Chapitre 7 : Le secret des dames de Chalais (2/2)

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Les deux garçons étaient assis sur le rocher, écoutant attentivement Surcouf, leur intérêt soudain décuplé par la mention du trésor par le corsaire.

— Allez, retournons à terre ! reprit-il, le premier arrivé, je lui montre comment faire un vrai nœud de marin. Prêts ! Partez !

Malgré la frustration de l’histoire du trésor en suspens, les deux amis n’hésitèrent pas longtemps avant de se ruer dans l’eau pour regagner l’autre rive, chacun employant une technique bien différente. La maîtrise du crawl d’Oscar était parfaite, résultat de nombreuses heures passées avec son précepteur pendant ses séances de natation dans la baie de la Gonâve, dont il ressortait avec les épaules fourbies et les doigts vieillis. Mircea, lui, était moins doué, il avait appris à nager en autodidacte dans les multiples nasses que formaient les rivières alpines, mais il était plus grand et moins frêle qu’Oscar, ce qui lui permettait de se défendre honorablement. Finalement, la technique l’emporta sur la puissance, et Oscar atteignit le rivage le premier, devant un Mircea épuisé. Quand Surcouf les rejoignit, il vit le visage déçu de Mircea qui paraissait le plus attiré des deux par l’apprentissage des nœuds de marin. Il proposa donc à Oscar de partager son prix et d’accepter Mircea dans le cours, ce que le blondinet fit avec grand plaisir.

—Évidemment, répliqua-il. Allez, viens, et ne fais pas cette tête, ajouta-il en direction de Mircea.

Mircea esquissa un sourire, visiblement vexé d’avoir perdu à la course. Ils s’assirent tous les trois en tailleur dans l’herbe fraiche, ruisselant et luisant des perles d’eau qui glissaient sur leur peau hérissée par la chair de poule, les rayons du soleil ne produisant pas assez de chaleur pour les réchauffer. Éléonore regardait avec bienveillance son amant captiver les deux adolescents qui semblaient ravis d’apprendre les secrets du nœud de chaise. Elle n’en doutait pas, il s’aurait s’occuper d’Oscar, et prendre soin de lui. Aussi étonnant que cela puisse paraître, elle ne regrettait pas sa décision, aussi difficile fût-elle. Elle avait eu la chance de revoir son fils qu’elle croyait perdu à tout jamais, mais n’avait jamais eu la naïveté de croire qu’elle pourrait reprendre une vie normale, et vivre avec lui à Chalais, à l’abri de la Reine. Même si elle se voyait dans l’obligation de l’abandonner de nouveau, ce qui lui était un véritable supplice, elle entrevoyait l’espoir de le revoir, un jour, une fois que toutes ces intrigues auraient cessées.

Après le passionnant cours sur les nœuds, Mircea alla se confier à sœur Julie, qui avait été un peu comme une grande sœur pour lui depuis son accueil au monastère. Oscar, pour sa part retourna voir Wardin, qui avait choisi d’emmener ses oies pour le trajet, et tentait désespérément de leur faire entendre raison. Les trois anatidés occupés à chercher des vers dans la vase du bord de l’eau ignoraient les ordres du fauconnier et se montraient même hostiles envers lui, n’hésitant pas à le mordre lorsqu’il s’approchait d’un peu trop près. Au terme de sa troisième tentative infructueuse, il se résigna et se retourna vers Oscar, suçant activement ses doigts endoloris.

— Que fais-tu ? demanda le garçon.

— Aïe, répondit le danois. J’essaye de raisonner ces bougres d’animaux stupides mais impossible, elles ne m’écoutent pas. Jamais je n’aurais pensé qu’il me serait plus dur de dresser ces oies qu’un aigle royal.

— Les dresser ? pour quoi faire ?

— Malgré leur apparence désinvolte et leurs passe-temps stupides, ces animaux sont extrêmement intelligents, reprit-il, oubliant sa colère pour laisser place à la passion qui l’habitait, dès qu’un sujet portait sur les bêtes à plumes. Par exemple savais-tu que chaque année, elles parcourent des milliers de kilomètres, traversant continents et océans, guidées par leur seul instinct. Au contraire des pigeons voyageurs, qui ne peuvent rentrer que dans le pigeonnier d’origine, les oies sont capables de se diriger réellement, et je suis persuadé que si j’arrivais à leur faire entendre raison, je serais en mesure d’en faire des messagers bien plus rapides et fiables que ceux que je garde à l’arrière de ma charrette. Mais pour l’instant, je n’arrive même pas à leur faire comprendre comment traverser ce fichu lac.

