Chapitre 56 : Loren

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Assis à l'avant du bateau, April sur les genoux de son père, nous regardions les rives s'étirer d'un bord et de l'autre. Nous avions quitté Oban un petit quart d'heure plus tôt et nous nous rendions sur Mull. Snoog avait décidé d'arpenter les îles pour ce voyage, en remontant vers le nord. Il espérait nous emmener au moins jusqu'à Lewis et Harris, et comme nous n'avions aucune contrainte pour le retour, j'étais certaine qu'il parviendrait à nous faire faire ce parcours.

Malgré le chignon serré que j'avais réalisé ce matin à l'hôtel, le vent était parvenu à me décoiffer un peu et quelques mèches voletaient devant mes yeux. Le soleil jouait à cache-cache avec les nuages et on supportait une petite laine.

En montant à bord du ferry, ce matin-là, nous avions aussi laissé derrière nous quelques semaines assez difficiles. J'avais tenu bon malgré les appels de Jim qui voulait encore et encore des explications. J'avais refusé de lui en dire plus que ce que j'avais dit devant le juge, l'avocat m'ayant déconseillé de lui parler. Je n'avais pas compris ce que Jim avait en tête, entre intimidation, colère, ressentiment, feinte... Puis nous avions reçu la convocation et étions repartis pour Edimbourg pour faire le test. Cela ne s'était pas déroulé dans les mêmes conditions que précédemment et j'étais bien contente, finalement, d'avoir accepté la présence de notre avocat, même si cela impliquait un règlement supplémentaire. En effet, nous nous étions rendus au laboratoire de la police judiciaire et non plus à l'hôpital. Comme des suspects, alors que notre seul crime était d'avoir conçu notre petite April. Rien que faire resurgir à mon esprit le souvenir de son visage en larmes, levé vers son père qui tentait de la calmer le temps de la piqûre, et j'avais le ventre qui se tordait.

Contrairement aussi à la première analyse, nous n'avions cette fois pas eu connaissance des résultats et plus la date du jugement approchait, et plus j'étais tendue. Snoog devait s'employer fort pour parvenir à me calmer et à me faire garder espoir. Heureusement que nous n'avions pas attendu des semaines avant d'y passer, je serais devenue folle et certainement que lui aussi. Néanmoins, nous avions tenu bon, soutenus aussi par nos amis. J'avais fondu en larmes le jour où Stair avait suggéré qu'ils viennent tous avec nous pour nous attendre à la sortie du tribunal. Snoog avait hésité, pour finalement refuser leur présence.

L'entrevue avec le juge avait été beaucoup plus rapide que précédemment. Il n'avait pas perdu de temps, à croire qu'il avait un autre rendez-vous important après nous. Mais c'était aussi bien. Il avait lu le rapport des analyses, confirmant ce que nous savions déjà. Il avait démis Jim de ses droits sur April et lancé la procédure pour la reconnaissance de ceux de Snoog, nous faisant savoir que cela prendrait quelques semaines. Il nous avait fourni un document provisoire, déjà rédigé, et qui pourrait nous servir de justificatif en attendant le définitif. Jim s'était décomposé au fur et à mesure que le juge présentait sa décision. Snoog ne bougeait pas, mais son regard changeait, devenant plus aigu, plus perçant, du moins, de ce que j'en avais vu, car moi-même, j'étais en proie à beaucoup d'émotions. Si la fatigue m'avait accompagnée lors du premier entretien, là, c'était le soulagement. Toute cette histoire allait bientôt être derrière nous. Il fallait juste être patients pour que les papiers soient en accord avec la vérité.

A peine étions-nous revenus à Glasgow que Snoog avait préparé une grosse fête chez lui. Pas question de ne pas marquer le coup ! Tous les Dark étaient présents, bien entendu, même Gordon et Julian, l'ingénieur du son. Sans oublier David, le deuxième guitariste. Plus quelques autres connaissances. On avait embauché les baby-sitters pour faire garder les enfants, chez Lynn et Jenna. On s'était tous couché très tard, plus ou moins éméchés, et pour tout avouer, April n'avait pas récupéré des parents très frais le lendemain.

Puis, quelques jours après, Snoog avait commencé à préparer notre voyage. Il n'avait fait que les réservations pour Oban et Mull, pour commencer. Ensuite, nous aviserions, selon le temps que nous voudrions passer à tel ou tel endroit. Nous n'avions pas de limites, pas d'obligations à Edimbourg ou à Glasgow. Un peu comme pour notre premier voyage, tous les deux. Et j'appréciais beaucoup de retrouver cet état d'esprit. Cette liberté aussi.

- Ateau ! Ateau !

April tapa dans ses mains alors que nous approchions de Mull. Sur les rives, on pouvait voir le château de Duart se dresser.

- Oui, April, c'est un beau château. On ira le visiter, fit Snoog.

