Épisode 20 - Du mauvais pied.

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 Malgré ma nouvelle étiquette d’homme de la situation, je n’ai pas oublié pour autant ma vie professionnelle. Après quelques jours passés à attendre un appel qui n’est jamais venu, je me suis remis au travail comme jamais. Il n’est pas bon d’espérer, surtout quand, finalement, c’est plutôt bon signe. Après tout, j’avais promis de ne vouloir que le bonheur d’Émilie, pas le mien, et si elle ne m’appelle pas, c’est sans doute que tout va bien. Installé derrière le volant de la voiture de service, cela fait trois fois que je parcours la ville en long, en large et en travers. Et plus ça va, plus j’accélère, en pensant bêtement que le temps passera plus vite. Si par bonheur un criminel endurci venait à se glisser dans le paysage, mon collègue le remercierait alors sans réserve. Car grâce à lui, il pourrait enfin lâcher la poignée qu’il agrippe nerveusement à chaque virage que j’emprunte. Au fond, nous avons donc le même but mais pas les mêmes raisons. Mon acolyte du soir n’est pas ce qu’on peut appeler un professionnel, et il n’est même pas amateur du travail bien fait. S’il veut attraper un délinquant, c’est seulement pour éviter la conduite excessive. Je pense que s’il pouvait passer toutes ses nuits sans heurt et sans voir aucun homme, il signerait des deux mains. Pour ce qui est de voir des femmes, c’est autre chose mais j’y reviendrai certainement plus tard.

 À l’entrée d’une légère courbe sur la droite, je termine de lire un message sur mon téléphone. À la sortie, je suis en train de chercher ma poche de veste afin de ranger ce dernier. Soudain, un cri plaintif succédant à un léger bruit de choc vient m’interrompre et je lève les yeux sur la route. À côté de moi mon collègue est déjà en train de suer à grosses gouttes et se retourne pour chercher un corps. Je freine et me stationne sur le côté. Je descends de voiture pour vérifier qu’il n’y a rien d’anormal, ou, à défaut, trouver l’origine des émois. En jetant un œil sur l’ensemble de la carrosserie, je ne vois rien qui puisse justifier un tel cri. Les innombrables enfoncements et rayures ne sont pas de mon fait et datent de bien fort longtemps. Je scrute la chaussée jusqu’au virage que nous venons de passer. Toujours aucune activité, ou inactivité, suspecte. À pas lents, je tente de maintenir mon collègue en vie en lui demandant de se calmer. Il est proche de l’arrêt cardiaque et court dans tous les sens, comme si pour la première fois de sa vie il espérait trouver quelque chose. Au sortir d’une haie, je l’entends aboyer des propos incompréhensibles. Je m’attends à le voir apparaître avec un os dans la bouche mais il n’en est rien. À trop chercher, nos craintes ont plus de chance de devenir réalité et il vient justement de trouver les problèmes.

 Sur le bord du trottoir, un jeune gamin de cité, seul, se tortille au sol comme un poisson hors de l’eau. Il semble souffrir du pied et pense déjà à sa mort. Croyant d’abord à une farce, je demande au jeune garçon de se relever avant que je ne sorte un carton jaune pour simulation. Quand celui-ci prend conscience que je suis là et qu’il commence à me dévisager férocement, je finis par croire à son cinéma. Par précaution, j’ordonne donc l’assistance des sapeurs pompiers. Ne voulant toujours pas m’avouer vaincu, je pose la question de savoir ce qu’il s’est passé et s’il a vu quelque chose en particulier. Là encore, je ne reçois pour réponse qu’un regard des plus haineux. Je pense que le doute n’est plus permis, il n’aime pas la Police. N’obtenant aucune réponse audible, je décide de fouiller les poches de la sympathique victime. Par un heureux hasard, je tombe d’abord sur un paquet de feuilles à rouler. Dans la poche intérieure de la veste, je trouve ensuite un sachet de produits stupéfiants. J’en oublie par la même occasion de chercher plus loin une pièce d’identité. De toute façon, je l’ai déjà vu plusieurs fois. Je lui demande ce qu’il fait avec de la drogue dans ses poches. Il ouvre enfin la bouche pour m’insulter. Je ne comprends pas cet acharnement à mon égard. Je ne fais que mon travail et ce jeune énergumène ne l’accepte pas. Autour de nous, mon collègue fait la circulation alors que nous nous trouvons en dehors de la route. Il prend aussi des mesures en faisant des allers/retours le long du passage piéton. Je n’ose pas lui demander ce qu’il compte en faire mais, vu que cela semble l’amuser, je décide de le laisser tranquille pendant que je gère une situation délicate.

