Chapitre 18 : Loren

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J'entrai dans la pièce. Difficile de la décrire. C'était grand, très luxueux, mais avec un petit côté "cosy" aussi. Face à la porte par laquelle j'étais entrée, on pouvait voir une très large baie devant laquelle plusieurs rangs de fauteuils étaient disposés. Je devinai qu'on y prendrait place d'ici peu, pour assister au concert. Des serveurs et serveuses en costume officiaient, passant d'un petit groupe à l'autre avec des verres emplis de champagne ou d'un cocktail sans doute fort cher, de petits fours. Je m'attendais à voir beaucoup de monde, mais finalement, ce n'était pas le cas. Ou alors, peut-être était-ce parce que la pièce était vraiment très vaste et que chacun pouvait y trouver une place sans que ça fasse foule compacte.

Bien entendu, je ne connaissais personne. Et j'étais venue seule, bien qu'étant maintenant en couple avec Jim. Snoog ne m'avait envoyé qu'une seule place en salon VIP, mais m'avait précisé que si j'en voulais d'autres ou même des places pour des proches qui auraient voulu assister au concert parmi les spectateurs, je n'avais qu'à lui demander et il m'en enverrait. Comme je ne voyais pas trop à qui en proposer, je n'avais pas donné suite. Et puis, Jim n'aimait pas le hard-rock et je ne voyais pas comment lui expliquer que j'avais eu une place grâce au chanteur qui avait été un amant passé. Jim préférait le jazz et le folk, et il m'avait fait découvrir beaucoup de groupes et de musiciens que je ne connaissais pas. Je devais bien avouer qu'avant de le rencontrer, en-dehors d'Ella Fitzgerald et de Louis Armstrong, mes connaissances en jazz étaient quand même très limitées.

Enfin, je voulais pouvoir profiter de ce concert, seule. C'était un cadeau. Et peut-être la dernière occasion pour moi de vivre quelque chose de différent, avant de rentrer définitivement dans le droit chemin. Jim était quelqu'un de posé, de sérieux. Même si nous ne nous connaissions pas encore très bien, il avait un effet très stabilisateur sur moi. Je me sentais en confiance avec lui et il était déjà parvenu, même en peu de temps, à faire passer aux oubliettes les quelques rares aventures que j'avais pu avoir depuis Dylan, Snoog mis à part. J'étais bien incapable, aujourd'hui encore, de dire clairement quelle place ce dernier occupait dans ma vie. Snoog était comme une comète, une fulgurance. Un lien, une relation que je n'aurais su définir.

J'acceptai volontiers un verre proposé par un serveur, puis une femme d'une quarantaine d'années, tout à fait le genre "chargée de communication", s'avança vers moi et nous échangeâmes quelques mots. Elle faisait très bien son job et cela me permit de ne pas me sentir trop isolée. Ce fut une conversation assez banale, mais, ma foi, j'appréciai son professionnalisme. Puis elle me laissa pour accueillir d'autres invités. Je remarquai vite un couple un peu âgé, ayant l'air à peu près aussi perdu que moi parmi ces gens en costumes de prix et en belles robes. C'était presque à se demander si nous étions venus voir un groupe de hard-rock. Le monsieur s'approcha de moi et me demanda poliment :

- Bonjour, Mademoiselle, vous attendez quelqu'un ou vous êtes toute seule pour le concert ?

- Bonjour, Monsieur. Je suis toute seule, répondis-je.

- Nous vous avons entendu parler un peu avec Madame, à l'instant. Vous êtes une amie de Snoog ?

Visiblement, ces personnes connaissaient bien le groupe, mais je me demandai bien à qui j'avais à faire. Et je pouvais comprendre leur surprise.

- Oui, répondis-je. Et vous ?

- Nous sommes des proches de Lynn, me répondit-il. Je suis Jack Donovan. C'est la première fois que nous venons dans un tel endroit... C'est impressionnant.

- Je suis d'accord avec vous, dis-je en lui souriant. Moi aussi, je suis impressionnée et c'est aussi la première fois que je me retrouve dans un tel endroit, même s'il m'est arrivé de participer à quelques soirées d'entreprise un peu "classes".