Un quart d'heure plus tard environ, nous débarquâmes à Craignure. Snoog avait loué une voiture au départ de Glasgow et nous étions donc autonomes pour tout ce parcours. Il avait trouvé à louer une maison à Salen pour trois nuits, puis à Bunessan pour une semaine, enfin un autre logement à Tobermory, pour une autre semaine, tout au nord. Il avait l'intention de prendre son temps pour nous faire découvrir l'île. C'était la première fois qu'il y venait et il m'avait expliqué qu'il avait pris cette habitude sur les îles : prévoir un séjour d'au moins deux semaines, avec deux à trois points de chute. Du moins, pour les grandes. A ce rythme, je me doutais que nous ne rentrerions à Glasgow qu'au cœur de l'été, mais ça ne semblait pas lui poser problème.

Et après tout, à moi non plus. J'avais envie d'être avec lui, j'avais envie de profiter de ces belles et longues journées tous les trois, pour des balades, de l'observation, des rencontres. Pour être dans la nature. Voir toutes sortes d'animaux, les montrer à April. Et apprendre, un peu plus, à être ensemble au quotidien.

**

L'après-midi s'étirait en longueur. Il faisait beau ce jour-là et nous avions quitté notre petite maison de Tobermory pour nous rendre sur la belle plage de Calgary. Il n'y avait quasiment pas de vent et on aurait pu se croire en plein été. Après avoir arpenté la plage dans toute sa longueur, nous avions trouvé un petit coin agréable. April commença à explorer les alentours, à peine je lui avais retiré ses petites chaussures. Ces vacances étaient aussi les premières où elle découvrait la mer, le sable et les plaisirs de la plage.

- Tu veux faire des châteaux, April ? demanda son père.

- Ateau, papa, ateau ! répondit-elle en tapant dans ses mains et en lui faisant un grand sourire.

- Ok. Bon, là, le sable, il est trop sec. Viens, on va s'installer plus près de l'eau.

- Eau ! Ateau !

Et il la prit dans ses bras, un seau de plage à la main, ainsi que d'autres petits jouets pour faire des pâtés. C'était un jeu de son âge et elle y avait vraiment pris goût. Je les regardai s'éloigner un instant, puis je m'allongeai sur ma serviette, profitant de la douce chaleur du soleil et du calme bienfaisant du lieu. Il y avait deux autres petits groupes, des familles avec des enfants, sur la plage, mais nous étions tous très éloignés les uns des autres et nous ne nous gênions absolument pas.

Je dus faire une courte sieste, puis me redressai pour voir où en étaient mes deux amours. A une vingtaine de mètres de moi, ils étaient tous les deux assis, entourés de petites tours de sable. Snoog s'amusait à les décorer avec des algues, des coquillages qu'il avait dû ramasser. April, assise entre ses jambes, s'appliquait à remplir ses petits jouets pour les retourner. Je demeurai songeuse à les regarder, profitant de cette vision simple, heureuse et familiale. Et je sentis mon cœur se gonfler d'amour, au point de me demander s'il pourrait en contenir autant. Que je les aimais, ces deux êtres ! Ces deux trésors de ma vie ! Mon bébé qui commençait à grandir, à devenir petite fille, et cet homme qui se révélait, jour après jour, un père et un compagnon merveilleux. Attentif, présent, inventif. Tout ce que j'avais cherché, espéré, et que je n'aurais pas imaginé trouver chez lui quand nous avions fait connaissance.

Je finis par me relever pour les rejoindre, non sans avoir sorti mon téléphone et déjà pris quelques photos de là où je me trouvais.

- Mama ! s'exclama April en me voyant arriver.

- Ma puce ?

- Ateau !

- Oui, tu as fait de beaux châteaux. Et papa est vraiment en train de bien s'amuser à les décorer...

- T'as vu ? A ton avis, ils sont r'ssemblants, non ?

- Ressemblants ? Il faut que j'arrive à reconnaître le château de Duart, celui d'Eilean Donan, celui d'Edimbourg... ?

- T'y es pas, Loren. Là, j'ai un batteur fougueux, là un bassiste inventif et là un guitariste indépendantiste.

J'éclatai de rire. L'idée était vraiment ingénieuse : il avait trouvé différentes algues et en avait coiffé trois châteaux, l'un avec de longues algues brunes, l'autre avec des noires un peu dentelées, comme des frisettes, et l'autre avec des noires plus lisses. Avec des coquillages, il avait placé des yeux, un nez, une bouche. Certes, il fallait un peu d'imagination, mais je m'empressai de photographier ses œuvres d'art.

- Je pense qu'il en manque un, fis-je.

Et sans plus attendre, je me relevai et commençai à arpenter la plage. Je revins avec des algues les plus claires que j'ai pu trouver, même si elles étaient plutôt marron clair que blondes. Et je les plaçai sur un quatrième château. J'étais parvenue, en revanche, à trouver des coquillages bleutés pour les yeux.

- Voilà, fis-je. Il manquait le divin chanteur.

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