13 – Pseudo : Patraque - Orlando -- Auteur incipit : Ai acheté un couteau - Auteur texte : Renard .

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À l’heure tardive où la voiture arriva, l’obscurité s’était déjà faite. Comment se porte la Seigneurie ? Orlando balaya mon rire d’un grognement tendu et jeta une enveloppe sur la table : à l’écriture trouble de mon nom se devinait l’impatience animale d’Esther, si lourde de sens.

...

Je pris la missive et la glissai, poche arrière de mon fendard, au plus près de mon cul. Esther, ma corrompue, mon intransigeante pestaille, mon cœur talé. Elle attendrait. Sinon à quoi bon l’aimer ?
Orlando tapait la semelle, pantonyme du brave qui a froid. Je souris et réitérai ma question. Alors la Seigneurie prospère-t-elle de bon aloi ? Hein ?! éructa le grognard. Je ricanai. Le Grand Ricanement, c’était presque mon blason.
Orlando baissa la tête, il feulait, je sentais son courage, son dévouement, son agacement. Il se redressa et toisa : tu as la voix grosse et sonnant, hélas n’es point brave ni raisonnable.
Il avait raison : ultime de ma lignée, vilenie et abjection demeuraient les seules armoiries que je daignais encore revendiquer.
Dans un royaume où le désespoir était désormais plus docile que l’alternance jour nuit, comment aurais-je pu feindre d’encore la jouer Chevaleresque ? Mon devoir et mes serments ne valaient plus que peau d’œuf.
Orlando ne faillait pas, il se dressa plus abrupt et lança :
— Que devrai-je répondre à Dame Esther ?
Je tapotai le papier du courrier contre ma fesse dodue. Je souris en canines mauvaises.
— Que son enveloppe est arrivée à très bonne destination ?
Orlando fit demi-tour et marmonna des effronteries destinées à illustrer son dédain.
Je le rattrapai et murmurai à son oreille :
— Moi aussi.
— Quoi ?!
— Dis-lui « moi aussi ».
— Mais vous n’avez pas ouvert la missive.
Je caressai sa nuque massive, haussai les épaules et ajoutai :
— Et sinon, combien déjà hier ?
Il n’hésita pas longtemps avant de cracher :
— Vingt-sept !
Je frissonnai.
Pourquoi feindre l’ignorance, puisque je connaissais tout aussi bien la comptine… Une/ fusillée. Deux/ guillotinée. Trois/ garrottée. Quatre/ au bûcher. Cinq/ lapidée. Six/ écartelée. Sept/ électrocutée. Huit/ poignardée. Neuf/ noyée. Dix/ dévorée (chiens affamés). Onze/ dévorée (fourmis légionnaires). Douze/ dévorée (crocodiles du Nil). Treize/ écorchée. Quatorze/ découpée. Quinze/ fouettée. Seize/ empoisonnée (strychnine). Dix-sept/ empoisonnée (cyanure). Dix-huit/ empoisonnée (cobra à lunettes). Dix-neuf/ empoisonnée (scorpion Buthus). Vingt/ gavée. Vingt-et-une/ empalée. Vingt-deux/ étouffée (polochon). Vingt-trois/ étouffée (boa). Vingt-quatre/ étranglée. Vingt-cinq/ égorgée. Vingt-six/ crucifiée. Notre Seigneur savait compter. Chaque dimanche, ses légats annonçaient « plus une », avant de scander la litanie des précédentes. Désormais, les enfants apprenaient le décompte plus vite que l’alphabet.
— Et ?
— Enterrée vivante…
Orlando baissa les yeux pour cacher une subite humidité.
— Tu la connaissais ?
— Oui. La fille du voisin de mon père.
Notre Seigneur vieillissait, il voulait du spectacle, il innovait chaque semaine. Personne ne réagissait. La soumission était une vieille habitude, la lâcheté un nouvel apprentissage aisé.
J’étais pourtant femme, j’aurais dû me lever. Mon serment de Chevaleresque me l’imposait. Mais non. Seule la fuite me semblait légitime. Certains combats sont trop urgents pour aboutir à temps. Sa Seigneurie voulait compter jusqu’à cinquante et mourir le jour de son anniversaire. Personne n’en doutait : il le ferait. Dans vingt-trois semaines.
Orlando ferma doucement la porte derrière lui. Je sortis l’enveloppe de ma poche et lut le message d’Esther. Esther, ma furieuse, Esther, ma chère.
« Ma trop peu Chevaleresque,
Hélas.
Tu as raison. Je ne resterai plus.
Le Seigneur n’est pas mon père même si née de sa graine je suis. Non ! Cette nuit, je fuis, et serai à la Source au nadir. Et toi ? »
Je souris, enfin. Orlando lui dirait.
« Moi aussi. »

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