Chapitre 9 : Lady Clarfield

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Depuis déjà une heure, Morgane s’affairait à me préparer, sous le regard inquisiteur de ma sœur. J’avais mon premier cours d’étiquette et j’avais promis, à ma mère comme à ma sœur, de faire les efforts nécessaires.


— J’ai terminé, Votre Altesse.

— Merci, Morgane, tu peux nous laisser, ajouta ma sœur.


Après une révérence, ma servante sortie de la chambre. Célestina attrapa ma main et me tourna vers elle.


— Merci, Eva. Je sais que ce n’est pas simple pour toi et…

— Je tiens toujours mes promesses.

— Lady Clarfield est peut-être dure, mais c’est un bon professeur. Même si elle te parait hors d’atteinte, tu peux tout lui dire. Du moment que tu la respectes.


Lady Clarfield avait été le professeur d’étiquette de ma sœur, et la meilleure de la capitale. Une fois installer dans le salon, avachi sur le fauteuil, je rigolais avec Célestina en l’attendant.


— Redressez-vous Votre Altesse !


Célestina arrêta de rire et s’effaça dans un coin de la pièce. Lady Clarfield posa une pile de livres et de documents qui me firent sursauter et déglutir difficilement.


— Bien. Je suis Lady Clarfield, votre professeur d’étiquette. La Première Princesse a été ma meilleure élève. J’espère ne pas avoir trop de problèmes avec vous.

— Ça, j’en suis moins sûr, marmonnai-je.

— Première leçon Lady Eva. Si vous parlez, parlez haut et fort.


Durant toute la matinée, elle me fit répéter, sans cesse, la hiérarchie sociale, jusqu’à ce que je la connaisse par cœur. L’Empereur, l’Impératrice, la Première Princesse, la Seconde Princesse, les Duc et Duchesse, les Marquis et Marquise, les Comtes et Comtesses, les Vicomtes et Vicomtesses et enfin les Barons et Baronnes. Elle enchaîna sur le comportement à table. Elle nous libéra quand il fut l’heure de déjeuner. Au côté de toute la famille impériale, j’allais pouvoir mettre en pratique ce que j’avais appris. Pourtant, pas une seule fois l’Empereur ne me prêta attention. J’étais là sans être là et ça ne me déplaisez pas. Je savais qu’il ne m’aimait pas. Je préférais son ignorance à une quelconque haine. À quatorze heures, les dames de compagnie venaient d’arriver. Céléstina m’accompagna dans mon salon privé avant de rejoindre le sien. Quand j’entrais, mes deux nouvelles dames de compagnie se levèrent et me saluèrent.


— Votre Altesse.

— Aurélie, Mademoiselle de Troly.

— Je me présenter en bonne et due forme, Votre Altesse. Joséphine de Troly, fille du Marquis et de la Maquisse de Troly.

— C’est un plaisir de vous rencontrer, Lady Joséphine. Je vous demanderais bien de m’appeler Eva, mais j’ai appris que ça ne se faisait pas.

— Je n’arriverais jamais à te vouvoyer Ma… Eva, pardon.

— Tu allais m’appeler Margot ?

— J’avoue.

— Il est vrai que ce n’est pas conventionnel. Mais je peux faire un effort pour vous satisfaire. Est-ce que Lady Eva vous conviendrait ?

— C’est un bon début, merci. Essayez-vous, je vous en prie.


Dès qu’on fut installé sur les canapés du salon privé, Morganne, ma servante, nous apporta du thé et des biscuits. Comme je l’avais tant de fois fait aux côtés de Célestina.


— Merci d’être venu, commençais-je. L’impératrice m’a dit que vous aviez un rôle important, mais pour être honnête, je n’en sais pas plus.

— Pour vous répondre, une dame de compagnie se doit de divertir. Nous sommes là pour parler avec vous des derniers potins, écouter vos plaintes, vous inviter à diverses soirées, entre autres. D’ailleurs, je me dois de vous demander pour vos choix.

