Le cheval de sang

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La lune était rouge, ce soir-là. Elle ressemblait à une grosse bulle sanglante luisant de l'intérieur, comme si une fée y était emprisonnée, figée dans un hurlement d'horreur.

Pour Esi, c'était l'heure du rituel d'Esbat, c'était l'heure du rituel de purification.
Esi était une sorcière. Une mage du sang, très exactement. Et ce soir, elle allait profiter de la lune rouge pour réaliser son rêve.

Car la lune était rouge, ce soir-là. Elle ressemblait à une grosse bulle sanglante luisant de l'intérieur, comme si une fée y était emprisonnée, figée dans un hurlement d'horreur.

Debout, nue, dans la salle de bains, elle tenait son poing fermé au dessus de l'eau chaude. Elle retourna sa main, ouvrit les doigts, et une pluie de gros sel tomba dans la baignoire fumante aux senteurs citronnées. Puis, sans hésiter, elle y entra et s'immergea tout entière dans l'onde. Seul son petit nez retroussé en sortait. Ses yeux fermés, son visage détendu traduisaient la plus parfaite extase.

Quinze minutes s'écoulèrent avant que ne s'écoule l'eau par la bonde et que, frissonnante mais purifiée, la belle sorcière en herbe s'enveloppe dans une serviette moelleuse et pourpre.

En fredonnant elle se vêtit, en fredonnant elle s'assit devant sa table, dans son salon solitaire d'un appartement situé au cinquième étage d'un immeuble citadin. Devant elle, une bougie couleur de sang séché ; un encensoir de bois brun foncé supportant un bâtonnet de myrrhe n'attendant qu'un mot de la sorcière pour s'enflammer ; du papier ordinaire et un crayon non moins ordinaire.

D'un claquement de doigts l'encens s'alluma. Les paupières closes, Esi, assise, inspira profondément, paisiblement. Tandis que son souffle s'approfondissait et se ralentissait, la bougie crachota, pétilla, s'alluma, jetant une flamme haute et claire d'un rouge aussi éclatant que celui de la pleine lune de sang.

Car la lune était rouge, ce soir-là. Elle ressemblait à une grosse bulle sanglante luisant de l'intérieur, comme si une fée y était emprisonnée, figée dans un hurlement d'horreur.

Esi ouvrit les yeux, et ses iris étaient vermeils. A ses oreilles chuchotaient les voix désincarnées de ses ancêtres les sorcières rouges tandis que ses prunelles surnaturelles restaient fixées sur la flamme écarlate de la bougie brunâtre. La cire de celle-ci se mit à fondre en rougeoyant : ce n'était plus du sang séché, c'était du sang vivant.

Elle se remit à fredonner, immobile, figée, dans la lueur rouge de la lune rouge et de la bougie rouge. Les mots lui venaient naturellement, sans hésitation :

"Ô Dame Lune,
Dame Lune rouge
Rouge reine de la nuit
De la nuit sanglante et rouge

J'offre mon sang pour libérer
De ses chaînes abhorrées
La monture de mes rêves

J'offre mon sang pour te libérer
De tes chaînes abhorrées
Par la monture de mes rêves.

Ô Dame Lune,
Dame Lune rouge
Rouge reine de la nuit
De la nuit sanglante et rouge"

Car la lune était rouge, ce soir-là. Elle ressemblait à une grosse bulle sanglante luisant de l'intérieur, comme si une fée y était emprisonnée, figée dans un hurlement d'horreur.

D'un geste fluide, Esi se saisit du crayon et le passa dans la flamme de la bougie. L'objet se métamorphosa en lame acérée qu'elle se passa sans hésiter sur le poignet, faisant choir trois gouttes vermeilles sur le papier. Trois gouttes extraordinaires, luisantes de magie, sur un feuillet ordinaire. Une, deux, trois. L'une après l'autre, elles tombèrent, comme au ralenti. L'une après l'autre, elle se déformèrent, se soudèrent, et bientôt, un minuscule cheval brun rouge galopait en deux dimensions.

La jeune sorcière leva la paume et se mit à agiter ses doigts fins au-dessus de la monture, telle une marionnettiste. Elle faisait mine de la pincer, de la tirer vers le haut en ouvrant la main. Le sanglant pur sang s'enfla, hennit et bondit hors du feuillet d'un saut souple et puissant.

Esi ne s'en étonna guère. Elle l'enfourcha à cru, et d'un mot magique, ouvrit les battants de la fenêtre. Son cheval lui avait été offert, elle devait remplir sa part du marché.

Car la lune était rouge, ce soir-là. Elle ressemblait à une grosse bulle sanglante luisant de l'intérieur, comme si une fée y était emprisonnée, figée dans un hurlement d'horreur.

La sphère gibbeuse et rougissante paraissait à portée de main. Le fringant coursier de sang, en quelques amples foulées, plus rapide qu'une fusée, l'atteignit en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire. De nouveau Esi prononça les paroles consacrées, solennelle et belle dans la lumière pourpre. Elle les répéta encore et encore, les yeux fixés sur l'astre souillé.
La première fois, une ombre parut s'y agiter, un frisson figé la parcourut.
La deuxième fois, elle s'assombrit et parut se fissurer : des ombres fines, des lignes fantômatiques commençaient à s'y diffuser lentement, tout à fait comme le sang d'Esi sur le papier peu de temps auparavant.
La troisième fois, un cri muet résonna dans les oreilles et la tête de la sorcière de sang, suscitant en son âme une satisfaction savoureuse.
La quatrième fois, elle enfla, comme poussée de l'intérieur, et un craquement sonore résonna. D'un ample geste, Esi fit venir de noirs nuages d'orage pour que les mortels ordinaires ne s'alarment pas de ce grondement menaçant.
La cinquième fois, elle se brisa la lune rouge, et d'elle s'échappa la fée figée qui y était emprisonnée.
Mais ce n'était pas une fée : ses ailes d'ombre rougeâtre et ses yeux sanglants débordaient de malice. En ricanant, elle s'envola. En s'envolant, elle prononça une phrase malveillante dans un langange maléfique. Figée sous son regard, Esi frémit. Elle s'attendait à des remerciements, pas à une malédiction. Alors que son rouge pur-sang se déformait, s'illuminait et l'emprisonnait en lui, elle comprit. Un hurlement d'horreur muet lui échappa, mais il était trop tard.

L'ancienne prisonnière de la lune d'Esbat volait vers sa liberté.

La lune était rouge, ce soir-là. Elle ressemblait à une grosse bulle sanglante luisant de l'intérieur. Esi y était emprisonnée, figée dans un hurlement d'horreur.

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