Chapitre 50 : Loren

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Debout près de la fenêtre, mon regard suivait deux silhouettes marchant lentement le long du quai. Snoog tenait April par la main et s'éloignait tranquillement vers l'ouest. Un léger sourire se dessina sur mon visage pourtant sérieux. Cette vision m'apporta le petit réconfort et l'encouragement qui me manquaient.

La tournée était terminée. Le groupe venait de rentrer à Glasgow, mais Snoog et moi avions fait un petit crochet par Edimbourg où nous étions demeurés quelques jours. Si j'avais pu les rejoindre au cours de la tournée à Dublin, j'avais aussi assisté au tout dernier concert, à Londres. A chaque fois, j'avais emmené April avec moi, trop heureuse de revoir son père, et il y avait toujours eu une des autres compagnes des musiciens pour la garder en compagnie de ses presque désormais inséparables amis, Thilia et Steve. Ces trois-là formaient déjà une sacrée petite bande et je ne doutais pas que dès qu'ils reverraient Coleen - ce qui ne saurait tarder puisque Treddy récupèrerait certainement sa fille pour quelques jours -, ils s'en donneraient tous à coeur joie.

A Edimbourg, j'avais bouclé le projet pour Stirling : d'ici trois mois environ, je reprendrais contact avec l'équipe sur place pour un suivi qui pourrait durer de quelques semaines à six mois, selon leurs besoins. Je pouvais donc considérer que le projet était quasiment achevé. Je n'avais pas l'intention d'enchaîner pour le moment sur un autre, car nous avions d'autres envies, Snoog et moi. Sans compter que j'avais aussi plusieurs choses à régler, et non des moindres.

Je m'attardai encore à les regarder, Snoog tenant la main de sa fille, écartant d'un geste une ou deux personnes qui s'approchaient d'eux : je notai sa vigilance extrême pour éviter qu'April ne soit prise en photo à notre insu ou que des fans ne viennent l'embêter. Il m'avait aussi rassurée sur ce point, me certifiant qu'à Glasgow, nous serions relativement tranquilles et à peu près épargnés par les groupies. Mais sans doute que sa perception du "à peu près épargnés" était un peu différente de la mienne, et sa tolérance plus grande aussi. Sauf peut-être quand il s'agissait d'April.

Puis je me décidai à abandonner la vue pour aller m'installer dans le canapé en prenant mon téléphone. Si Snoog avait emmené April pour une petite promenade, ce n'était pas seulement parce qu'il avait envie de prendre l'air, pas seulement parce que cela ferait du bien à la petite, pas seulement parce qu'il faisait beau. Mais surtout parce que je lui avais demandé de me laisser seule.

Il était grand temps que j'appelle Jim. J'avais pensé le faire après mon petit séjour à Glasgow, alors que le groupe entamait les deux dernières étapes de la tournée : d'abord en Irlande et enfin, en Angleterre, mais Snoog était parvenu à me décider d'attendre son retour. Il craignait que Jim ne se montre menaçant ou odieux. A chaque fois que j'avais été en contact avec lui, il n'avait pas été particulièrement aimable. Mais je voulais mettre les choses au clair. C'était important pour nous trois, pour construire notre vie désormais.

Je lançai son numéro d'un geste sûr. Plusieurs sonneries se firent entendre et je craignis un instant de tomber sur le répondeur. J'avais pourtant choisi de l'appeler un samedi, en fin d'après-midi : il ne travaillait pas, je ne le dérangerais sans doute pas.

- Quoi ?

Hum, formidable, déjà très aimable. Je gardai mon calme, c'était important.

- Bonjour, Jim. Je t'appelle car j'avais plusieurs choses à voir avec toi.

- Ah ouais ? Ca fait des semaines que t'as pas donné de nouvelles et là, tu veux du fric, c'est ça ?

Il me lançait là une perche que je n'avais pourtant pas l'intention de saisir si vite, mais après tout, pourquoi ne pas profiter de l'occasion ?

- Et d'une, je ne vois pas pourquoi je te donnerais des nouvelles. Si tu veux en avoir d'April, tu peux le faire toi-même. Quant à l'argent, je voulais justement te rassurer sur ce point : je ne t'en demanderai plus un centime.

Un silence suivit ma tirade. Puis je l'entendis soupirer :

- Tiens donc. Et pourquoi ? Tu as trouvé un autre pauvre type à saigner ? Tu fais des extras en plus de tes contrats et ça te suffit ?

