La musiques des fantômes

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 C'était un soir d'hiver, le vent et la neige tourbillonnaient autour de moi. J'avais les mains fourrées dans mes poches de manteau, les épaules relevées pour protéger mes oreilles. Je n'avais plus que le campus à traverser avant d'arriver chez moi et pressai le pas. En passant près du bâtiment de physique, fermé à cette heure, je remarquai une fenêtre encore allumée, au rez-de-chaussée.

 Je n'y ai pas accordé d'importance sur le moment.

 Mais en avançant encore un peu, quelque chose m'intrigua. Un air de musique. Un air léger, à peine audible, presque couvert par le vent froid, mais obstinément présent. Une musique joyeuse et fraîche, étonnamment printanière alors que la neige tombait. Elle venait de la fenêtre éclairée.

 La curiosité et l'étrangeté de l'instant me poussèrent à m'approcher. Par le carreau qui s'embuait à mon souffle, je vis l'intérieur. C'était une salle de classe. Je faisais face à un tableau noir recouvert d'équations abconses écrites à la craie, de ce genre d'équations qu'on voit dans les films quand un physicien génial fait des calculs. Mais surtout, il y avait un pupitre et quelqu'un derrière. Un jeune homme blond, qui paraissait très jeune, peut-être encore adolescent. Il regardait fixement le pupitre sur lequel était posée une partition et jouait de la flûte traversière devant la classe vide. La musique venait de là.

 Saisie par une émotion étrange et par le mystère de l'instant, je restai là, cachée derrière la fenêtre, à écouter et regarder ce garçon jouer de la flûte à une classe d'esprit, sans jeter un seul coup d'oeil à l'obscur langage mathématique derrière lui. La musique fantasque s'accordait si bien avec ce soir d'hiver... Comment était-il arrivé là ? Est-ce qu'un professeur lui avait proposé sa salle pour répéter tard le soir ? Etait-il entré seul après la fermeture, pour trouver un coin au chaud où  jouer ? Etait-il censé nettoyer le tableau et avait-il préféré en profiter pour sortir sa flûte ?

 La seule salle éclairée dans le bâtiment éteint... Ces équations sur le mur... Cette musique que nul autre que moi et lui n'entendait... Cette classe de fantômes attentifs que j'imaginais aux bureaux... Ce jeune homme concentré qui ignorait que j'étais là, à l'espionner... Tout cela combiné me donnait l'impression d'une illusion, d'un de ces rêves à la fois absurdes et logiques. J'imaginais volontiers ce garçon revenir chaque soir jouer sa musique aux fantômes d'élèves qui l'écoutaient, comme piégés par une malédiction de un vieux roman.

 Le froid vainquit ma patience avant que la musique ne s'éteigne. Je quittai la fenêtre allumée le plus discrètement possible pour reprendre mon pénible chemin dans la neige. J'avais l'impression que la musique m'avait réchauffée. En tout cas, elle ne me quitta pas durant le chemin.

 Je n'ai jamais parlé de ce moment. Comment l'expliquer ? Comment exprimer pourquoi ce moment paraissait si magique, si suspendu, si détaché du temps ? Comment expliquer qu'il m'est impossible depuis de me souvenir le moindrement du monde de cette musique ? Je n'ai jamais su non plus qui était ce jeune homme blond, ni quel morceau il jouait.

 Ce que je sais, c'est que je donnerai maintenant n'importe quoi pour l'entendre jouer à nouveau la musique des fantômes.

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