Le projet de Dario, c'était de faire de la musique virtuelle. Il voulait s'éclater avec des sons dans son casque pour s'extraire de sa routine à la con. C'était ça l'électro, non?

D'abord, il galéra. A un point qu'il n'aurait pas imaginé, et surtout, avec un acharnement qui ne l'avait plus animé depuis des années. Il avait commencé par essayer de taper des beats au clavier. C'était à chier et ça l'emmerdait : il était batteur, pas clavier bordel! Alors il imagina la composition de remix. Il eut l'idée de composer les duo rock qu'il aurait aimé voir dans la vraie vie.

La première étape fut de maitriser le logiciel. Dario connaissait un peu mais "un peu" et "vraiment" c'était différent. Finalement il réussit à assembler de manière satisfaisante jusqu'à quatre ou cinq artistes au sein d'un même titre. Les sons semblaient tout neufs. Combiner des morceaux, ça il savait bien faire! Il connaissait exactement les rythmes pour relier Queen et Deep Purple. Ça le faisait marrer d'organiser des duos Motörhead-Bowie, on aurait pas imaginé, mais ça fonctionnait!

Dario avait aussi créé un mixcloud où il partageait ses compilations. Le succès était modeste, principalement composé de potes, aussi désillusionnés et éloignés de leur passion que lui. Et ça lui allait très bien. Comme pseudo, il avait choisit "Scanland". Déjà, parce que tout le monde en avait alors il ne voyait pas pourquoi il n'en prendrait pas un. Ensuite, parce qu'il avait toujours eu une affection particulière pour "l'homme le plus malchanceux du monde" alias Pete Best.

Au bout de quelques semaines, Marianne commenca à s’intéresser à ce qu'il faisait. Les soirs après manger, une fois la marmaille pieutée, elle le rejoignait dans le bureau pour voir à quoi il passait ses nuits. Il lui fit écouter quelques sons et elle trouva ça bien. Elle trouva ça tellement bien qu'elle lui acheta une boite à rythme. Comme à chaque fois qu'on lui proposait un nouvel instrument, Dario éclata de joie. Il se rendit alors compte que ça faisait très longtemps qu'il n'avait pas embrassé Marianne. Ils passèrent une chouette soirée, dans les bras l'un de l'autre, comme avant. Mais l'image de la boite à rythme occupait son esprit: il était consumé du désir de la toucher.

Avec sa nouvelle acolyte, Dario, ou plutot Scanland, accéda à un autre niveau de création. Plus besoin de s'échiner pour trouver le bout de percussion qui allait parfaitement coller avec la reprise qu'il avait en tête, il tapait sur la machine et il l'avait. Grâce à la boite, il retrouva un peu la sensation de cogner du rythme, de battre le son. Toujours soutenu par les dieux du rock, il prenait de plus en plus de liberté sur les chansons originales. Sa communauté mixcloud commençait à grandir: des quelques centaines de potes, il arriva à plus de mille abonnés. Les gens réclammaient des mix en live!

Scanland commençait à avoir une certaine renommée. Et chose qui l'étonna le plus, il touchait en grande majorité des jeunes. Ça ne l'avait pas perturbé tout de suite, parce que sur le site il voyait le nombre de followers grimper mais ces derniers n'avaient pas vraiment d'individualité. Scanland avait envie de mieux connaitre son public. Il voulait leur parler, échanger, partager. Ça aussi ça lui manquait par rapport aux festoches. Alors en repensant au live de Solveig, il s'était lui aussi créé un compte instagram. C'est là, il réalisa l'ampleur du phénomène. Les commentaires sous chacune de ses publications, les statistiques de son compte, les captures de soirées ou des (très) jeunes dansaient sur ses propres remix.

C'est aussi à ce moment qu'il commença à discuter virtuellement avec des fans.

A la maison, il se sentait de moins en moins Dario et de plus en plus Scanland. La vie faisait semblant de revenir à la normale: les petits étaient retournés à l'école et Marianne allait au bureau quelques jours par semaine. Mais il s'en foutait, parce que maintenant il était Scanland, né sur internet. Et là-bas, la vie était toujours la même.

Ses pensées étaient orientées vers une seule idée : comment passer le plus de temps possible dans le monde de Scanland? Il n'avait plus trop envie de parler à Marianne ni de jouer avec ses petits, Scanland était devenu plus important. Comme une bourrasque qui aurait soudainement découverts les rideaux de son existence étriquée, Scanland lui avait permis de retrouver une place, de trouver un monde à lui et il ne s'était jamais senti senti si bien.

Une autre pensée occupait l'esprit de Dario, elle s'appelait Emma.