Oscar observa les oies quelques secondes avant de proposer :

— Ce qu’elles cherchent, ce sont des vers, non ?

— Oui, elles en raffolent. Habituellement, elles se nourrissent d’algues et de roseaux, mais quand elles trouvent quelques protéines à se mettre sous le bec, c’est une aubaine !

— Eh bien, pourquoi ne pas leur en proposer ? A Port-au-Prince, j’avais un chat, un horrible matou teigneux qui n’en faisait qu’à sa tête. Eh bien, sache que le jour où j’ai commencé à lui donner du lait en récompense de ses efforts, il s’est mis à faire des galipettes, s’esclaffa-il.

— Oui c’est vrai, et c’est comme ça que j’ai toujours fonctionné avec Balaïkhan, je n’avais juste pas trouvé de carotte à la mesure de mes oies, mais les vers qui grouillent dans la boue qui nous entoure me semblent une bonne idée. Tu veux m’aider ?

— Avec plaisir, répondit Oscar.

Alors, ils se mirent à quatre pattes à la recherche des précieux vers, fouillant la vase de leurs mains, la terre humide s’insinuant dans les moindres interstices de leurs ongles. Les oies semblaient intriguées par cette action et ce comportement étrange pour des humains, redoublant d’intérêt lorsqu’elles virent les lombrics se tortillant dans les mains de Wardin et d’Oscar. Au loin, le rire de sœur Julie résonnait sur la plaine, alors qu’elle courait, pieds nus, son voile flottant derrière elle telle une chevelure blanche, Mircea sur ses talons.

— Éloigne-toi, demanda Wardin, quelques dizaines de mètres suffiront pour un début. Et nous verrons si les oies comprennent le message. Alors que l’enfant s’éloignait, les oies commencèrent à le suivre, attirées par les vers qu’il tenait dans la main. Wardin les occupa et les maintint près de lui en leur donnant les vers qu’il avait lui-même récolté.

— Allez, fit-il finalement. Allez voir Oscar, il a quelque chose pour vous.

Les oies restèrent immobiles. Wardin pointa l’enfant du doigt qui agitait sa main, à quelques encablures, les vers se débattant vigoureusement, sentant venir leur jugement dernier. Alors, sous l’impulsion de la plus grande, les oies se mirent en branle, déployant leurs larges ailes et battant l’air vigoureusement, prenant aussitôt de l’altitude. Elles se posèrent en douceur près d’Oscar et tendirent le cou vers lui, dans un concert de cancanements. L’enfant les récompensa en donnant à chacune un lombric bien gras qu’elles avalèrent goulument.

— Hourra, cria Wardin, de l’autre côté du lac ! On a réussi ! La première étape est toujours la plus dure. Ah petit, tu es très doué pour comprendre les animaux, tu sais ? Tu devrais continuer à m’aider, si cela te plaît.

— Oh, oui, volontiers, s’écria Oscar, visiblement ravi de la proposition. Si Surcouf est d’accord, bien sûr, et tant que nous restons ici.

Justement le corsaire s’approchait de leur position, et semblait vouloir parler à Wardin.

— Oscar, s’il te plaît, pourrais-tu rejoindre Éléonore ? Elle m’a dit qu’elle voulait te voir, et j’aimerais parler à Wardin en tête à tête.

— Bien sûr, Pa’, j’y vais, répondit Oscar. Et pour les oies, on recommence dès demain, hein, ajouta-il à l’adresse de Wardin.

Surcouf était toujours surpris quand le garçon l’appelait ainsi. Il attendit que sa chevelure blonde flottant au vent se fût éloignée de quelques dizaines de mètres pour continuer.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’oies ?

— Ah, rien du tout, j’essaye de dresser ces satanées bestioles pour en faire des messagers. Les pigeons sont peu fiables et souvent interceptés, de plus, ils ne peuvent aller qu’à un seul endroit, leur pigeonnier d’origine, et je trouve cela dommage. Oscar m’aidait justement, à dresser ces bougres d’animaux. Ce garçon est formidable, il a un véritable sens du contact avec les bêtes, j’aimerais beaucoup travailler avec lui.

— Eh bien justement, je venais vous demander cela. Combien de temps encore comptez-vous rester ici, au monastère, et quel sont vos projets pour la suite.

