Chapitre 31 : Snoog

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- Et voilà. Elle m'a lâché ça comme une bombe. Vous savez tout, maintenant.

Une myriade de paires d'yeux me fixait avec intensité. J'étais avachi dans un des fauteuils chez Jenna et Lynn, à écouter déblatérer mes potes. A les écouter se foutre de ma gueule en beauté. Tous les Dark - sauf Gordon - étaient là autour de moi. Avec femmes et enfants, même si on avait coincé Thilia et Steve dans la chambre. Faites pas de bêtises, les mouflets, c'est pas encore de votre âge. Puis suivez pas mon exemple, surtout.

Les aveux de Loren m'avaient laissé sur le cul. En me rendant à Edimbourg, j'avais espéré passer quelques moments agréables avec elle, voir sa fille, discuter, prendre des nouvelles. Et pourquoi pas, y passer la nuit. Je ne m'attendais ni à ce qu'elle s'y soit installée définitivement, ni à ce qu'elle ait quitté l'autre abruti, et surtout pas à ce qu'elle me balance qu'April était peut-être ma fille. Elle avait des doutes. Comme seules les femmes pouvaient en avoir, car c'était bien un truc de gonzesses, ça. Le seul moyen d'être certain, c'était de faire un test. J'allais m'y plier, car je voulais moi aussi en avoir le cœur net et je sentais que c'était très important pour Loren. Elle ne voulait pas continuer à vivre en se posant des questions à ce sujet. Après... Après, je n'en savais fichtrement rien. Qu'est-ce que j'allais faire ? Bien entendu que je l'aiderais. Je l'aurais aidée, je les aurais aidées, même si April n'était pas ma fille. Mais si elle l'était...

Les gars demeuraient silencieux, les filles encaissaient la nouvelle. Edna avait ouvert de grands yeux, mais Ally encore plus. Stair et Lynn avaient échangé un long regard, Treddy avait secoué la tête : il était passé par une situation similaire et serait sans doute celui qui serait le mieux à même de me comprendre. Stair et Lynn avaient voulu leurs gamins, c'était pas pareil.

Le silence ne dura pas bien longtemps. Et Stair réattaqua le premier, en jetant un dernier regard à la photo affichée sur l'écran de mon téléphone que j'avais posé sur la table basse :

- C'est vrai qu'elle te ressemble vraiment.

- Tu sais que ça t'ira bien.

- Elle a un très joli nom. Je suis certain qu'on pourra faire une belle chanson, que tu pourras lui écrire une belle chanson.

- Sa mère, elle est canon...

Je levai les yeux au plafond. Heureusement qu'il était haut, car j'avais vraiment besoin de prendre de la hauteur.

Le "c'est pas pour moi". Le "pas d'femme, pas d'môme, pas d'entraves". Ah ouais... Tin, j'avais gagné le gros lot, là.

Bon, je devais reconnaître que c'était aussi franchement de ma faute, mais... Mais la mouflette, elle était quand même à croquer et à craquer. Belle comme tout. Et le vrai trésor de sa mère. Ce n'était pas rien, surtout dans la situation actuelle.

Une main se posa gentiment sur mon bras. Je baissai les yeux et croisai le regard de Jenna. Elle n'avait encore rien dit, mais souriait doucement.

- Ce n'est pas la pire catastrophe que la Terre ait portée, non, Snoog ? me fit-elle.

Ah, Jenna... Tu veux me faire relativiser, moi ? Non mais, où t'as vu ça ? Je soupirai.

- Ah... Pff... Mff... Han... Hon... Chais pas...

- Loren va avoir besoin d'aide, là. Tu ne crois pas que c'est le plus important ?

Si, bien sûr. Imaginer qu'elle ait pu galérer autant que ça, sans rien me dire, à faire face au quotidien avec cet enfoiré de mes deux qui se croyait le roi du monde ? Connard, va.

**

J'étais de retour chez moi. Je referais un saut à Edimbourg dans deux jours, pour le rendez-vous à l'hôpital pour faire le test. Juste une prise de sang, mais cela devait être fait selon un certain protocole et, en-dehors du laboratoire de la police scientifique qui était habilité, mais pour bien d'autres raisons, seul ce service hospitalier à Edimbourg pouvait faire des analyses ADN pour des besoins personnels. April et Loren devraient aussi se plier à la prise de sang. J'espérais que la louloute n'aurait pas trop peur et pas mal. Moi, ça ne me ferait rien. Je me testais régulièrement depuis des années, car même si je prenais mes précautions avec les filles, je n'étais pas à l'abri d'un accident. La preuve.

Quand Loren m'avait fait part de ses doutes, j'avais d'abord longuement fixé April. Certes, elle avait les cheveux blonds et les yeux bleus, comme moi. Mais aussi comme l'autre abruti. Donc rien de flagrant. Et les doutes de Loren s'appuyaient quand même sur quelque chose de très mince. Je m'étais renseigné et Jenna et Ally m'avaient confirmé que c'était possible. Rare, mais possible. Et comme Loren était bourrée d'hormones à ce moment-là, il avait suffi de bien peu...

