincent, sort avec moi, ça te fera du bien.

Ils retrouvèrent l’air doux du dehors. Le jeune reprit lentement des couleurs. Les forces en présence se rassemblèrent devant la maison tandis que Mathias décrivait la scène à Marlène Dorlo, la procureure, qu’il connaissait bien maintenant.

— Ok, on enclenche la procédure habituelle. Gel des lieux, TIC, médecin, autopsie, résuma-t-elle.

Mathias acquiesça et ne tarda pas à raccrocher. Il demanda à Vincent de placer de la Rubalise sur tout le périmètre et contacta ensuite les techniciens en identification criminelle.

Un pompier vint à sa rencontre :

— On contacte les pompes funèbres ?

— Dans un second temps, merci pour votre aide.

— Je vous en prie. C’est triste, mais au moins cet homme a choisi sa mort.

Effectivement, tout pointait vers le suicide. Pourtant, certains éléments chiffonnaient le gendarme. Que penser de la voiture abandonnée ? De l’angoisse sur le visage de la victime ? Mathias se fiait à son intuition et elle lui disait qu'il y avait quelque chose à creuser.

— On en saura plus après l’autopsie, préféra-t-il répondre.

— Ah oui ? s’étonna le sapeur. Ça me paraît assez limpide pourtant. La personne a eu peur de l'orage, elle a essayé de partir, a planté sa voiture et a cédé à un moment de panique. C'est jamais bon autant de solitude.

— Hum... c'est peut-être aussi simple que ça, réfléchit encore le gendarme. Cela étant, les conditions étaient réunies pour maquiller un meurtre, ou une effraction. Je ne connaissais pas ce monsieur, mais l'isolement faisait de lui une proie facile.

Le pompier adhéra aux observation de Mathias avant de prendre congé. Le maréchal des logis-chef caressa le dessous de son menton, où pointait une barbe brune, un tic quand il réfléchissait. La trentaine passée, sa carrière lui en avait fait voir des vertes et des pas mûres. Chaque patrouille apportait son lot de surprises.

— Vous pensez qu'il a voulu apaiser ses douleurs avec tous ces cachets ? demanda à son tour Vincent en revenant.

Mathias ne répondit pas, ses propres questions se bousculaient dans sa tête : pourquoi ce monsieur de quatre-vingts ans était-il sorti de chez lui en pleine nuit et par ce temps ? Et pourquoi être rentré ensuite pour se suicider ?

— On y verra plus clair avec les analyses des TIC, finit-il par affirmer.

Il repartit vers la maison, bien décidé à faire avancer l'enquête.

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