— A vrai dire, je n’y ai jamais vraiment pensé, ma vie n’est pas calculée selon un rythme réglé comme une horloge. Pour l’instant, j’ai du travail dans la vallée, alors j’en profite. Demain, qui sait, j’irai fournir mes services dans la vallée suivante, vous savez, il y a partout des gens qui ont besoin d’envoyer du courrier, d’éradiquer des nuisibles ou simplement des familles bourgeoises avides de la diversion que je leur propose avec mes animaux. Pourquoi ?

— Pour être honnête, reprit Surcouf, j’aurais besoin de vos services. Je suis en mission pour la couronne, et j’essaye de monter un équipage digne de ce nom pour la mener à bien. Oh, bien sûr, l’équipage n’est pas encore formé et la quête sera longue, mais la récompense à la clef dépasse l’entendement. Je pense que votre aide pourrait être précieuse dans la mission qui m’incombe et qu’un messager tel que vous serait un véritable atout pour l’équipage. De plus, la vue de Balaïkhan pourrait nous aider à éviter de fâcheuses rencontres.

— Alors ça, c’est surprenant, répondit le fauconnier. Jamais je n’aurais imaginé cela. Me voir un jour sur un bateau, tel un pirate, à sillonner les mers du globe à la recherche d’un trésor fantastique… Je ne sais pas, vraiment. J’ai grandi dans les steppes et la terre ferme est ma maison même si mon cœur aime l’aventure et me pousse à accepter votre proposition. Il est vrai que j’ai toujours rêvé d’étudier les espèces rares d’oiseaux des îles. Je ne sais pas vraiment quoi vous répondre, Surcouf.

— Écoutez, je vous propose cela. Dès ma mission ici terminée, je vous invite à m’accompagner jusqu’à Paris, puis de faire à mes côtés la traversée de l’Atlantique jusqu’aux Antilles. Je prends le trajet à ma charge. Ainsi, si la mer vous déplaît, si la terre vous manque ou si vous souhaitez rester à Saint Domingue ou à la Martinique pour profiter du soleil et étudier vos oiseaux, je vous en laisse la possibilité. Dans le cas contraire, si l’aventure vous tente, vous pourrez toujours continuer avec l’équipage et moi dans cette quête incertaine. Qu’en pensez-vous ?

— A vrai dire, cette proposition m’enchante vraiment, et je serais ravi de faire la traversée à vos côtés, Surcouf. Je suis certain qu’il y a beaucoup à apprendre d’un homme comme vous. Et puis, j’aurai du temps à passer avec Oscar pour parfaire l’éducation de mes oies. Marché conclu. Quand partons nous ?

— Le plus tôt possible, je dois vous avouez que… les récents évènements m’ont quelque peu écarté de ma quête, ces derniers jours, mais j’ai prévu de m’y atteler activement, ainsi j’espère que nous serons partis avant dimanche prochain.

— Dans ce cas, je vais mettre en route mes affaires pour être prêt à tout moment. A plus tard, Surcouf, je dois vous avouer que je suis quelque peu excité par votre proposition et cette quête étonnante.

Le fauconnier s’éloigna finalement du corsaire, ses oies se dandinant derrière lui en cancanant avec vigueur.

La soirée arriva et l’on alluma un grand bûcher. La croix qui avait dominé l’Église pendant toute l’année passée fut placée au centre de l’édifice de bois, et les sœurs entonnèrent chants et louanges, repris en chœur par les moines. Ensemble, ils avaient travaillé toute la journée à couper, débiter, scier, poncer le bois pour fabriquer la nouvelle croix, qui devait prendre place dans la chapelle jusqu’à la Saint-Jean suivante. Après les chants, les sœurs entamèrent une ronde autour du feu de joie, à laquelle se joignirent Éléonore et les enfants, un sourire indécrochable vissé sur leurs visages émerveillés.

Surcouf resta à l’écart, observant cette joyeuse danse qui transformait les sœurs, d’ordinaire pieuses et réservées, en filles et femmes débordant de gaîté et mues d’une vitalité nouvelle. Quittant elle aussi le groupe, l’abbesse s’approcha du corsaire et l’entraina à l’écart.

— J’ai parlé avec sœur Julie, commença-elle. Elle m’a dit que Mircea était venu la voir. Apparemment, vous lui auriez raconté des histoires de pirates et de mission royale qui lui seraient monté à la tête.

