2

2 minutes de lecture

Scribay,

Le 28 février 2020

Cher Toi,

La semaine dernière, ça a fait trois ans que Lucas est mort. Cette année, j'ai pas pleuré. J’ai beau y penser, pas une larme ne sort, comme si j’étais toute vide dedans. Je suis même allée sur instagram voir ses photos. C’est étrange, cette vie numérique qui persiste après que l’on n'est plus qu’un tas de cendres dans une urne. Tu t'es déjà demandé la date de péremption de tes avatars ? J’aimerais que les miens ne me survivent pas, qu’ils s’effacent d’eux-mêmes au moment de ma dernière expiration. Oubli et repos. Peut-être cela deviendra-t-il possible dans quelques années… Sur instagram, j’ai pensé écrire à Lucas. Lui demander pardon pour toute cette merde. C’est complètement con comme idée ! Je me demande si d’autres l’ont fait. Tu crois qu’il nous en veut autant que moi ?

Samedi, c’était mes 35 ans. J'ai pas fait la fête. Ça fait trois ans que je n'en ai plus le goût. Même pas bu non plus. Enfin pas plus que d'habitude. Trente-cinq. Il est trop grand, trop vaste, cet âge-là. Je regarde autour de moi, et je me demande à quel moment les autres ont cessé d'avoir 17 ans. Tu le sais, toi ? Je les vois avec leurs gosses, leur boulot, leur baraque, leur sérieux, leur ennui. Ils parlent pannes de bagnoles, impôts, réservations pour les vacances et gastro du petit dernier. Ils m'emmerdent. Ils sont devenus si ternes et insipides. Tout ce qu'ils méprisaient. Moi, j'ai encore envie de boire trop et de chanter Dirty old town à 4 heures du matin sur les quais. J'ai encore envie de faire la révolution et de croire qu'on peut changer le monde. Pas vrai, qu'on peut le changer, le monde ? Qu'il n'est pas trop tard ?

Parfois, je me demande si y a un truc qui cloche chez moi pour vouloir retourner sur les bancs de la fac, aller voir comment c'est tout au bout du bout du monde ou juste suivre un papillon. Pour être encore amoureuse d'un homme disparu du jour au lendemain... Je croyais que la peur et la sensation de ne pas être à ma place s'effaceraient avec le temps, elles s'ancrent plus profond d'année en année. Le solide et le sérieux des autres m'effraient tant... Stabilité financière-enfants-propriété, ça ressemble affreusement à des mots barreaux, des mots mur de prison.

Je suis aphone depuis trois jours. I feel like an old tatoo. Passée, délavée et muette.

Cette fois, je voulais simplement poser des mots dans mon silence. J'espère que tu excuseras ce trop de bruit.

T'inquiète pas. Pas trop. C'est février.

Tu me manques. J'espère que tu le sais.

O.

P.S. : Tu m'as toujours pas dit, pour la photo. Tu la veux ?

Annotations

Vous aimez lire Oreleï ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0