Chapitre 7

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J'avance avec le sentiment de fierté de celui qui brave les interdits pour réaliser un geste héroïque. Mais à vrai dire, personne ne remarque que je m'apprète à parler au chauffeur. Tout comme personne, à part ma voisine, n'a vu que nous ne roulions plus sur la route. À l'arrière, les experts en OVNIS poursuivent leur discussion ; quelques sièges plus loin j'entends des « Mouais » lâchés avec fatigue par "Doña Julita", la mère du policier intergalactique. Et moi, je fais preuve d'équilibre, malgré le chaos, pour continuer mon avancée sans me tenir. Lorsque j'atteins enfin le chauffeur, je me retourne fièrement pour lancer un clin d'œil à Dorée. Mais elle ne me voit pas non plus. Nez collé à la vitre, elle est visiblement fascinée par le paysage désertique.

Assourdi par le volume de sa musique entêtante, le chauffeur ne s'aperçoit pas de ma présence. Je l'observe un moment, tout comme j'examine le tableau de bord parsemé d'estampes des saints, de la vierge de Guadalupe et autres grigris protecteurs. Je crains que ce type ne préfère se vouer à une protection invisible, inexistante, plutôt qu'à son attention et à ses réflexes. Une angoisse supplémentaire saisit mes entrailles, mais elle s'estompe dès que mes yeux se mettent à danser au rythme de la croix colorée suspendue au rétroviseur. J'avoue, tout de même, que dans d'autres circonstances, j'aurais trouvé cela risible. Bizarrement, pas en ce moment. Le tangage constant m'oblige à m'agripper au dossier de son siège pour me tenir. Je remarque alors un strapontin à côté de lui et je le déplie pour m'asseoir.

Sans quitter le volant des mains — fort heureusement ! —, le jeune homme, un gringalet aux bras tatoués et marcel blanc, se retourne étonné. Il porte une casquette à l'envers et des lunettes d'aviateur sur lesquelles je me reflète, sa bouche en forme de zéro exprime sa surprise. Il baragouine dans un langage inintelligible, mais je parviens à comprendre qu'il se demande ce que je fiche là.

Ne sachant pas comment m'y prendre, j'esquisse un grand sourire et je me lance.

— Excusez-moi, je voulais juste m'assurer que vous suivez le bon chemin...

— Tss ! Manquait plus qu'ça ! Un prédicateur dans mon camion ? Nah, pas envie d'écouter ton baratin ! Allez ouste, chuis occupé !

Il lâche le volant en faisant de grands gestes pour me signifier de dégager. Mon sourire disparait dès que je vois le volant tourner tout seul. Même si nous ne sommes plus sur la route et qu'il n'y a rien autour à part des cailloux, j'ai peur d'un accident.

— Monsieur, vous roulez sur un chemin de terre ! crié-je un peu effrayé.

Heureusement pour les passagers, et pour mon image auprès de Dorée, le volume de la musique noie mon cri. Le chauffeur reprend le volant en m'ignorant. Je me vois obligé de lui toucher l'épaule pour attirer son attention à nouveau. Cette fois-ci, c'est lui qui hurle.

— Mais ça va pas ? Je conduis, bordel ! Quoi ? T'as un blème avec ma façon d'conduire ?

— Monsieur, vous ne roulez pas sur la route ! répète-je vraiment soucieux, presque désespéré face à son manque de réaction.

— Mais il me prend pour un con en plus ! gueule-t-il comme s'il parlait à un personnage invisible. Bien sûr qu'chuis au courant ! C'moi le chauffeur !

Soudain, je me sens très, très seul.

— Mais que se passe-t-il ? Êtes-vous perdu ? questionné-je d'un ton suave.

Le volume de la musique diminue enfin. Il se penche vers moi et me chuchote à l'oreille :

— Chuuuuut ! fait-il comme un ballon qui se dégonfle. Calmos ! Si les autres t'écoutent, y vont paniquer !

En effet, je panique déjà. Il est certainement perdu et il n'y a pas de GPS. Machinalement, je cherche mon smartphone, en espérant qu'il capte encore. Je le lui prêterais volontiers pourvu qu'il reprenne l'itinéraire. Le paysage désertique autour de nous me fait craindre le pire. Serions-nous dans la célèbre Zone du silence, connue pour ses anomalies magnétiques et autres phénomènes paranormaux ? Mon Dieu ! Je parle comme la bande d'observateurs célestes maintenant ! Le chauffeur perçoit mon inquiétude puisqu'il émet un son guttural censé me rassurer.

— Rhoo ! Tranquille ! J'connais mon chemin, je prends seulement un raccourci !

— Un raccourci ?

C'est encore pire !

— Ouais, un raccourci, affirme-t-il, orgueilleux. Dès que je finis mon affaire, je vous amène au prochain village, où mon pote m'attend pour prendre le relais.

Son affaire a-t-il dit ?

— Quel est le prochain village ? On y arrivera quand ?

— Bah, chais pas ! Je sais juste que c'est par là. T'inquiète.

Ses appels au calme ont pour effet de me crisper d'autant plus. J'ignore ce que cet individu recherche, mais un mot clé vient de percuter mon esprit : son relais. Avec la chaleur, sans repos, il divague !

— Vous conduisez sans arrêt depuis ce matin ! Vous ne pouvez pas continuer comme cela !

Il rétrograde pour ralentir, acquiesce et soulève ses lunettes noires pour me fixer, un sourire malin aux lèvres.

— Ah ouais, tu t'proposes ?

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