Rencontre d'un certain type

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Louis-Léopold Gonzague de la Meunière – et ne raccourcissez pas en Léo merci bien – était le genre de voisin passe-partout et ennuyant à qui rien n'arrive jamais. On ne l'avait jamais vu porter autre chose qu'un complet gris et une cravate, sa coiffure n'avait pas changée depuis 25 ans et, à Noël, il accrochait la même couronne de houx un peu poussiéreuse à sa porte. Pas question de lumières clignotantes ou de figurines en plastiques pour Louis-Léopold Gonzague de la Meunière – et ne raccourcissez pas en Léo je vous prie. Il repeignait la boîte aux lettres grise chaque printemps, taillait sa petite haie en buis deux fois durant l'été et huilait les charnières de la porte de son garage à l'automne. Chaque matin à 8h25, il faisait reculer sa voiture et, immanquablement, à 18h15, il replaçait son véhicule dans le stationnement, vérifiait le courrier, refermait la porte, baissait le store et tirait les rideaux. On ne le revoyait que le lendemain matin.

Madame Anastasie remarqua un beau jour, un vendredi il me semble, à 8h26 précisément, que la voiture de Louis-Léopold Gonzague de la Meunière était toujours garée dans son allée. À 8h27, elle s'interrogea. À 8h30, toujours pas d'homme en complet gris à l'horizon. À 8h31, elle songea à appeler la police, mais l'idée fut bien vite mise de côté. Qui la prendrait au sérieux?.

À 8h34, Madame Anastasie eut la surprise de sa longue vie de commère. Elle avait son long nez entre les rideaux depuis plusieurs minutes maintenant, persuadée qu'elle aurait le fin mot de l'histoire et qu'elle pourrait tout raconter lors de sa partie de bridge. Quand elle assista à l'apparition lumineuse de son voisin si terne, elle faillit avaler son dentier. Il faut dire que Louis-Léopold Gonzague de la Meunière sans pantalon ni camisole ni chaussons et par pitié donnez-lui de quoi se rhabiller était aussi peu ordinaire que possible.

Le nudiste ne cherchait même pas à s'ôter du chemin et il fallut que l'autobus scolaire klaxonne plusieurs fois pour qu'il fasse un mouvement. Les enfants avaient le nez écrasés dans les vitres et le chauffeur imaginait déjà les plaintes des parents pour avoir contaminé leur précieux rejeton avec des visions traumatisantes, aussi se dépêcha-t-il de descendre et de couvrir de son imperméable le pervers. Il le bouscula un peu, mais il fut vite évident que le type était en état de choc.

"Vous vous appelez comment, mon vieux?"

"LLouis… Léo… popol… ddde…"

"Écoutez, faut pas se balader comme ça. Je vais appeler la police."

"De… dde…la…meumeu…"

À 8h53, il y avait des policiers, des ambulanciers et les pompiers. Madame Anastasie clamait avoir vu un éclair foudroyer le pauvre homme, le chauffeur voulait simplement que le pervers soit mis hors de son chemin et les voisins commençaient à se rassembler pour discuter de ce cas spécial. Certains restaient sur leur perron, mais d'autres étaient bien décidés à échanger leurs impressions.

Les journalistes firent leur apparition à 9h21. Ils avaient terminé d'annoncer les accidents et les bouchons du matin sur les routes et tous les feux des véhicules d'urgence étaient aussi irrésistibles qu'un seau de boyaux pour attirer les requins. Ils s'empressèrent d'informer toutes les chaînes et les réseaux : un pervers foudroyé devant 60 enfants est miraculé. Pendant que certains commentaient l'injustice de la vie et les chances de survivre à toutes les catastrophes, les ambulanciers examinaient leur patient qui essayait de toutes ses forces de parler sans pouvoir émettre autre chose de plus cohérent que des jets de bave alternant avec des "popo" et des "meumeu". Quand on l'avait mis dans l'ambulance, les premiers soins l'avaient rendu hystérique et on avait dû l'attacher.

Un journaliste plus entreprenant, déjouant les autorités, parvint à mettre un micro sous le nez du pervers qui clama que tout était la faute des aliens, qu'il avait été enlevé et étudié et torturé et bon sang qu'on lui donne un pantalon!

"Est-ce la première fois qu'ils vous enlèvent, monsieur… monsieur?"

"Louis-Léopold Gonzague de la Meunière. Et… ne me regardez pas comme si j'étais fou! Il n'y pas plus normal que moi. Tout s'est passé en deux minutes, je vous jure!"

Normal? Certes. Mais il décrivit avec force détails son voyage horrible et les créatures qui existaient pour de bon hors de leur film de fiction. Les ambulanciers avaient soudainement hâte de le refiler à un psy et les journalistes étaient perplexes. Un pervers miraculé, passe encore, mais un fou, c'était plus délicat à gérer. La stratégie X-Files, c'est du réchauffé de nos jours.

Finalement, les policiers dégagèrent l'ambulance. Les pompiers suivirent, puis les scribouillards qui étaient arrivés en retard sur les lieux et qui voulaient absolument avoir une photo pour accompagner leur reportage. Les voisins s'égayèrent et Madame Anastasie eut le dernier mot quand elle affirma bien haut que Louis-Léopold Gonzague de la Meunière était un hypocrite et qu'elle l'avait toujours su, elle.

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