3 – Pseudo : Déluge - Ce soir -- Auteur incipit : Aspho d'Hell - Auteur texte : SaltyKimchi

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**** Contenu sensible ****

Ce soir, les arbres dansent sous la tempête qui s'est soudainement abattue sur la ville. Les lampadaires grésillent et s'éteignent un à un sur la route qu’elle a empruntée pour rentrer chez elle. Des ombres indistinctes se profilent au loin de temps à autre sous un clair de lune balafré de nuages noirs, annonciateurs de pluie imminente.

Elle reste un moment à contempler ces tâches sombres dans la nuit, semblables à celles qui parsèment son corps. La brise s’infiltre dans son cou et la fait frissonner. Sa nuque se hérisse également à l’idée de devoir retourner à la maison. Pas tout de suite. Encore profiter un instant de cette liberté et de la fraîcheur des ténèbres.

C’est drôle. Jamais auparavant elle n’aurait pensé aimé autant le noir. Pas seulement l’obscurité mais également la couleur. Elle ne portait plus que ça : de longues robes de grand-mère qui recouvraient ses membres imparfaits et maladroits, avec des manches jusqu’aux paumes. Ses amies ne la reconnaissaient plus. Ou plutôt ce qu’il en restait. Sonia était partie dans le Sud, vers Nice, avec son amoureux. Émilie avait tout plaqué pour le Japon, dans l’espoir de percer dans le manga et de se trouver un sensei. Seule Jeanne habitait encore le coin, mais projetait de prendre une maison en Belgique, pour suivre son mari.

Qu’est-ce qu’elles ont toutes à se soumettre aux hommes ? Jalousie ironique. Elle avait été la première à se marier, à dix-huit ans. Richard était beau, grand, le mâle typique qui vous émoustille lors des bals de campagne. Il cassait le nez du moindre badaud qui la reluquait d’un peu trop près. C’était ça qui l’avait attirée, au premier abord : son côté dominant, protecteur. C’était aussi ça qui l’avait perdue.

À l’époque pourtant, c’était elle la plus belle pour aller danser. Et qu’est-ce qu’elle avait valsé d’ailleurs. Un tango avec les murs, une salsa avec la commode, un rock avec la table de la cuisine. Une polka avec l’évier si le dîner n’était pas prêt et chaud à son retour. Les quatre saisons de Vivaldi qui pleuvaient sur ses bras, son ventre. Pas folle, la bête, il prenait soin d’éviter son visage pour ne pas éveiller les soupçons. Double tarif si t’ouvres ta gueule devant n’importe qui, hurlait-il avec son poing en l’air. Si t’en parles à ta mère, j’te crève.

Des paroles qui résonnent encore dans son esprit, qui lui vrillent les neurones comme des serviettes trempées qu’on essore. Elle s’agrippe les cheveux pour chasser ces pensées, mais celles-ci l’attrapent par le col et l’entraînent vers le bitume. Sournoises, les larmes défilent sur ses joues déjà frappées par l’orage. Quand la pluie a-t-elle commencé ? Elle n’en sait rien. Elle n’a pas envie de le savoir. Tout ce qu’elle veut, c’est fuir.

Ses pas l’amènent vers un terrain de jeux pour enfants, seul halo de lumière dans cet océan de nuit. Sur les toboggans, elle imagine les enfants qu’elle pourrait avoir de lui, Sa progéniture. Elle ne lui avoue pas qu’elle prend toujours la pilule en cachette. Elle refuse de tomber enceinte de cet homme. Chaque centimètre carré de sa peau le dégoûte. À nouveau, les cauchemars l’assaillent : lui sur elle, son haleine chaude près de son visage, à mugir au moindre coup de rein, fier de sa testostérone. Puis les sanglots, une fois tournée sur le côté du lit, la besogne terminée.

Pas ce soir. Non, ce soir, elle ne plierait pas le genou. Elle ne tendra pas la joue de l’autre côté. De l’aide existait pour les femmes comme elles, c’était dit aux infos. Et quand bien même elle ne trouverait pas cette aide, elle irait chez Jeanne. Sa seule amie... la dernière. Elle lui raconterait tout, de A à Z, dès les premiers instants. Quitte à ce que Richard vienne jusque chez elle pour la buter, pour la faire taire. Elle parlera.

Pas pour elle. Pour elle non, elle sait que c’est trop tard. Il l’a déjà broyée. Plus personne ne voudrait de ce corps décharné, maigre et repoussant. Elle n’était plus qu’un cadavre errant dans la brume sous des lampadaires muets. Non, elle parlera pour les autres. Pour celles qui n’ont pas encore eu son courage de faire le pas de plus vers la liberté. Pour celles qui s’engagent dans la valse de trop. Pour celles qui suivent la route jusqu’à la maison, et qui s’y perdent.

Pour celles qui, ce soir...

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