- Je vais vous présenter à mon épouse. Si vous voulez, nous pouvons faire connaissance.

J'acceptai volontiers, car ils m'étaient d'emblée sympathiques. Et sa femme qui, je l'appris de suite, s'appelait Rosie, m'accueillit avec le sourire et me mit à l'aise. En fait, je pourrais dire que nous nous étions mis mutuellement à l'aise. Nous commençâmes donc à discuter, puis, au bout d'un bon quart d'heure environ, Rosie fit remarquer :

- Ah, voilà Ally. Jenna ne va pas tarder non plus, je pense...

Je me trouvais le dos à la porte et je me tournai alors pour voir de qui elle parlait. Je reconnus là la jeune femme blonde que j'avais aperçue brièvement lors du concert de mes vingt-cinq ans, la petite amie de Stair. Elle nous adressa un sourire et traversa la salle pour venir nous parler, non sans avoir auparavant échangé quelques mots avec un couple - qui s'avéra être ses parents -, un tout jeune homme souriant et une grande adolescente toute aussi blonde qu'elle, mais aux cheveux plus longs encore.

- Ils ne vont pas tarder, nous dit-elle. Prenez vite place si vous voulez bien voir.

Nous nous installâmes au deuxième rang, un peu sur la gauche. Nous avions vraiment une vue plongeante sur le stade. Quelques minutes plus tard, une autre jeune femme brune, déjà bien enceinte, vint s'asseoir aux côtés d'Ally, au premier rang. Je devinai sans peine qu'il s'agissait de Jenna. Son visage était serein et je songeai alors que tout devait aller bien pour elle et son bébé. En se penchant vers elle, Monsieur Donovan me le confirma :

- Ca va, Jenna ?

- Oui, ça va. Vous aussi ?

- Très bien. Et les garçons ?

- Un peu le trac, mais prêts à allumer le feu, répondit-elle dans un sourire.

Monsieur Donovan reprit place en souriant. Puis nous entendîmes les premiers frémissements des cymbales de Lynn : le show était en route et rien ne pourrait les arrêter.

Je les avais déjà vus sur différentes scènes, mais jamais encore dans un stade devant des milliers de personnes. Eux en avaient l'habitude, pour avoir joué dans de grands festivals, sur des scènes immenses au cours de leur tournée. Ils enchaînèrent les morceaux avec une énergie incroyable. Mon regard allait de l'un à l'autre, s'attardant parfois sur Snoog. Il était vraiment ce qu'on pouvait qualifier de "bête de scène". Il entraînait tout le public avec lui, autant capable de faire chanter la foule à pleins poumons que d'obtenir un silence quasi-religieux alors qu'il présentait une chanson.

**

La soirée était déjà bien avancée quand Snoog fit son entrée dans le salon VIP. Peu auparavant, Jenna, Ally et sa famille avaient quitté les lieux, sans doute pour les rejoindre dans les loges. Je ne les avais pas vus revenir. Lynn était passé rapidement pour saluer les Donovan qui n'avaient pas tardé à s'en aller eux aussi. Snoog m'avait envoyé un message me disant de l'attendre au salon. Mais j'ignorais combien de temps il me faudrait patienter. J'étais un peu fébrile. Je me demandais bien comment la soirée allait se terminer, si nous pourrions passer un petit moment ensemble ou pas.

Il avait à peine franchi la porte que l'attachée de communication se rua sur lui, l'accaparant autant qu'il lui fut possible. Mais il la planta bien vite sur place pour se diriger droit vers moi.

- Ca va, Loren ? me dit-il direct en glissant sa main sur ma taille pour me rapprocher de lui et m'embrasser sur la joue, mais à la limite de l'oreille et du cou.

- Ca va, répondis-je. Et toi ? Pas trop fatigué ? Vous vous êtes donnés à fond...

- Non, j'ai encore de l'énergie, t'inquiète ! me lança-t-il avec un clin d'œil espiègle.