Oui, vraiment bien peu... Les souvenirs de cette nuit-là affluaient à mon esprit, comme des flashs. Pour une Loren soi-disant fatiguée, j'avais quand même eu droit à une nuit assez torride, même si nous avions déjà fait pire. Qu'est-ce qui m'avait pris aussi, de l'entraîner sous la douche sans prévoir de capote ? J'aurais bien dû me douter que je ne pourrais pas me contenter de simples caresses, que je n'aurais pas pu m'empêcher de la prendre. Je n'y étais pas parvenu avec les massages, alors la douche... Tout ça pour me rafraîchir un peu, croyant naïvement que je parviendrais à tempérer ses ardeurs - et les miennes. Pourtant, je savais bien que j'adorais me retrouver dans une baignoire ou une douche avec une fille et avec Loren en particulier. Avec elle, il y avait toujours un moment, soir, nuit, matin, après-midi, où on se retrouvait sous ou dans l'eau.

Elle s'était donc à peine remise de son orgasme et moi du mien que nous nous étions retrouvés dans la salle de bain. Sa chevelure ne ressemblait vraiment plus à rien et la mienne devait offrir à peu de choses près le même spectacle, aussi avais-je commencé par lui faire un shampoing en la tournant dos à moi. J'avais pris le temps de lui masser le crâne, puis j'avais continué autour de ses épaules. Alors que je m'occupais de sa nuque, elle avait baissé un peu la tête, fermant les yeux. Elle savourait et j'en avais souris : au moins, je lui avais offert ce dont elle avait besoin. Mes pouces avaient insisté autour de ses omoplates, dénouant encore quelques noeuds résiduels. Puis mes mains avaient entouré son ventre, ses hanches, s'attardant sur ses fesses. Elles étaient si fermes sous mes paumes, j'adorais les parcourir ainsi. Elle avait gémi, s'était cambrée un peu et avait ainsi collé son bassin au mien. Il ne m'en avait pas fallu plus pour réveiller mon désir et je l'avais retournée vers moi, l'avait soulevée en la plaquant contre la paroi humide. Ses jambes s'étaient enroulées autour de mes reins et je l'avais pénétrée. L'eau ruisselait sur son visage, ses plaintes s'étaient accentuées. Nous étions bien partis pour une nouvelle étreinte torride. J'avais le souvenir que c'était absolument délicieux, d'être ainsi en elle, sans barrière... jusqu'à ce que je finisse par me rendre compte de ce que nous faisions, que je n'avais pas mis de capote et je l'avais alors ramenée dans la chambre. Je l'avais étendue sur le lit, dégoulinante d'eau, j'avais attrapé un sachet et j'avais terminé ce que nous avions si bien entamé.

Sans me douter que l'imprévisible était alors en route. Du moins, peut-être. Tant que le test ne serait pas fait, le doute subsisterait. Pour Loren comme pour moi.

Je ne pouvais pas dire ce que je souhaitais. Si April était ma fille, Loren n'aurait plus beaucoup de liens avec son ex. Celui-ci devrait fermer sa grande gueule et il n'aurait aucun droit sur elles. Mais quels liens je créerais alors avec elles ? Je menais une vie de bourlingueur, d'artiste. Rock star, ça avait été un rêve, c'était devenu une réalité. Lynn et Stair avaient entraîné Jenna et Ally dans ce mode de vie, elles s'y étaient fondues aussi parce qu'elles étaient là quasiment depuis le début, qu'elles nous avaient accompagnés et qu'elles avaient franchi chaque étape avec nous. C'était plus facile pour elles à appréhender. Mais Loren ?

Elle n'avait aucune idée ou alors très vague de ce qu'impliquait le succès. Pourrait-elle aussi s'habituer au rythme du groupe ? Entre les périodes en studio où nous vivions en total décalalage, enregistrant parfois certains morceaux en pleine nuit, et le rythme d'une tournée, à changer d'hôtels, de villes tous les trois-quatre jours ? A passer d'un pays à l'autre au point que, parfois, on ne savait plus trop bien où on se trouvait ? Et que dire des fans ? Des groupies ? A nous attendre par hordes dans les aéroports, près des hôtels, des salles de concert ? Comment pourrais-je les protéger de cet impact ? Comment pourraient-elles supporter cette vie-là ? Ne serait-ce pas trop dur et trop dangereux pour elles ?

Une chose était sûre aussi, c'était que je ne voulais pas qu'elle se retrouve à m'attendre. Qu'après avoir été la bonniche de son ex, elle soit dans la même situation avec moi. A attendre que je revienne du studio, à attendre que je revienne de répétition, à attendre que je revienne d'une tournée, d'un concert. Et que, pendant ce temps, elle bosse pour elle et s'occupe d'April. Ca, c'était niet. Je ne supporterais pas de lui imposer ce mode de vie pour elle-même et pour la petiote, mais aussi pour moi. Ca me ferait chier grave.

