Chapitre 16 - La réunion

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Dans le monde du quartier des magentas, tout était vivant. Les quartiers marchands et civils étaient sans cesse animés, de jour comme de nuit. Pour simuler la journée et le soir, les lampions des couloirs et de l’immense base changeaient de couleur. Elles prenaient des teintes douces pour permettre aux fidèles de s’endormir plus facilement. Comme il n’y avait pas de soleil ou de lune, il fallait remplacer les deux astres par des copies petites et raffinées à l’environnement.

Un jeune garçon aux yeux couleurs framboise marchait en chantonnant dans les galeries d’un quartier de la grande cité souterraine. Beaucoup de fidèle le saluait à son passage, malgré qu’il ne porte pas la tenue des favoris. Car oui, même s’il était encore très jeune, un des gouverneurs avait daigné qu’il ait de bonne capacité physique. Il avait donc choisi qu’il devienne son favoris pour l’éternité (ce jusqu’à sa mort, dans tous les cas). Le garçon n’en était pas peu fier de cette catégorie très prisé des jeunes fidèles. Parfois même on le regardait mal, jaloux de son statut proche des gouverneurs et de la Sainte Mère.

Il avait pour objectif aujourd’hui d’apporter à la salle d’entrainement du quartier des faucons tout le matériel nécessaire au combat. Comme de jeunes enfants avaient atteint l’âge d’apprendre l’art de l’épée, il fallait le strict minimum pour parfaire leur premier jour. Le jeune garçon pensait même avoir le temps de les observer combattre. Cela lui faisait toujours autant sourire de voir des enfants s’entrainer et s’amuser à la fois. Cela lui rappelait le bon vieux temps où il était encore un gosse innocent et sans avenir hors du commun.

Le voilà là, désormais…

- Bonjour monsieur Red, salua un fidèle lambda entre deux croisements.

- Bonjour à vous, répondit le jeune garçon d’un sourire franc.

Il continua sa route, quand il aperçut un peu plus loin une fille courir à une vitesse folle. Elle haletait tellement elle courait. Ses yeux s’agrandirent quand elle remarqua Red.

- Red !

Elle lui passa devant, et se retourna déconcertée.

- Oh, Beauté, pourquoi tu cours comme ça ? Lui demanda-t-il, étonné par son attitude étrangère.

- Il y a urgence. Les gouverneurs demandent réunion, maintenant !

- Quoi ?!

Il n’avait pas été prévenu. C’était une réunion de dernière minute. Red ne savait pas quoi faire, alors, il donna les affaires d’entrainement à un fidèle qui passait par là.

- Amenez ça à la salle du quartier des faucons, je suis pressé. Merci !

Sans demander son reste, Red suivit sa camarade Beauté dans les allées du quartier général. Si on ne connaissait pas le chemin, on se perdait facilement. Et comme les deux jeunes n’avaient toujours pas vu tous les raccourcis de la base, ils prirent pratiquement le chemin le plus long. Ils traversèrent un pont suspendu au-dessus d’un fleuve magmatique, passèrent par mille intersections, hésitèrent entre gauche et droite, et grimpèrent des centaines de marches. Après trois minutes à courir comme des lapins, Red et Beauté arrivèrent à la salle de réunion. Beauté ne frappa même pas à la porte et l’enfonça comme une furie. Elle s’excusa, la respiration saccadée :

- Excusez-nous du… retard. Nous sommes désolés.

Un peu surpris, les deux jeunes remarquèrent qu’ils n’y avaient aucun gouverneurs dans la salle ; juste leurs favoris. Un homme-animal cracha, furieux du vacarme des deux jeunes.

- On frappe avant d’entrer et surtout, on ne crie pas comme des attardés !

- Vraiment désolé, répéta Red en reprenant son souffle une fois dans la pièce, c’est que, moi et Beauté, nous n’étions pas au courant !

- Personne n’était au courant, ne vous en faites pas, rassura un garçon qui ne devait pas avoir dix ans.

- Tout de même, ce sont les deux derniers à arriver, grogna l’homme-animal d’un œil mauvais.

