Miroir, mon beau miroir.

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Amalthée ne pouvait effacer cette grimace de dégoût lorsqu’elle se regardait dans le miroir. Pourtant, elle était capable de rester de longues minutes, voire des heures devant sa psyché rose, à observer son corps sous tous les angles, à reluquer chaque centimètre de peau à la recherche de la moindre trace de cellulite.

Ce même rituel se répétait tous les jours. Après le dîner, elle se déshabillait face à la glace et restait là, en sous-vêtements, le regard éteint, la frustration creusant les traits de son visage. Elle s’infligeait cette épreuve afin que la vérité reste à jamais gravée dans son esprit : elle était grosse. Grasse. Bouffie. Obèse.

« Miroir, mon beau miroir. Dis-moi qui est la plus grasse" demandait-elle à son reflet.

Et elle poursuivait, se répondant à elle-même, se fixant avec cette mine pleine d’amertume.

« C’est vous, votre grosse Mocheté. »

L’adolescente ne voyait que la graisse et les bourrelets. Malgré le sport intensif et les régimes drastiques qu’elle s’imposait. Pour elle, sa silhouette ne s’amincissait pas assez vite, alors qu’elle voulait tellement ressembler à ces filles des publications Instagram, dans les magazines, sur les podiums des défilés. Elle les admirait autant qu'elle les haïssait. Amalthée rêvait que les garçons se retournent sur son passage. Oh, ils le faisaient déjà mais pour lui lancer des regards de dégoût et de pitié. L'adolescente, elle, désirait une histoire d’amour passionnée et romantique que racontent les romans qu’elle aime lire.

Au lieu de cela, elle se confrontait aux moqueries de ses camarades de classe. Ils la traitaient de «cure-dent » pour lui rappeler encore et encore qu'elle était tout l’inverse d’une adolescente trop maigre. Ils la traitaient de « cinglée » car pour eux, aimer autant la nourriture était une folie, ils pensaient qu’elle ne faisait que s’empiffrer à longueur de journée.

Pourtant, au fil du temps, son horreur pour la nourriture ne faisait que grandir. Elle avait la nausée juste en regardant certains aliments. Elle les avait tellement appréciés, il fut un temps. Mais elle avait fini par comprendre que c’était à cause des chips, des hamburgers, des pizzas, des bonbons et autres cochonneries qu’elle était dans cet état.

Ses parents, quant à eux, ne comprenaient rien, ne voyaient rien. Ils lui demandaient toujours de reprendre un peu de ci, un peu de ça. Ils lui disaient qu’elle ne mangeait pas grand-chose, qu’elle avait un appétit d’oiseau lorsqu’elle tentait juste de faire un régime. Ses grands-parents étaient encore plus hypocrites lorsqu'à chacune de leurs visites, ils lui disaient, en fronçant les sourcils, qu'elle avait maigri. Ce qui, bien sûr, était complètement faux.

Désormais, la sensation d’aliments dans sa bouche la répugnait. À chaque fois qu’Amalthée avalait, elle avait l’impression de faire quelque chose de mal, de prendre du poids à vue d’œil. Elle jalousait sa petite sœur, Eve, à la taille de guêpe, qui pouvait ingurgiter tout ce qu’elle souhaitait sans prendre le moindre gramme. Cette dernière n’avait pas besoin qu’on lui demande de manger, elle se resservait une deuxième, voire une troisième fois.

Quand Amalthée montait sur la balance, chaque matin, elle avait l’impression que les chiffres avaient laissé place à une inscription : « Vous êtes un gros boudin. »

L’adolescente souffrait tellement de ses complexes. Rares étaient les sourires qui s’esquissaient sur son visage. Elle ne riait plus, ne sortait plus. Ses amies ne l’invitaient plus aux soirées qu’elles organisaient car elles savaient pertinemment qu’elle ne viendrait pas. De toute façon dans ce genre de fêtes, on ne fait que boire des sodas trop sucrés et grignoter des gâteaux apéritifs bourrés de lipides. Et franchement à quoi bon se rendre à une soirée, où l’on sera la plus grosse et où tout le monde nous dévisagera ?

Amalthée était tellement obsédée par son poids qu’elle ne voyait pas à quel point les filles de sa classe lui enviaient la magnifique blondeur de ses cheveux, à quel point ses taches de rousseur sur le nez lui donnaient un air enfantin si charmant, à quel point ses parents et sa famille l’aimaient pour ce qu’elle était réellement, au fond d’elle-même.

Mais en réalité ce qu’Amalthée ne voyait pas, c’était à quel point elle n’avait que la peau sur les os.

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