Sur le terrain

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Je vérifie une nouvelle fois tout ce que j'ai pris dans mon sac à dos sous l'œil amusé et inquiet de ma colocataire qui finit par me livrer le fond de sa pensée.

— Tu sais que tu es complètement fou ? Tu crois vraiment qu'en allant dormir quelques jours dehors, tu vas tout comprendre ? Tu es le champion des mauvaises idées, on le savait déjà, mais là, tu fais fort !

Elle a raison, surtout qu'une des mauvaises idées a été de coucher avec elle, une magnifique expérience mais qui complexifie notre relation que nous n'avons d’ailleurs toujours pas éclaircie.

— Ecoute, je n'ai pas d'autres idées… Et si je vois que c'est trop compliqué, je reviendrai ici. Ce n'est pas comme si j'étais vraiment SDF !

Je suis surpris quand elle dépose un baiser au coin de mes lèvres.

— Fais attention à toi, c'est tout ce que je te demande.

Je sors dans la rue dans un état d'esprit que j'ai du mal à définir. J'ai l'impression de vraiment tout abandonner et de donner à ma vie un nouveau départ. Je me demande d'ailleurs si les SDF se souviennent de leur première nuit dehors, s'ils sont sortis de chez eux en se disant qu'ils ne rentreraient plus. C'est à la fois libérateur de se dire qu'on abandonne tout… Et effrayant.

Je ne sais pas où je vais, je n'ai pas réfléchi à mon programme au-delà de sortir et enregistrer mes sensations pour pondre mon article. Pas très malin tout ça… Je me retrouve à marcher sans but, sans oser non plus m'adresser aux personnes que je croise, que ce soit pour leur demander de l'argent ou pour les interviewer si je pense qu'ils vivent dans la rue. C'est étrange, j'ai juste envie que l'on m'oublie et, pour éviter d'être repéré, je passe ma journée à marcher. Moi qui suis pourtant sportif, je fatigue rapidement et m'installe sur un banc, dans un parc. J'essaie de me mettre à la place d'un SDF mais c'est compliqué.

Je sors le sandwich que je me suis préparé avant de partir et l'apprécie même si je sais que j'ai un peu triché, vu qu'aucun sans abri ne pourrait se faire à manger chez lui. La nuit est tombée quand je l'ai terminé et je me dis que j'ai été bête de ne pas me préoccuper plus tôt de l'endroit où je vais dormir. Il me faut un refuge, quel qu'il soit. Je réalise à ce moment-là à quel point on est fragile quand on est dehors. Il me faut un lieu qui me permettra d'éviter les intempéries, à l'abri des regards mais où je puisse me sentir quand même en sécurité. C’est clairement l'équation impossible.

Il me semble que je tourne pendant des heures avant de me résigner à m'allonger devant la vitrine d'une banque où traînent quelques cartons qui me laissent penser que je ne suis pas le seul à avoir songé à cet endroit pour y passer la nuit. Un balcon au-dessus de moi m'amène à croire que la pluie ne m'atteindra pas et je comprends immédiatement l'importance de ces cartons une fois que j'ai posé mes fesses à même le sol. C'est glacial par terre ! Je suis à deux doigts d'annuler cette expérience insensée mais je m'appuie sur un reste de fierté pour m'installer. Il y a des gens qui sont capables de rester des années à la rue, je dois bien pouvoir y passer une ou deux nuits.

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