Voix perdues
Du haut des échafaudages, sa voix de ténor osait : opéra, opérette, variété.
Au temps des tensions mystérieuses, leurs voix s’entrechoquaient, deux armes aiguisées, la sienne à elle distincte et en hauteur, la sienne à lui tout en résonance alarmante.
En de tels moments, ces deux voix empruntaient l’allemand, que j’appelais la langue de la guerre. Bien trop petite, je ne faisais évidemment pas référence à l’histoire. Chaque fois qu’ils se disputaient, leurs voix usaient de cette langue inconnue, âcre. Piètre subterfuge : les sons âpres suffisaient à nous annoncer le duel vocal.
La cacophonie était fulgurante, compensée par un autre mystère, un territoire fabuleux, souvent le soir au moment du coucher.
Elle élevait la main, légèrement, les doigts séparés en une courbe de danseuse, et de sa gorge s’évadaient des notes fluides, limpides, hautes et légères, en trilles. Un oiseau.
Les pêcheurs de perles. Aux marches du palais. Carmen. Miette si jolie, si joliette. La forza del destino de Verdi.
Sa main sculptait l’air sous nos yeux ébahis. Elle laissait sa voix vibrer, s’élançait, haut. Une note étoilée.
Il tenait la sienne, descendait vers les graves, paraissait l’attendre quand il n’en n’était rien. Et leurs voix se mêlaient en un accord qui nous cueillait au cœur, à l’oreille, et nous faisait pleurer. D’un bonheur inexprimable.
Sa voix à elle a disparu, mort prématurée. Son chant à lui s’est tu. Désenchanté.
Alors je chante.
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