Chapitre 53 : Loren et Snoog

9 minutes de lecture

Loren

- Je pense que c'est plutôt une bonne nouvelle.

Je levai les yeux vers Jenna, quittant ma fille du regard. Nous étions chez nos amis depuis une petite demi-heure et Snoog venait de raconter l'essentiel de ce qui s'était déroulé dans le bureau du juge, sans omettre non plus sa prise de bec avec Jim, à la sortie du tribunal. April nous avait fait une vraie fête, passant des bras de son père aux miens, comme si elle ne savait pas dans lesquels elle allait se trouver le mieux, pour finalement demeurer sur mes genoux alors que nous avions pris place dans le canapé et que, d'emblée, Lynn avait ouvert des bières pour tout le monde.

- Oui, poursuivit Jenna. Je pense que le juge veut couper toute possibilité à Jim de déposer un recours. Refaire des tests, ça ne veut pas dire qu'il mette en doute les premiers. Je pense même qu'il connaît parfaitement le résultat : il sait que ça donnera la même chose et qu'il n'y aura en revanche aucun point commun entre April et Jim. Mais il lui faut des preuves incontestables pour cela et la plus simple, c'est d'obliger Jim à faire le test lui aussi et, le tout, sous contrôle judiciaire. Je ne serais pas étonnée qu'un huissier soit présent lors des prélèvements.

- Possible, dis-je. Je ne voyais pas forcément les choses ainsi.

- J't'avais dit qu'Jenna aurait un avis éclairé sur la question, me fit Snoog en se tournant vers moi et en posant sa main sur mon genou. Moi, le seul truc qui m'dérange, c'est qu'April va devoir y repasser. Mais bon... Si on est tranquille après...

- C'qui m'étonne, c'est qu't'aies réussi à pas lui casser la gueule, quand même... fit Lynn en rigolant à moitié.

- C'était pas l'envie qui me manquait, répondit Snoog. Mais j'ai pensé que ça la foutrait un peu mal, juste devant le tribunal. Le but, c'était juste qu'il la ferme et qu'il ait un peu la frousse.

Jenna eut un petit sourire avant de porter sa bouteille à sa bouche. Puis elle reprit :

- April a été adorable. Tout s'est bien passé.

- Ouais, et sa présence a même évité que Thilia nous bassine pour que Steve vienne dormir à la maison. Heureusement qu'ils retournent à l'école... fit Lynn en levant les yeux au plafond.

Nous bûmes chacun une ou deux gorgées, puis Jenna demanda :

- Vous allez décaler un peu vos vacances, alors ?

- Bien obligés, fit Snoog. On va attendre la convocation pour l'analyse, puis celle pour le jugement. Mais l'juge a dit que ça se ferait vite. On pourra partir après. En attendant, on va rester dans le coin, on fera des balades à la journée ou juste sur deux jours. Les bords du Lomond en cette saison, c'est déjà somptueux.

Je souris doucement : il m'avait confié combien cet endroit était évocateur d'April pour lui, surtout en cette saison printanière. Et, ma foi, j'avais hâte de vérifier ses dires.

**

Nous avions pris la route après le petit déjeuner. Il faisait très beau et la journée s'annonçait sans nuages, d'après les prévisions. Snoog n'avait pas de voiture, mais Jenna nous avait prêté la sienne. En plus, elle était équipée d'un siège auto, ce qui était bien pratique pour April. J'y installai notre fille et, en me redressant, je constatai que Snoog avait l'air bien pensif.

- C'est bon, elle est bien attachée. On peut y aller.

- Hum ? fit-il.

- Un souci, Snoog ? demandai-je.

- Non... sourit-il. Juste que j'me faisais la réflexion que pour une petite louloute comme ça, il fallait tout un tas de trucs auxquels je n'aurais jamais pensé...

Je lui souris en retour :

- Et encore, tu as échappé à sa première année...

- Mouais, fit-il.

Et je notai sans le relever cependant le voile de tristesse qui passa fugacement dans son regard. Il n'ajouta rien et s'installa pour conduire alors que je faisais le tour de la voiture pour prendre ma place.