Je poussai un léger soupir et le fixai :

- Je n'en doute pas. Mais je n'ai pas forcément beaucoup de temps à te consacrer.

- T'as un rencard de prévu ? s'étonna-t-il.

- Je peux juste dîner avec toi, répondis-je.

Son regard se fit plus perçant. Sa main droite n'avait pas quitté ma taille et la gauche se posa alors de l'autre côté pour me rapprocher de lui. Nous étions maintenant face à face et si je ne l'avais pas un peu connu, j'aurais pu dire qu'émanait de lui quelque chose de dangereux. Mais je savais très bien qu'il ne me ferait pas le moindre mal, aussi attendis-je, vaillante et assurée.

- Juste dîner, c'est ça.

- J'imagine que tu n'auras que l'embarras du choix pour après, côté groupies, fis-je remarquer avec ironie.

- Sauf que j'ai réservé ma soirée et ma nuit pour toi, et pas pour des groupies. Je n'ai pas envie d'être avec une groupie, mais avec toi. C'est le dernier concert, c'était Wembley, la tournée est terminée. Je le fête comme je le veux.

Je levai doucement la main droite vers lui, la posai sur son torse comme pour marquer une légère distance entre nous. Sa proximité commençait à me troubler.

- Je ne suis plus seule, Snoog. Il y a quelqu'un dans ma vie et...

- Et c'est sérieux ?

- Ca ne devrait pas tarder à le devenir, répondis-je avec plus d'assurance que je n'en ressentais réellement.

- J'espère qu'il prendra bien soin de toi.

- Je pense qu'il en est capable. On va s'installer ensemble d'ici peu. On est en train de chercher un appartement à nous convenir.

- Je vois. A Newcastle ?

- Non, à York. Il a décroché un bon poste là-bas, il y a deux mois. Et moi, je peux bosser de n'importe où, donc...

- Donc tu le suis.

- Oui.

Il n'ajouta rien, mais leva sa main droite vers mon visage, repoussa une mèche qui s'était échappée de mon chignon pour la glisser derrière mon oreille. Ses doigts s'attardèrent sur ma joue, avec douceur. Je savais bien qu'il était capable de tout, de la tendresse la plus attentive à la fougue la plus entraînante. J'essayai encore de ne pas succomber. Mais lui résister était difficile, surtout avec cette proximité qu'il avait déjà créée entre nous, cette bulle qui, j'en pris alors conscience, nous isolait de tout le reste du monde.

- Si c'est vraiment ce que tu veux, Loren, je le respecte, dit-il en se penchant un peu plus vers moi et je sentis son souffle chaud caresser ma joue. Mais seulement si c'est vraiment ce que tu veux...

Je frissonnai. Il avait collé son bassin au mien, ses mains enserraient mes reins et ses yeux plongeaient en moi comme deux lames acérées. Il dégageait la même puissance, la même aura, la même sauvagerie que sur scène, quand il était capable de captiver des milliers de personnes. Sauf que là, j'étais seule face à lui, sans autre protection que ma volonté. Et en quelques mots, mais aussi de par son attitude, il avait fait voler en éclats mes maigres résolutions. Car je n'oubliais pas qu'en quittant Newcastle tôt ce matin, je m'étais bien dit que je devrais m'attendre à tout.

Imperceptiblement, il resserrait son étreinte, rapprochait son visage du mien. Il était désormais si proche que je pouvais distinguer toutes les nuances de son iris.

- Alors ? fit-il en un souffle.

Et je craquai. Comment lui résister ? Quand, au fond de moi, mes envies, mes désirs et un instinct sauvage me poussaient vers lui ? Je levai les bras, attrapai sa nuque d'un mouvement presque brusque et j'écrasai mes lèvres sur les siennes. Sa réaction ne se fit pas attendre et il m'embrassa avec fougue.

**

- Viens, on s'arrache.