— Merci. Je vous ai choisis sur recommandation de ma sœur. Quant à Aurélie, La Victomtesse de Combromde, nous nous connaissons depuis enfants. Nous étions dans le même orphelinat. Aurélie est une présence rassurante, vous êtes là pour m’aider.

— C’est une bonne explication, sourit Lady Joséphine.


N’ayant rien d’autre à faire de la journée, je pus apprendre à connaitre Lady Josephine. Cette jeune femme rousse de vingt ans était déjà mariée, depuis trois ans à un Marquis. C’était son père qui lui avait trouvé ce mariage arrangé. Elle était donc bien contente de devenir ma Dame de compagnie, pour sortir de chez elle. Aurélie s’était mariée, depuis deux ans, par amour, avec le Victomte de Combronde, un ami d’arme de son frère, Damien. Quand ce fut à mon tour, je racontais tout. Pourquoi j’avais fui l’orphelinat sans me retourner, comme j’étais arrivée au palais, seule et épuisée, mais surtout Giselle. Cette mère de cœur qui m’avait soutenue, qui m’avait élevé malgré mon passif et mes origines. Dans l’après-midi, Giselle entra dans le salon, vérifia que Morgane avait correctement fait son travail avant de se tourner vers moi.


— L’Impératrice veut de voir, Eva, commença-t-elle.

— Qu’est-ce que j’ai fait encore ? enchaînais-je sur la défensive.

— Je ne sais pas, chérie. Mais je crois qu’elle veut juste te parler. Elle ne m’a rien dit.

— Nous allons nous retirer dans ce cas, ajouta Aurélie. Quand souhaites-tu qu’on revienne ?

— Je ne sais pas. Disons dans deux jours ? Les Dames de compagnie de Célestina viennent aussi un jour sur deux.

— Ça me convient, Lady Eva, continua Josephine.


Elles me saluèrent toutes les deux avant de rentrer chez elle. Je suivis ensuite Giselle dans le bureau de l’Impératrice. C’était un grand bureau. Les murs étaient recouverts de bibliothèques. La fenêtre se trouvait derrière le bureau, éclairant la pièce. Sur le côté droit, une cheminée chauffait la pièce. Un immense tapis ornait le sol, protégeant le parquet ciré.


— La Seconde Princesse, Votre Majesté.

— Merci Giselle. Assis-toi, Eva.


Suspicieuse, je regardais Giselle partir avant de m’asseoir en face de ma mère. Depuis que j’étais entrée, elle n’avait pas levé une seule fois les yeux de son document.


— Tu peux regarder ça et me dire ce que tu en penses ?


Sans lever la tête, elle me tendit une feuille. Il s’agissait d’une chambre. Ou plutôt du plan d’une chambre. Celle-ci était dans les tons clair, bien aéré et suffisamment éclairé. Elle était luxueuse, mais assez simple. Un bon compromis.


— J’aime bien, répondis-je après l’avoir examiné.


Ma mère posa enfin son stylo pour me regarder avec un sourire discret.


— Si cela te convient, ce sera ta future chambre. Prend conscience de la chance que tu as, Célestina n’a eu aucun mot à dire sur sa chambre.

— Bien sûr que ça me convient, souris-je.

— Parfait. L’aménagement va pouvoir commencer. Elle devrait être prête d’ici deux semaines. Comment c’est passé ton premier cours avec Lady Clarfield ?

— Elle est… assez stricte. Je fais le maximum possible, promis.

— Je ne disais pas ça pour te mettre en porte à faux. J’ai eu un très bon retour. Je me doute que ce n’est pas simple pour toi, que tu n’y adhères pas, mais j’apprécie que tu sois tout de même concentré. Que tu as envie de faire ça bien.

— C’est normal. Vous m’avez accepté, je ne dois pas vous faire honte.

— Eva, soupira-t-elle. Je t’ai déjà dit que tu n’avais pas à changer. Juste à t’adapter.


Pendant une dizaine de minutes, j’évoquais avec elle tout ce que j’avais, jusque-là, appris. Même si ce n’était pas grand-chose, j’en étais quand même fière.


— Tu as quelque chose de prévu avant le diner ?