J'évitai de m'attarder sur ses insultes : à chaque appel, de toute façon, j'y avais droit. A ses yeux, j'étais une salope. Je pouvais comprendre sa ligne de défense qui était de me détester. Mais ses propos ne devaient pas m'atteindre : ils n'étaient que le reflet de ce qu'il ressentait pour moi, de ce que j'avais aussi été pour lui. En le quittant, je lui avais mis le nez dans ses erreurs, échappant à son comportement manipulateur. Oui, de l'amour à la haine, il n'y avait qu'un pas. Avait-il jamais ressenti de l'amour pour moi ? J'en doutais fort, mais là n'était plus la question. Je repris, posément :

- Pas du tout. C'est simplement que je vis maintenant avec le vrai père d'April et que je n'ai nul besoin de toi pour l'élever.

Ce ne fut pas un silence qui me répondit, mais un grand cri :

- Quoi ? Tu peux me répéter ta dernière connerie, là ?

- Je dis que je vis maintenant avec le vrai père d'April et que tu peux garder ton sacro-saint argent. Je suis même en mesure de te rembourser les quelques centaines de livres que tu m'avais versées.

- Tu débloques complètement, ma pauvre Loren, ricana-t-il. Le vrai père d'April ? Mais je suis son père !

- Non. Et j'en ai la preuve. J'avais des doutes. Nous avons fait des tests génétiques et c'est la vérité : ce n'est pas toi le père d'April.

Il resta enfin un peu silencieux, pour encaisser la nouvelle. Puis il rugit :

- Tu m'as trompé ? C'est ça ? Tu m'as trompé avec un autre mec ! Mais t'es qu'une pute, Loren, une pute !

- Je t'interdis de m'insulter ! lançai-je avec une pointe de colère car il commençait sérieusement à m'agacer. Oui, je t'ai trompé. Mais avec un homme que je connais depuis plus longtemps que toi, qui a toujours été là pour moi, même si nous ne pouvions pas vivre ensemble pour des raisons qui ne te regardent pas ! Laisse-moi parler ! fis-je alors qu'il tentait de me couper. Je voulais t'annoncer que tu allais recevoir d'ici quelques jours une convocation au tribunal d'Edimbourg pour clarifier la situation sur le plan juridique. Je te rembourserai alors l'argent que tu as versé pour April.

- Ta gueule, fit-il. Tu peux dire ce que tu veux, mais t'es qu'une sale pute.

Et il raccrocha.

Je fermai les yeux, me laissai aller contre le dossier du canapé. Puis je me redressai un peu, reposai le téléphone sur la table basse. Je m'étais attendue à un échange difficile, à des propos violents. Malgré tout, il fallait quand même encaisser.

**

Deux bras aimants m'entourèrent alors que je fixais sans vraiment la voir la rive nord de la Clyde et les collines de la ville.

- April dort. Maintenant, tu me racontes tout.

Je fermai les yeux et me laissai aller contre son torse. Au retour de la promenade, il avait bien vu mon visage fermé et même s'il n'avait pu s'empêcher de me lancer un petit "Alors ?", Snoog avait accepté ma réponse : "Après le repas, quand April dormira". Même si elle était encore petite, je voulais lui épargner d'entendre certaines choses, mais aussi de sentir mes peurs, ma colère. Et plus encore, celle de son père.

Je soupirai et, les yeux toujours fermés, je commençai à raconter :

- J'ai pu lui dire à peu près ce que je voulais qu'il sache. La conversation a été finalement assez courte, j'aurais pensé qu'il m'en aurait demandé plus, surtout à un moment...

- Tu lui as dit pour April, alors ?

- Oui.

- Et ?

Je m'écartai un peu et me tournai vers lui :

- Tu tiens vraiment à savoir ce qu'il m'a dit ? De quoi il m'a traitée ?

- Ok. Pas la peine. Je vois l'genre, répondit-il d'une voix étonnament calme.

Mais ses yeux lançaient des éclairs.

- J'ai pu lui préciser qu'il allait recevoir une convocation au tribunal. Pour régler tout cela. Je ne sais pas s'il pensera à prendre un avocat.

- Ce n'est pas ton problème.

- Non, je sais... Moi j'en ai un. Ou plutôt deux, ajoutai-je avec un léger sourire qui s'afficha sur mes lèvres plus pour me réconforter moi-même que pour faire un trait d'humour.

- Chuis pas avocat, fit-il. Mais il a intérêt à être correct. Je f'rai pas dans la dentelle.

- Je sais, dis-je en caressant doucement son bras. Mais n'oublie pas qu'on a décidé de garder notre calme le mieux possible.

- J'peux t'promettre plein de choses, Loren. Mais pas de rester muet, ni les bras ballants, si quelqu'un t'insulte, te fait du mal ou cherche à t'en faire. Et pareil si c'est April qu'on vise.

Je hochai simplement la tête. Puis je revins me blottir contre lui. Il m'entoura de ses bras alors que ma tête se nichait contre son épaule. Pour la première fois de ma vie, oui, vraiment pour la première fois de ma vie, je me sentais protégée et choyée. Aimée.

Vraiment aimée.

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