Nous quittâmes rapidement Glasgow. Le Loch Lomond n'était vraiment pas loin. En faire tout le tour prendrait la journée, d'autant que toutes les rives n'étaient pas accessibles en voiture. Nous n'avions pas prévu un tel parcours. Snoog m'avait dit qu'il se rendait souvent en balade dans le parc national qui l'englobait, seul ou avec les membres du groupe. C'était aussi un lieu que Treddy affectionnait particulièrement et il lui avait fait découvrir des endroits agréables et moins prisés des promeneurs du dimanche ou des touristes. Comme nous faisions cette sortie un jour de semaine, nous ne rencontrerions sans doute que peu de monde.

En effet, lorsqu'on se gara sur l'un des nombreux parkings permettant l'accès au loch, il n'y avait que quelques voitures. Je sortis April de la nôtre, pendant que Snoog prenait le sac contenant nos affaires. Pour l'heure, il faisait bon. Nous nous engageâmes dans un sentier et après un quart d'heure de marche environ, nous arrivâmes près d'une petite plage. Une grande zone herbeuse la bordait, et plusieurs tables étaient installées.

Le lieu nous offrait une belle vue sur le loch et sur le Ben Lomond. Le ciel était bleu, à peine parsemé de quelques nuages blancs qui s'étiraient au-dessus des sommets. La prairie tout autour de nous était parsemée de fleurs, petits crocus, jonquilles sauvages. Les flancs de la montagne étaient couverts de bruyères mauves et d'ajoncs au jaune éclatant.

A peine arrivés, April me lâcha la main et courut vers les fleurs. Elle se pencha au-dessus, sans les toucher. Snoog posa nos affaires près d'une table et s'approcha d'elle.

- Papa ! Leur !

- Oui, ma puce. Tu as vu comme elles sont jolies ?

- Vi !

- Par contre, on n'a pas le droit de les cueillir, même pour faire un joli bouquet pour maman. Il faut les laisser pour que tout le monde en profite.

- Oh ! Pillon ! Pillon !

Elle s'était redressée et désignait un petit papillon jaune qui voletait au-dessus des crocus. Puis elle se tourna vers moi et cria :

- Mama ! Pillon ! Pillon !

Je lui souris.

- Si tu ne bouges pas, il se posera peut-être sur ta main, lui dis-je.

- Viens, dit Snoog, on va aller au bord de l'eau. Je suis sûr qu'on va voir des trucs super intéressants.

- Vi ! fit-elle en glissant sa petite main dans celle de son père.

Alors qu'ils s'éloignaient tous les deux pour longer la rive et même faire quelques pas sur la plage, je sortis mon appareil photo du sac. C'était la première fois qu'April marchait sur du sable et je voulais en garder souvenir. Cela sembla l'intriguer beaucoup, tout comme l'eau du loch. Snoog lui ôta ses petites chaussures et ses chaussettes, il fit de même pour les siennes, roulant en plus le bas de son pantalon. Puis il la reprit par la main et la mena vers l'eau. Il y entra, grimaça car elle devait être froide et April voulut faire comme lui. Je la vis sursauter quand une vaguelette lui lécha le pied et elle cria :

- Foid ! Foid ! Papa !

Et elle tendit les bras vers lui pour qu'il la prenne. Il ne se fit pas prier et remonta tranquillement vers moi. Après mes premières photos, j'avais étalé un grand plaid sur l'herbe, puis je fouillai dans le sac pour y trouver de quoi lui essuyer les pieds. April glissa des bras de son père et courut vers moi, se blottit contre moi et dit en désignant ses pieds :

- Eau foid, mama !

- Je me doute, ma puce. Nous sommes juste au début du printemps. Cet été, tu pourras peut-être te baigner. Pour le moment, c'est trop tôt. Allez, assieds-toi à côté de moi et laisse-moi te remettre tes chaussettes et tes chaussures.

Snoog me redonna les affaires de la petite, et resta debout à regarder les lieux. Sa chevelure blonde brillait doucement au soleil, et celle de sa fille n'était pas sans offrir les mêmes reflets chaleureux.