— Non, pourquoi ?

— Célestina est venu me voir, à propos de son domaine.

— Elle a fini par m’écouter ?

— Elle m’a dit que c’était toi qui lui avais conseillé de passer par moi et non par l’Empereur. Maintenant, voyons voir si toi, tu peux m’aider. Approche, fais le tour du bureau.


Je pris la chaise avec moi et m’installais à côté de ma mère. Elle me donna une feuille que je devais étudier. C’était un calcul assez simple. Même un enfant de dix ans pouvait réussir.


— Il manque de l’argent, remarquais-je.

— C’est exact. Mais la question est où est cet argent. Je suis la seule à gérer l’argent impérial, je dispose de toutes les factures et rien. Je n’arrive pas à trouver.

— Des factures manquantes peut-être ?

— Non, j’ai fait le tour des tous les fournisseurs habituels et tout est correct. Je suis sur ce problème depuis une semaine.

— Est-ce que l’Empereur le sait ?

— Non et je ne lui dirais rien.

— Je ne veux pas porter un quelconque jugement, mais avez-vous envisagé la piste d’un détournement d’argent ou d’une corruption ?

— J’aimerais l’envisager en dernier recours.

— Qui d’autre a accès aux comptes ?

— L’empereur uniquement. Célestina possède son propre budget et ses propres livrets de compte pour son domaine.


Je ne voyais qu’une réponse, mais l’Impératrice ne semblait pas prête à l’accepter. L’empereur avait sorti de l’argent sans documents, sans l’en avoir informé. Depuis que je travaillais au palais impérial, je savais que l’Empereur n’était pas blanc comme neige. Je n’avais cessé de le constater en étant au côté de Célestina. C’était un homme violent, sans aucun respect pour la gent féminine. Depuis toujours, le pouvoir appartenait aux femmes. Et pourtant, il avait suffi d’un homme, le père de Célestina, pour renverser l’ordre des choses. C’était un homme odieux, mais un héros de guerre. Il avait réussi à amener les plus grands hommes sur le front, à se battre pour l’Empire. Il avait réussi à protéger l’Empire de plusieurs invasions ennemies. En public, face à l’aristocratie et au peuple, l’Empereur était un héros. En privée, caché entre les remparts du palais, c’était un monstre.


— Merci, Eva, je te libère.


Replongeant dans ses documents, elle en oublia ma présence. Discrètement, je remis la chaise en place et sortie du bureau, où m’attendait Morganne. N’ayant plus rien à faire jusqu’au diner, je rejoignis ma sœur dans la chambre. Elle aussi était fatiguée par sa journée. Dans ce palais, les femmes travaillaient trop. Ou du moins, elle travaillait bien trop pour la peur de reconnaissance que leur offrait l’Empereur. Ma sœur ne m’avait pas entendu entrer. Je l’observais alors assise sur son bureau. Les bras croisés, appuyé contre la porte, j’avais l’emplacement idéal. J’entendais le froissement du papier dans les mains de Célestina. Le glissement du stylo sur les feuilles, les grognements de ma sœur, me fit comprendre qu’elle aussi, avait du mal avec son travail. Une légère note de jasmin envahissait la pièce à chaque fois que Célestina faisait voler ses cheveux derrière ses épaules. Après plusieurs minutes à l’observer, souriante, elle finit par poser son stylo et se leva de son bureau. Quand elle s’aperçut de ma présence, elle se figea puis me sourit.


— Tu es là depuis longtemps ?

— Suffisamment longtemps pour remarquer que tu as changé de parfum.

— Oui, c’est Mademoiselle de Nivière qui me l’a offert cet après-midi. Tu aimes ?

— J’aime beaucoup oui. C’est fleuri et rafraichissant.

— Tu as reconnu le jasmin ?

— Évidemment.


La simple présence de ma sœur était rafraichissante. Elle était ma lumière dans ce monde obscur que je découvrais. La main autour de mon poignet prés à m’arrêter au moindre dérapage. La main qui me retendu, pendue au-dessus du vide pour que je ne tombe pas.

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