- Oui et bah ce quartier général est immense ! Argumenta Beauté. Comment veux-tu te retrouver avec autant de passages ?

- Il ne faut pas oublier que c’est avant tout une cité pour les fidèles, rectifia une fée de la taille d’une main, il agitait son doigt nonchalamment, c’est bien normal que ce soit immense, vu le nombre de fidèle qu’abrite ce lieu.

Beauté n’ajouta rien, et les autres non plus. Red s’avança vers le petit garçon, assis sur la table, à attendre l’arrivée des gouverneurs.

- Le gouverneur Byron a-t-il dit quoi que ce soit à propos de cette réunion à ton égard ? S’enquit Red, plutôt curieux de cette réunion de dernière minute.

- Aucunement Red, désolé, affirma le petit garçon en jouant avec la manche de sa cape, j’ai juste été prévenu, comme tous les autres ici, que la Sainte Mère demandait réunification.

Le garçon râla, impatient.

- Ils en mettent du temps…

- Ils ne tarderont pas, surement qu’ils attendent la Sainte Mère, suppose une femme tout à fait banal.

- Et toi alors Elisabeth ? Tu es la favorite de la Sainte Mère alors…

- Je suis désolée Valerian, je ne sais pas plus de chose que vous, l’interrompit-elle en s’abaissant en signe de désolation.

Le petit Valerian la regarde du coin de l’œil, et s’allonge presque le long de la table. L’homme-animal grogne.

- Redresses-toi ! Lui ordonne-t-il furieusement. Ce ne sont pas des manières à adopter en public.

- On est entre nous, pourquoi m’abstenir ?

- Les enfants sont incorrigibles Zad, laisse tomber, lui souffle la fée sans discrétion, il fera moins le malin face à son gouverneur.

Entre eux, l’homme-animal et la fée rirent. Red les observa de loin, au côté de Valerian qui ne tenait pas compte des remarques exigeantes de ces camarades.

La cloche accrochée au-dessus de la porte d’entrée émit un son mélodieux à l’arrivée des sept gouverneurs. Aussi vite qu’ils le purent, les huit favoris se redressèrent et les saluèrent, la tête basse, comme le voulait la règle. Ils ne dirent aucun mot à leur arrivée, et chacun allaient s’installer à sa place respective. Red quitta Valerian pour s’installer derrière son gouverneur à lui, qui lui sourit quand leurs regards s’entrecroisèrent.

Tandis que chacun s’installaient, un gouverneur arriva au côté d’une femme. Son regard dans le vide faisait frissonner chaque nouveau de ce quartier général. Personne n’osait la défier du regard ni même lui adresser la parole. Certain lui donnait une réputation de tyran et de femme violente ; d’autre au contraire la décrivait comme douce d’esprit et très empathique. Red n’était pas très sur quelle version était la meilleure pour cette femme, mais toujours était-il qu’elle n’agissait pas de la même manière avec les fidèles qu’avec les gouverneurs ni même les favoris.

Comme le gouverneur à son côté, un homme aux cheveux long et argenté, se devait de tirer son grand fauteuil, il passait devant elle. Il s’arrêta à la hauteur de Valerian, qui avait quitté son siège de luxe. Le petit garçon se redressa tout en se crispant légèrement. Ses poings étaient serrés, et il ne regardait même pas son gouverneur. Ce dernier lui sourit, et l’obligea à le regarder droit dans les yeux en attrapant son menton.

- Mon petit Valerian, ne serait-tu pas encore plus adorable que la dernière fois ?

- Je…

- Voyons ne sois pas timide, tu sais très bien qu’il n’y a aucune honte entre nous, mon petit Valerian.

Red était un peu angoissé d’assister à une scène pareille. Etre si proche de son favori n’était pas trop autorisé, parce qu’un jour, les gouverneurs savaient que leurs sujets allaient périr. Et le gouverneur Byron était presque à deux doigts de toucher le bout du bout. La femme derrière lui tapa du pied.

- Byron va s’en prendre une… murmura une belle femme de l’autre côté de la table à un des gouverneurs.

