Chapitre 34 : Snoog

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- Moi, j'crois qu'tu devrais.

- Ouaip, chuis d'accord.

Ah putain... Mais quelle idée, non mais quelle idée j'avais eue ! Dire à mes potes que Loren assisterait au concert dans deux jours, à Edimbourg. J'aurais mieux fait de fermer ma grande gueule.

Je jetai un regard noir en direction de Lynn et de Stair qui étaient en train de s'amuser à mes dépens comme des petits fous. Treddy n'avait encore rien dit, laissant les deux autres avancer leurs arguments. Mais le connaissant, il allait être d'accord. Putain, font chier ! David, lui, avait l'air un peu embêté. Et je pouvais le comprendre : il n'avait jamais joué cette chanson, et pour cause. Elle figurait sur le troisième album, et nous ne l'avions jamais interprétée en concert. Je m'étais toujours interdit de la chanter, même à Wembley alors que Loren assistait au concert : j'aurais pu lui en faire cadeau à l'époque. Mais je ne savais pas trop où elle en était, sentimentalement parlant, et je n'avais pas voulu réveiller des blessures. Si j'avais su, avant le concert, qu'elle s'apprêtait à se mettre en couple avec l'autre espèce d'abruti, j'aurais insisté un petit peu plus. Enfin, facile à dire maintenant. J'aurais été bien incapable, à l'époque de Wembley, de dire que je tenais vraiment à elle.

David était donc mon seul atout, en fait. Je lançai l'argument avant que Treddy ne fasse pencher la balance :

- David la connaît pas.

- La chanson ou Loren ? lança Lynn avec l'air se foutre de plus en plus de ma gueule.

- Les deux, grognai-je en réponse.

Mais Treddy m'assassina en traître. Ces Ecossais ont la dent dure. Des vrais rocs. Ils n'oublient jamais rien. Et là, c'était comme s'il pouvait se venger de Culloden et du référendum raté par la même occasion.

- De toute façon, il n'y a qu'une ligne de guitare. On sera juste trois à jouer.

Je m'affalai en arrière contre le dossier du fauteuil dans lequel j'étais assis. Avant de porter mon poignet à mon front et de fermer les yeux. J'essayai d'imaginer ce que ça pourrait donner. Ils ne se rendaient pas compte, ces andouilles !

En fait, si, ils se rendaient compte. Et même très bien. Chaque soir, Stair et Lynn se mettaient à nu quand on interprétait Reviens ! et Redemption. Chaque soir, Treddy donnait toutes ses tripes sur Morte Ghlinne Comhann. Et moi, je voulais la ramener avec une seule et unique interprétation de Loren ?

Loren... Ne pas penser à elle était difficile. Ne pas penser à April aussi. Ce qu'elles me manquaient... Déjà près de trois mois que je n'avais pas pu faire un saut en Ecosse, tant les dates en Europe s'enchaînaient. Ouais, c'était vraiment trop facile pour mes lascars. Eux, ils avaient femme et enfant dans leur sillage. Bon, sauf Treddy qui ne pouvait pas emmener Coleen. Mais les deux autres, les morpions étaient toujours dans leurs pattes et leurs gonzesses pendues à leur cou. Et moi, j'avais même droit aux morpions sur les genoux. Mais pas les gonzesses pendues à mon cou, dommage.

Je restai ainsi un long moment. Les autres ne disaient rien. Ils attendaient ma décision. Je repensai à nos dernières discussions, à Loren et moi. Son souhait de me laisser le choix, de ne pas s'imposer, de ne pas m'imposer April. De me laisser les voir quand j'en aurais envie. Mais merde ! J'avais envie de les avoir avec moi... tout le temps.

Je rouvris les yeux, fixant le plafond. Puis je dis :

- Ok. Mais à deux conditions : vous mouftez rien devant vos nanas et Gordon, y'a qu'l'ingé-son qu'on met au parfum. Et y'aura pas Redemption. On termine par Loren.

**

On la répéta un peu, histoire de se remettre le morceau dans les doigts et dans les tripes. Nous n'avions pas beaucoup de temps, alors ce fut vite fait. Puis arriva le soir du concert. On n'avait rien dit aux filles, ça avait été clair pour moi. Déjà qu'avoir eu à subir les piques de mes potes, alors me taper en plus les commentaires des nanas, non merci. Ils avaient bien compris qu'il ne fallait pas trop tirer sur la corde non plus. Et quand j'avais ajouté que je ne chanterais plus rien après cette chanson, Lynn avait simplement hoché la tête. Pourquoi j'avais craint qu'il insiste quand même pour Redemption ? J'étais vraiment trop con, parfois.

Nous étions arrivés la veille à Edimbourg. J'avais juste envoyé un message à Loren pour lui confirmer que c'était bon pour son billet d'entrée, et je lui avais fait parvenir le passe pour qu'elle me rejoigne ensuite. Enfin, si elle voulait.