 L’adolescent s’est calmé et soumet l’idée de m’intenter un procès pour tentative de meurtre par voiture assassine. Je ne sais pas trop où il veut en venir mais je suppose qu’il fait allusion à son pied. Je finis par me demander si le cri et le léger sursaut du véhicule tout à l’heure peuvent avoir un rapport avec cet individu. J’avoue que je me pose la question depuis le début, mais j’essayais de sauver la face. Au final, comme je suis quelqu’un d’honnête, je l’encourage dans sa démarche. En parallèle, comme je suis aussi quelqu’un de professionnel, je lui transmets mon envie d’engager une procédure à son encontre pour détention de produits stupéfiants. Il semble qu’il ne soit pas aussi honnête et courageux que moi. Il perd à nouveau son calme et me traite de tous les noms. Alors que mon collègue s’approche pour voir si j’ai besoin de lui, je fais signe de la main pour qu’il continue ce qu’il a à faire. J’en profite justement pour vérifier en quoi cela consiste maintenant. Il reprend sa conversation avec une automobiliste perdue. Son sourire qui traverse tout son visage et ses yeux de biche ne laissent aucun doute. Il a le coup de foudre pour la quatrième fois cette nuit, en autant de contacts avec une personne de sexe féminin. Quand celle-ci part enfin en trombe, mon partenaire du soir me fait comprendre qu’elle est pressée. J’en conclus qu’elle a eu peur comme les trois précédentes et je retourne à ma victime. Je ne sais pas où cela va nous mener mais le mineur n’a pas abandonné l’ambition de me poursuivre, comme je n’ai pas oublié son addiction pour les substances interdites. Alors que les pompiers se présentent enfin, je me penche sur l’animal blessé, l’air grave. Je lui glisse à l’oreille quelques mots de réconfort et lui présente mes excuses comme tout homme digne est en devoir de le faire. Je n’ai qu’un grognement en guise de réponse, mais je suppose que c’est sa façon de dire merci.

 Je cède l’espace aux sapeurs pompiers afin qu’ils soignent l’adolescent et leur suggère de contacter les parents. Puis je cherche derrière moi mon homme de main. Il n’a pas changé de place et se contente d’arrêter les véhicules à femme seule. Il prétextera qu’il agit dans un souci de sécurité. Je crois qu’il aime beaucoup embellir les choses, à défaut d’embellir sa propre personne. Je fais ouvrir la vitre côté passager du dernier véhicule qu’il retarde et prends contact avec la demoiselle qui y siège. A priori soulagée de me voir, elle me demande si elle peut s’en aller. Je lui donne pour instructions de repartir sitôt qu’elle aura donné son numéro de téléphone à mon collègue. Entendant cela, celui-ci fait trois pas en arrière et part se cacher. Les coups de foudre d’un soir sont donc sa seule ambition, à moins qu’il manque singulièrement d’audace. Je regarde à nouveau la conductrice et, avec un sourire, lui donne l’autorisation de fuir. Visiblement amusée et plus du tout craintive, elle se penche vers moi, tend une carte professionnelle et m’invite à l’appeler à l’occasion. Puis elle démarre sans demander son reste. Peu fair-play, mon compagnon de route est remonté en voiture et attend que je mette un terme à cette perte de temps.

 Je retourne auprès des pompiers m’enquérir de l’état de santé du boutonneux. Quand je suis à portée de voix, celui-ci vient de débuter une explication sur ce qu’il s’est passé. Il me regarde fixement avec un regard toujours aussi vindicatif: « J’allais traverser et une voiture sombre, type sportive est passée assez vite et m’a roulé sur le pied. Je n’ai rien vu d’autre, mais j’ai mal putain, faites quelque chose ! » Les soldats du feu transportent l’adolescent à l’hôpital et je prends la direction de mon commissariat. L’affaire ne sera pas résolue, une fois de plus. Dommage que le témoin soit si peu crédible et que les caméras soient inexistantes à cet endroit de la ville. Au passage d’un carrefour, je passe le bras par la vitre de notre automobile et jette un sachet de haschisch dans la bouche d’égout. Je suis un basketteur de grand talent et je « shoote » une affaire fumante avec brio et somme toute d’un commun accord. C’est bien la première fois que je m’entends avec un jeune de quartier et j’apprécie ce pas en avant social doublé d’une confiance réciproque. Mon collègue lui, n’a rien compris et veut que je lui donne le numéro de téléphone qui lui était sans nul doute destiné. Rien ne pouvant m’assurer que c’est le cas, et même si j’ai une confiance aveugle en son jugement, je préfère garder la carte dans ma poche et l’utiliser moi-même, ou ne pas l’utiliser du tout. Passablement jaloux, il marmonne en tournant la tête à droite. Ses doigts agrippent à nouveau la poignée de maintien. Il oublie rapidement cet épisode sentimental pour reprendre sa critique habituelle concernant ma conduite. Et la vie continue.

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