Je suis un voleur

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Je suis un voleur. C’est ma profession. Certains sont boulangers, d’autres médecins… Et bien moi, je suis voleur. Je me faufile dans les maisons la nuit venue pour dérober des bijoux, des tableaux. Dans mon domaine, je suis le meilleur. Sans prétention aucune, bien sûr. Je suis tellement une valeur sûre que certaines personnes sont prêtes à tout pour que je travaille pour eux. Je ne vais pas vous mentir : l’allée de ma maison est pavée d’or. En fait, non. Mais vous avez compris la métaphore. Alors vous devez certainement vous demander ce que je fais là, adossé contre un lampadaire, en pleine nuit ? La capuche rabattue sur mon visage à peine discernable dans l’obscurité, j’attends. Il pleut des cordes mais je n’en ai que faire. J’attends. La rue est vide de monde, et il fait froid. Parfois, une voiture passe, dans un vrombissement si abasourdissant que je ne l’entends même pas.

Nous sommes le soir de noël. Et je n’ai avec moi qu'un petit bout de papier chiffonné. Dont j’ai du mal à saisir le sens. C’est peut-être parce qu’il n’en a aucun. Du moins, j’essaye de m’en persuader. De l’autre côté de la route il y a une maison. Elle est décorée de guirlandes scintillantes, et j’aperçois même l’arbre de noël par la fenêtre, qui donne sur le salon. Une table est dressée dans la pièce, autour de laquelle des convives partagent un repas chaud. Ils semblent heureux. Moi, je ne sais pas si je le suis. Mais l’ais-je été un jour ? Oh que oui. Avec ma femme. C’est elle qui m’a envoyé cette lettre, je présume. Du moins, si ce n’est pas elle, je ne sais pas de qui il peut s’agir.

Elle aussi je la vois. Rebecca. Toujours aussi belle, aussi douce, aussi rayonnante. Elle me sourit avec peine et retourne s’occuper de ses invités. Si ça se trouve, elle ne m’a même pas vu. Elle n’a cru reconnaître qu’un pauvre sans abri, seul en ce jour de fête, dans le froid et le noir.

Et puis il est sorti. Avec son assiette de gâteaux et son verre de lait, qu’il a déposé sur le seuil de la maison. Mon fils. Je ne lui ai pas parlé depuis de longues années et je doute qu’il sache réellement qui je suis. Le temps perdu est-il rattrapable ? Je ne sais pas. Je n’ai jamais essayé de le voler. Peut-être que ça ne se vole pas, le temps. En tout cas, il s’envole. Toujours plus vite, toujours plus haut, jusqu’à ce qu’on ne puisse  plus à le rattraper.  Mais plus je regarde ce petit garçon qui a grandi sans père, plus je me sens mal. Mal, comme jamais. On dirait… De la culpabilité. Je n’ai jamais ressenti cela. Vous pensez que c’est normal ?

Alors je me suis mis en marche. Je serre dans mon poing ce bout de papier chiffonné et je m’arrête sur le seuil. Après de longues minutes, j’actionne la sonnette, qui carillonne dans la maisonnée. Rebecca vient m’ouvrir. Je n’arrive pas à discerner si elle est triste, heureuse ou simplement surprise.

—  Salut, je dis. J’ai été engagé pour voler le cœur de ce petit garçon. J’espère que tu n’y es pas trop attaché car bientôt, il sera à moi. Car je suis un voleur.

Oui, et le meilleur dans mon domaine. Peut-être ce vol mettra t-il un peu plus de temps que les autres, mais le résultat sera le même. Armé d’une flopée de ballon, je m’envolerai dans les cieux et je partirai à la recherche de se temps qui s’enfuit toujours un peu plus.

Oui, il est temps de rattraper le temps. Car voler un cœur, nécessite d’être un spécialiste. Ne riez pas, il se trouve que j’en connais un ! 

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