Les délais étaient trop courts pour que je passe la voir avant le concert et, d'une certaine façon, je préférais qu'on se retrouve après. J'aurais l'esprit plus serein. Contrairement à mon habitude, je n'avais pas profité de notre temps libre pour arpenter les rues. De toute façon, Edimbourg était ville conquise à notre cause. Ou peut-être était-ce nous qui étions conquis à celle de la ville et du pays du tout entier. Allez savoir.

Non, j'avais préféré rester à l'hôtel. J'avais réussi à dormir un peu avant de retrouver tout le groupe pour nous rendre à la salle, faire les balances. Je ressentais un mélange d'émotions assez étrange. Un peu comme à Paris, quand j'attendais les résultats des tests génétiques. Mais avec de l'énergie aussi, comme d'habitude, à quelques heures de monter sur scène.

**

J'étais comme seul sur scène. Pourtant, les autres étaient là, derrière moi, bien présents. David était sorti, sachant que, pour lui, le tour de chant était terminé. Nous étions juste les Dark. Avec l'esprit de Ruggy planant quelque part par là, forcément. Les projecteurs s'étaient tous éteints. Je reprenais mon souffle. On venait de finir Reviens ! Et normalement, on aurait enchaîné avec Redemption. Normalement. Mais, ce soir, il n'y aurait rien de normal. Rien d'habituel. Ce soir, j'allais faire quelque chose que je n'avais jamais fait dans ma vie. Et que je ne ferais qu'une seule fois.

Ce soir, j'allais exposer toutes mes tripes et mon cœur devant le public. Mais surtout, surtout, devant Elle.

Loren...

Le projecteur s'alluma. Je voulus commencer, souffler son prénom. Ce fut à peine un murmure. Puis, comme si je m'étais trouvé au-dessus d'un précipice et que je n'avais pas d'autre choix que sauter, je me lançai. Je posai ma main sur le micro et Treddy lança les premières notes, à la guitare sèche. Je ne pouvais plus reculer. Lynn me colla un long frisson avec sa façon d'effleurer ses cymbales, puis Stair s'avança, pas très loin de moi, et se mit à jouer. Ils étaient là.

Tous pour un.

Et pour Loren...

**

Ambiance.

Edimbourg.

Un soir de pluie fine, de ce crachin qui enveloppait la ville comme un halo soyeux.

La salle illuminée de tous ses feux. Le grondement de la foule. Les battements de pieds. Les sifflements.

Et soudain le silence.

La scène plongée dans le noir.

Jusqu'à ce qu'un projecteur s'allume plein feu pour n'éclairer que lui.

Il ferma brièvement, presque imperceptiblement les yeux.

C'était la première et la seule fois qu'ils allaient interpréter cette chanson sur scène. Il avait toujours refusé de la jouer, quelles que soient les circonstances. Mais ce soir-là, c'était aussi la seule fois où il pouvait le faire. Où il devait le faire.

Il leva lentement la main gauche pour la poser sur le micro, c'était le signe que Treddy guettait pour commencer à jouer. Des notes à la guitare sèche, des notes que les fans avaient mises de côté, avaient oubliées.

Sauf une.

Elle était là, parmi la foule. Le cœur battant. Les lèvres tremblantes. Les larmes déjà au bord des cils.

Loren...

Le premier mot, à peine soufflé. Qu'il reprit plus fort ensuite. Puis Lynn fit frémir ses cymbales avec une délicatesse et une légèreté à en émouvoir les plus insensibles. Quelques notes plus graves et c'était Stair qui, maintenant, avançait de concert avec Treddy.

Son chant monta haut, puissant. Un cri, une rage, un appel, une espérance.

Sa voix flancha un instant, sur un mot, avant de se reprendre pour achever la chanson.

Loren,

De la haine à l'amour

Il n'y a qu'un pas

Loren,

De la haine à l'amour

Je serai là pour toi.

Loren...

Puis le noir, à nouveau. Et le silence.

Il n'y aurait pas d'autre chanson ce soir. Pas de Redemption pour les fans. Une exception.

**

La foule. Le bruit. Les bousculades. Remonter à contre-courant. Montrer son passe. Le sésame magique. Avancer encore, longer un couloir. Du bruit, toujours. Moins de monde. Une chaleur impensable. La sueur qui lui coulait jusqu'au creux des reins. Son souffle qui s'amenuisait. Avancer, encore, toujours.

La porte de la loge, enfin. Frapper. Entrer.

Il était là, torse nu. Vidé, à vif, mais toujours aussi beau.

Son regard qui se planta dans le sien, s'y vrilla et s'y retint.

Cette électricité dans l'air. Cet air qui se raréfia soudain.

Et la chaleur de sa main sur sa joue. La caresse d'un doigt essuyant une larme. Sa bouche dévorant ses lèvres. Tout cet homme avec lequel elle ne voulait faire qu'un désormais.

A jamais.

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