Comme nous étions seuls, nous laissâmes là nos affaires et nous partîmes faire le tour de la vaste zone herbeuse. A notre retour, nous commençâmes le pique-nique. Puis April joua, avant de s'allonger d'elle-même sur le plaid, attrapant son doudou et s'endormant pour sa sieste. Je m'assis non loin d'elle, Snoog vint me rejoindre et je me blottis entre ses jambes, le dos appuyé contre son torse, ses mains nouées sur mon ventre. Par moment, il m'embrassait dans le cou ou sur la tempe. Je me laissai bercer tout autant par le calme de l'endroit, le bourdonnement des insectes, les chants d'oiseaux et même le cri de quelques rapaces dont on apercevait le vol lent au-dessus des montagnes, que par la présence de Snoog et par la respiration lente et posée de notre fille.

- Dors, me souffla-t-il à l'oreille. Je veille.

J'eus un léger sourire, je fermai les yeux et je m'endormis, confiante et bienheureuse.

Snoog

J'avais toujours associé April au Loch Lomond, car le jour où Loren m'avait envoyé les premières photos d'elle, je me trouvais ici, à me balader pour profiter d'une belle journée d'hiver. C'était il y avait un peu plus de deux ans. Les paysages étaient différents, les sommets enneigés, l'herbe sèche, et d'un gris jaune causé par le froid et le gel. Les branches des arbres et des arbustes étaient couvertes de givre. Mais en voyant ces photos, j'avais aussitôt remis en mémoire les images du lieu au printemps, en avril. Semblables à ce que nous avions devant les yeux.

Oui, les cheveux blonds d'April me faisaient penser à celui des jonquilles ou des ajoncs, et à l'éclat lumineux du soleil. Oui ses yeux étaient aussi beaux que les reflets du Loch Lomond à cette heure. Et c'étaient aussi les miens. Nous devions garder cette certitude à l'esprit, garder confiance aussi. Jenna nous l'avait rappelé. L'avocat nous l'avait assuré. Il fallait juste être patients.

Et ce n'était pas facile. C'était la raison pour laquelle j'avais proposé cette sortie à Loren, pour qu'on aille un peu en-dehors de Glasgow, qu'on se change les idées. D'autant qu'elle ne connaissait pas du tout le coin, qu'elle n'avait fait qu'apercevoir un peu le loch lorsque nous étions allés à Fort William, pour notre première escapade tous les deux. Ouais, une première. J'envisageais bien plus pour les semaines à venir, quand le jugement serait derrière nous, que l'abruti aurait été renvoyé dans ses buts et que l'administration aurait reconnu ce qui était plus qu'une certitude pour nous : notre quotidien aussi.

Nous ferions le test dans trois jours. Loren préférait être chez moi qu'à Edimbourg, pour attendre la convocation du juge. Chaque jour ou presque, l'abruti tentait de la joindre. Elle avait pensé à "black-lister" son numéro, mais l'avocat le lui avait déconseillé tant que le jugement n'était pas rendu. Il fallait pouvoir prouver un éventuel harcèlement. Ouais, en attendant, il lui mettait les nerfs à vif et nous n'avions pas besoin de cela. Aussi avais-je bien veillé à ce qu'elle n'emporte pas son téléphone avec elle pour cette journée.

Loren s'était assoupie dans mes bras et je n'osais bouger, pour ne pas la réveiller. A notre droite, allongée sur le plaid, April dormait, le pouce à la bouche, le doudou serré contre elle. Loren l'avait couverte avec mon sweat pour que le vent, même léger, ne lui donne pas froid. Quant à elle, elle était bien au chaud entre mes bras.

C'était nouveau pour moi, ces moments-là. Etre toute la journée avec mes deux perles. Mais c'était agréable aussi. Bien entendu, cela ne durerait qu'un temps, car lorsque nous recommencerions à écrire, les gars et moi, à répéter, je retournerais alors au studio. De toute façon, après nos vacances, on s'y retrouverait tous les quatre, voire avec David, au moins une à deux fois par semaine. Même si nous n'entamerions pas de nouvelles compositions et encore moins l'enregistrement d'un autre album, nous aurions besoin de jouer ensemble, de répéter. Ca pouvait être aussi un bon départ pour créer.

En attendant, j'en profitais à fond. De l'une comme de l'autre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0