Bien sûr, j'avais l'exemple d'Ally et Jenna sous les yeux, et dans une moindre mesure car ils ne s'étaient pas encore reproduits, d'Edna et Treddy. Ally et Jenna avaient trouvé leur équilibre entre tous leurs rôles, compagnes, mères, infirmières et même amies. Leur association fonctionnait bien aussi. Et comme on assurait financièrement, elles pouvaient s'interrompre sur de longues périodes pour nous accompagner en tournée. Franchement, je ne voyais pas Loren me suivre au quotidien.

Si je n'étais pas le père d'April, au fond, ça ne ferait pas beaucoup de différences, hormis que ce serait à moi de fermer ma gueule concernant l'éducation et l'avenir de la louloute. L'autre abruti aurait encore des droits sur elle, il pourrait encore emmerder Loren. Cela pourrait tourner vinaigre, ça serait alors un long combat. Qu'elle aurait à mener, même si je me trouvais le plus possible à ses côtés, à l'épauler.

J'en étais là de mes réflexions lorsqu'on sonna à la porte. J'ouvris et, bizarrement, je ne fus même pas surpris de voir Jenna sur le seuil. Je la fis entrer et lui proposai un coup à boire. Elle accepta volontiers une bière. Hum, ça allait être du sérieux.

Elle prit place dans le sofa, moi dans un fauteuil en face d'elle, après avoir décapsulé nos bouteilles.

- Comment tu vas ? me demanda-t-elle d'emblée.

- Ca va. Je réfléchis. Je sais pas par quel bout prendre le problème, mais bon... Y'aura forcément une solution.

- C'est sûr. Le tout est de trouver la meilleure possible. Déjà, je pense que tant que vous n'avez pas les résultats de l'analyse ADN, il faut éviter de se projeter trop loin.

- Ouaip. Plus facile à dire qu'à faire, rétorquai-je avec un peu d'humour.

- Oui, j'en conviens, sourit-elle. Mais dis-moi, Snoog, tu pensais nous la cacher pendant combien de temps, Loren ?

- Je vois pas en quoi c'était important de vous la présenter ou de vous parler d'elle.

Elle me fixa de son regard acéré. Ah, Jenna...

- Evidemment. Elle est quand même la seule fille à laquelle tu te sois un tant soit peu attaché, depuis plusieurs années, même si vous vous voyez assez peu. Mais tu avais gardé le contact et elle aussi. A part ça, si tu dis que c'est anodin... Je veux bien te croire.

Elle me souriait toujours de son petit sourire à la fois provocateur, coquin et intelligent. Je comprenais que Lynn ait craqué. Mais ses remarques étaient loin d'être stupides.

- Et alors ?

- Tu comptes te voiler la face durant combien de temps encore ? Avoir besoin de combien de coups de pied au cul ? Ne me dis pas que tu trouverais ta vie toujours aussi géniale si, subitement, Loren en disparaissait. Et je ne parle même pas d'April.

- C'est clair que j'aimerais pas. Mais si ce que tu cherches à me faire dire, c'est que je suis raide dingue amoureux d'elle, tu reviendras plus tard. Je pense que c'est totalement secondaire et qu'il y a plus important à gérer, là.

- Comme tu veux.

"Jenna... M'énerve pas, là. T'es venue pour quoi ? Je veux bien poursuivre cette conversation si c'est vraiment constructif et si c'est vraiment pour m'aider. En revanche, si tu veux me faire la morale et m'emmerder avec des idées romantico-cucul, je te renvoie chez vous fissa."

Son petit sourire quitta son visage et son regard se fit sérieux.

- Snoog, quoi que vous décidiez, Loren et toi, quoi qu'il arrive, je veux dire quel que soit le résultat de l'analyse... On est là. Parce que quelque chose me dit que si April n'est finalement pas ta fille, ce sera un coup dur à encaisser pour toi et pour Loren aussi. Même si je ne la connais pas encore, ce que tu nous as dit d'elle me suffit pour penser cela.

Je me laissai aller contre le dossier du fauteuil, un peu plus détendu. Jenna me rappelait une autre réalité : la solidité des liens tissés entre nous tous. Cette solidarité et cette amitié que nous avions forgées au fil des années, entretenues, enrichies. Ce truc indestructible qui nous faisait tous tenir debout, qui nous permettait d'avancer et de dépasser les obstacles. Si, en-dehors de l'accident de Ruggy, j'avais surtout épaulé les autres dans des moments difficiles, que ce soit en chantant pour qu'Ally revienne vers Stair, en soutenant Jenna et Lynn dans l'attente des résultats pour le futur bébé ou en me trouvant aux côtés de Treddy quand il avait fallu dire ses quatre vérités à son ex et l'aider à récupérer la gamine pour un week-end, la réciprocité avait été rare car je n'avais jamais eu vraiment de moments cruciaux ou difficiles à vivre. En tout cas, rien ne nécessitant de faire appel à cette fameuse entente. Dans le "tous pour un et un pour tous", j'avais toujours été du côté des "tous". Jamais à la place du "un". Ce n'était pas une mauvaise chose que Jenna me le rappelle.

- Merci, dis-je simplement.

Puis nous finîmes notre bière en silence et elle partit peu après.

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