Snoog venait de rompre notre baiser et il m'entraîna aussitôt vers les couloirs que j'avais arpentés quelques heures plus tôt. Nous sortîmes par un accès réservé où un taxi attendait. La tête me tournait un peu, je ne me sentais pas très assurée sur mes jambes, mais je le suivais. Alors que nous étions encore dans le couloir, un homme en costume, très baraqué, s'avança vers Snoog et dit :

- Une bonne centaine. Elles sont un peu loin, mais...

- Ok. La voiture est prête ?

- Oui.

Il hocha simplement la tête avant de se tourner vers moi :

- On a beau vouloir être discret, ça va être difficile de leur échapper. Si tu ne tiens pas à te retrouver en gros plan sur les réseaux sociaux dans les minutes qui viennent, il va falloir cacher ton joli minois.

Et avant que j'aie eu le temps de répondre, il ôta son blouson et m'en couvrit la tête. Je refermai les pans autour de mon visage, respirant avec gourmandise son odeur. Il passa son bras autour de mes épaules, m'entraîna et me guida vers la sortie. J'eus juste conscience que le garde du corps nous accompagnait, se plaçant à ma droite alors que Snoog était sur ma gauche. En quelques secondes, nous avions atteint la voiture et je m'y engouffrai, gardant toujours soigneusement le blouson de Snoog sur mon visage pour me cacher. J'ignorais si les vitres du taxi étaient teintées ou pas.

- Bonsoir les filles ! lança-t-il d'une voix perçante. A une prochaine !!!

Et il me rejoignit aussitôt, fermant la portière d'un geste sec. A l'avant du taxi, aux côtés du chauffeur se tenait un autre garde du corps.

- On y va, dit Snoog avec autorité. A l'hôtel. Et on passe par le parking souterrain, j'ai pas envie de devoir refaire le même cinéma.

- Pas de soucis, répondit le chauffeur.

Il démarra aussitôt, la voiture avança assez lentement sur les premiers mètres, puis il prit de la vitesse et s'engagea avec assurance et rapidité dans les rues. Snoog écarta les pans du blouson et me dit :

- C'est bon, plus besoin de te cacher, Loren.

Je sentis mes épaules retomber et je me laissai aller contre le dossier. Snoog récupéra son blouson, mais le posa sur le côté. Il ne me laissa guère le temps de souffler, car il m'attrapa bien vite et me fit asseoir sur ses genoux. J'avais désormais mon visage légèrement plus haut que le sien ; déjà, sa main glissa sur mon corsage et en fit sauter les deux premiers boutons. Il enfouit sa tête contre ma poitrine et je sentis sa bouche chercher mon sein. Je me mordis les lèvres pour étouffer ma plainte et je me sentis violemment rougir à imaginer que le chauffeur et le garde du corps devaient bien se rincer l'œil. A moins qu'ils n'aient l'habitude... et ne soient d'excellents professionnels qui, dans pareil cas, regardaient pensivement ailleurs.

Notre arrivée à l'hôtel fut moins mouvementée que notre départ du stade. Je pus constater que Snoog ne m'avait nullement menti concernant l'énergie qui lui restait encore car à peine les portes de l'ascenseur se furent-elles refermées sur nous qu'il m'étreignit à nouveau et m'embrassa profondément. Ma dernière pensée un peu lucide fut de souhaiter qu'il savait exactement où se trouvait sa chambre...

**

Ce fut une nouvelle nuit de folie. Comme il m'en avait déjà fait vivre et surtout me rappelant beaucoup la première. Peut-être était-ce parce qu'il venait de se produire sur scène et que c'était alors un contexte bien différent de notre escapade tout au nord de l'Ecosse.

Encore une fois, j'oubliais tout. Tout de ma vie bien rangée, bien sage. Tout de mon passé amoureux un peu chaotique. Tout de mes espoirs et de mes projets. Dylan avait, autrefois, été balayé par un vent sauvage. Jim menaçait de l'être tout autant. Sauf que j'avais bien implicitement retenu l'adage : ne pas tomber amoureuse de Snoog.

Ce ne pouvait donc être qu'une seule nuit de folie, de plaisir et de partage. Aller au bout de nos envies. Combler tous nos désirs. Car ce serait la dernière fois.

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