Aussitôt qu’elle prononça ses mots, la femme empoigna le col du gouverneur Byron et planta ses yeux dans les siens. La fureur s’y lisait clairement, et le gouverneur déglutit tout en riant d’amusement. N’avait-il pas peur de cette femme ?

- Dois-je te rappeler que… je ne sais pas, tu es gouverneur ? Ton comportement à toi fait tâche auprès des autres alors s’il te plait, restes tranquille.

Tel gouverneur tel favori, songea Red en soupirant.

Byron ricana.

- Voyez-m’en désolé, ma très chère Sainte Mère. Sachez que j’aime plus que tout mon jeune favori, mais que je vous aime aussi.

- Tu me répugnes.

Elle lui donna un coup de genou dans le ventre, et il s’étala par terre, et évitant de gémir. Red frissonna devant la force de cette femme qui au premier abord, semblait inoffensive. Comme quoi les apparences étaient trompeuses.

- Peux-tu te lever ? S’enquit la Sainte Mère en lui marchant dessus au passage, le siège ne va pas se tirer tout seul.

Sans un mot, mais avec un grand sourire, Byron se releva et tira le siège de la Sainte Mère. Elle s’y installa confortablement, et d’un signe de tête adressé à un autre gouverneur, il acquiesça et éteignit la lumière. Les fleurs servant de décoration sur la table brillèrent alors d’un couleur clair, et illuminèrent la pièce. Le visage de Red rayonna sous les scintillements des fleurs magiques.

Jusqu’à lors, la Sainte Mère, mise à part une remarque adressée à Byron, n’avait pas piaillé un mot. Pas un regard envers les favoris ni même à celui qui était son « fils lié par le sang des vampires ». Red se sentait un peu invisible face à cette femme, mais il comprenait ses actes : agir familièrement avec un favori n’était pas une habitude de la Sainte Mère.

Le regard de la Sainte Mère se faisait grave, ses yeux étaient ornés de cercles noirs, signe de ses grands nombres d’insomnie. Même pour un vampire, elle devait prendre un peu de repos. Mais elle semblait très préoccupée ces derniers jours, alors le repos passait après tout. Ses lèvres étaient écorchées à cause de ses dents, le sang avait coagulé sur plusieurs plaies. Ses mains étaient maigres, comme tout son corps. Sa fonction prenait le dessus sur sa santé, et même si elle restait forte, elle pouvait être vulnérable.

- Je vous ai demandé de quitter vos occupations pour parler d’un sujet grave qui touche la base, commença-t-elle d’une voix caverneuse et qui résonnait en un écho contre les murs de bois de la salle des réunions, certain se doute déjà que parmi nous peut naitre une haine envers son Seigneur et donc une haine envers la religion. Sachez que, d’après plusieurs fidèles, des hérétiques se cachent parmi nous.

Un léger murmure parcourut la salle. Red sentit son gouverneur attitré se raidir à la nouvelle, comme pris au dépourvu. Certes il n’était pas très futé, mais il avait le mérite de savoir les choses à l’avance. Peut-être qu’apprendre ce mauvais présage l’angoissait, car son don de prédilection ne lui avait pas permis savoir à l’avance les intentions de certains malhonnêtes.

- Byron et moi avions mené secrètement l’enquête pendant quelque jour et avions découvert un réseau d’hérétique très étendu dans toute l’enceinte du quartier général. Malgré nos tentatives de faire parler ces infidèles de leurs intentions, nous n’avons rien pu en tirer. Nous pensons tout de même qu’un chef se cache dans notre quartier général.

- Nous pouvons même vous dévoiler sa fonction, ricana Byron avec un sourire éternel sur les lèvres, il s’agirait d’un gouverneur.

Red se figea. Un gouverneur serait contre les lois du Seigneur et de la Sainte Mère ? Quel honneur aurait-il à s’opposer à l’un des plus grands Seigneur de ce monde ?

- Vous êtes sûr de ce que vous avancez, très chère Sainte Mère ? S’inquiéta une belle femme aux courbes idéales.

- Nul doute là-dessus, il n’y a qu’à voir comment sont organisés les plans des hérétiques, justifia la femme d’un coup de poing sur l’accoudoir de son siège, je connais très bien la façon d’organisé des gouverneurs et il n’y a pas un fidèle lambda qui puisse reproduire cette même entreprise.

