À l'attention des employés de l'hôpital :
Chers collaborateurs, comme vous le savez ce pensionnaire est pour nous un mystère. Depuis que nous avons ramassé ce mendiant aveugle, il ne cesse de délirer au sujet de sa soi disant vie d'officier noble chamboulée par ce qu'il décrit comme une intervention démoniaque. Nous avons cru qu'il serait bon pour ne pas aggraver son cas de se conformer à ses délires et de ne pas le frustrer brutalement. Mais cette manœuvre a ses défauts. Puisque nous lui avons assuré que c'était le roi lui même le commanditaire de son internement, il réclame constamment le droit d'écrire à sa gracieuse majesté. Nous avons donc pris la décision qu'un de nos collaborateur sachant écrire serait mobilisé pour écrire les lettres dictées par l'aveugle. C'est une thérapie douce qui a déjà fait ses preuves. Le malheureux évacue sa frustration en espérant communiquer ses pensées au grand jour. Si cela peut apaiser ce pauvre hommes, nous écrirons toutes les lettres qu'il veut, et nous les conserverons. En effet, ces lettres constituent en théorie d'excellents indices pour mieux identifier sa névrose.
Jusqu'ici nous avons pu déterminer que cet homme est sûrement un noble ou un bourgeois déchu qui s'est imaginé une histoire délirante pour justifier sa ruine. Il compense sa frustration par des récits rocambolesques. Ne vous laissez pas berner par la précision des détails de son histoire, les névrosés sont capables de telles choses.
Toutefois nous notons certaines zones d'ombre qui à ce jour ne sont pas encore très claires.
Je pense principalement à ses blessures; ses yeux arrachés. Nous ne savons pas comment une telle chose a pu arriver, et nous ne pensons pas ses crises suffisamment violentes pour qu'il s'automutile de la sorte.
La thérapie a déjà fait ses preuves, et nous continuerons ainsi jusqu'à ce que cet homme soit soigné, ou jusqu'à ce qu'il meure. Ne perdez pas espoir. Toutes les maladies se soignent, et la direction de l'hôpital est enthousiaste sur le cas de ce patient.