Le doute laissait place à l’inquiétude et la crainte. Red ressentait les sentiments de chacun rien qu’à leurs actions : Beauté était face à lui, raide et rabougris sur elle-même. La peur, la peur de subir un lourd châtiment. La peur de mourir. Elle craignait disparaitre.

- Que… que dois-t-on faire alors, ma Sainte Mère ? Bredouilla une vieille femme assise sur sa chaise, les yeux renfoncés dans ses orbites.

- Il n’y a qu’une solution à cela : attendre les paroles de son Seigneur, déclara cette dernière d’une voix grave, alarmante.

- Comment ?! Si son Seigneur ne daigne répondre, qu’en est-il de l’avenir de la base ! Grogna un grand homme fort, aux allures de centaure.

- Je prierais jour et nuit pour qu’il communique avec son messager, pria un homme svelte.

La Sainte Mère se tourna vers le centaure.

- Quand nous en saurons plus Olt, va que vous seriez prévenu, toi et tes semblables, assura-t-elle d’un hochement de tête.

Le gouverneur ne semblait cependant pas satisfait de cette réponse, et en retour, il cracha et détourna le regard. La Sainte Mère fit signe à un gouverneur de rallumer les lumières, et par une magie fabuleuse, d’un geste de la main, les lanternes flambèrent. La pièce, plongée alors dans le noir, brilla de toutes ses couleurs. La réunion était terminée.

- Vous pouvez disposer, conclut la femme, tandis que Byron tirait le siège à l’arrière pour qu’elle puisse se lever.

La salle de réunion se vidait petit à petit à mesure que le temps passait. Certain gouverneur, comme celui de Red, discutaillait avec la Sainte Mère en ricanant à cœur-joie. Red voulait attendre son gouverneur pour sortir de la salle. Zad passa tout près de lui et ne daigna même pas lui adresser un signe d’au revoir. Il eut droit à la place à un grincement des dents sonores et distrayant.

Une fois que son gouverneur eut fini de parler à la femme, Red suivit l’homme à l’extérieur.

- Red.

L’appel de la Sainte Mère raidit tout le corps de Red. Entendre son nom sortir de la bouche de la personne la plus vénérée (après son Seigneur) de la base était très particulier. Red n’osait pas la regarder en face, et il dut se résigner à le faire alors qu’elle s’approchait, accompagnée de Byron, de lui. Elle ferma la porte de la salle de réunion, laissant le garçon, et les deux adultes ensemble. Des sueurs froides coulèrent le long de son cou.

- J’aimerais te donner une mission de la plus haute importance, admit-elle après un court silence, j’ai confiance en tes capacités et ta déduction, alors s’il te plait, j’aimerais que tu surveilles Zad.

- Zad ? Répéta le garçon en fronçant les sourcils. Je sais bien qu’il est très taciturne, mais en quoi il faut le surveiller ?

- Je soupçonne le traitre d’être Olt, révéla-t-elle dans un murmure presque inaudible.

Red se figea réellement, comme frappé par un marteau en plein dans le crâne. Son corps se refroidissait, le bout de ses doigts aussi. La Sainte Mère lui demandait d’espionner un potentiel traitre…

- Tu ne seras pas seul pendant ta mission, Elisabeth te seconderas pour les tâches plus difficile. Etant ma favorite, je peux lui ordonner d’aller nettoyer les chambres ou servir le thé dans les quartiers d’Olt. Ou alors les distraire.

Le jeune garçon sentait son corps s’alourdir d’un poids incommensurable. S’acquitter d’une mission de la Sainte Mère revenait à prendre d’énormes risques : parfois la mort attendait au bout du tunnel. Néanmoins, il ne pouvait pas refuser. Si Red n’acceptait pas la demande de la « reine » de la base, son statut de favori serait sali par les indignations et les commentaires mesquins de ses congénères.

Les dents serrés, il sourit à la Sainte Mère et déclara d’une voix mal assuré :

- J’accepte votre demande, Sainte Mère Magenta.

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