— De corsaire, rectifia Surcouf. Oui, c’est vrai, je n’ai pas pu résister à l’enthousiasme des deux jeunes garçons. Mircea avait l’air passionné par la question. Il rêve de naviguer sur les mers, un jour.

— Oui, sœur Julie m’a dit cela. Passionné par vos récits, il lui a annoncé qu’il souhaiterait partir avec vous. Est-ce vous qui lui avez suggéré cela ?

— Non, non, non, pas du tout. Je… je suis désolé, ma sœur, bégaya le corsaire, je ne voulais vraiment pas…

— Écoutez, le coupa-elle. Je vous ai mis à l’épreuve il y a une semaine, vous souvenez-vous ?

— Oui, je me souviens, vous parliez de la qualité d’un homme à mériter votre pièce du trésor, et je suis navré, vraiment, je me suis perdu moi-même et je n’ai pas vraiment consacré tout mon temps à résoudre cette énigme, j’en suis navré, j’ai promis de m’y atteler dès demain.

— Oh, vous savez, il n’y avait là point d’énigme. Je vous ai observé tout ce temps et malgré les distractions volages qui vous ont inspiré ces derniers jours, vous avez réussi l’épreuve à laquelle je vous avais soumis. Avec brio. J’ai étudié le comportement que vous aviez envers Oscar et Mircea, et particulièrement aujourd’hui. Je vois bien que vous n’êtes pas le véritable père d’Oscar, mais vous agissez comme tel. Et les propos que sœur Julie m’ont rapportés de la bouche même de Mircea n’ont fait que soutenir et confirmer mes propres observations. Vous avez mérité ma confiance, Surcouf, aussi vais-je vous donner l’une des sept pièces du trésor des Bénédictines, la pièce du monastère de Chalais, et par là même, la clef du message de la carte. Mais avant cela, il vous faudra me promettre une chose, une dernière chose.

— Quelle est-elle, cette promesse, interrogea Surcouf. Dites-moi, je suis votre serviteur.

— Bien, mais ce n’est pas moi qu’il s’agit de servir. Je veux que vous soyez un aussi bon père pour Mircea que vous avez promis à Éléonore de l’être pour Oscar.

Surcouf resta bouche bée. Elle avait compris en une semaine tous les enjeux qui se jouaient entre Oscar, Éléonore et lui-même, voire peut-être le Roi, alors même qu’il essayait de cacher son jeu. Il bégaya.

— Mais, c’est impossible. Beaucoup trop dangereux. Et puis, je ne saurais pas comment faire. Déjà, avec Oscar, je ne suis pas certain d’arriver à me porter garant de sa sécurité, alors Mircea… non, je m’en voudrais à en mourir s’il lui arrivait malheur, après tout ce qu’il a déjà vécu.

— Justement, je n’en attendais pas moins d’un homme tel que vous. Et si vous dites cela, je sais que vous ferez votre maximum pour le protéger. Ne vous en faites pas pour lui, il a su survivre à des épreuves que vous ne pourriez imaginer, le gamin est solide et sait ce qu’il veut. Sa décision est prise, et la mienne aussi. Il s’ennuie au monastère et si nous avons su le recueillir et l’aider à se reconstruire, nous n’avons rien de plus à lui offrir ni à lui apprendre aujourd’hui. Il est temps qu’il vole de ses propres ailes. Il a trouvé en Oscar un ami et en vous un mentor. Vous me dites qu’il veut parcourir les océans ? Qu’à cela ne tienne, donnez-lui sa chance, il ne demande rien de plus. Et, s’il venait à lui arriver quelque chose, au moins sera-ce en vivant la vie qu’il aura choisie et non subie. Ne vous en tenez pas pour responsable, car jamais lui ne le ferait. Rien ne conviendrait plus à son bonheur que cela. Faites-le pour lui, Surcouf.

— L’aventure dans laquelle je me lance n’a rien d’une promenade de santé, vous êtes bien placée pour le savoir. Que pensez-vous de la promptitude de prendre à mes côtés deux gamins qui ne connaissent rien à la mer ?

— Ce seront bientôt des hommes et vous verrez que leur jeunesse et leur fougue sera un atout dans votre quête. A un moment ou à un autre, ils auront un rôle à jouer, l’un comme l’autre, j’en suis certaine. Ayez confiance en eux, Surcouf, c’est tout ce qu’ils demandent.

— Bon, et bien, dans ce cas, c’est d’accord, j’emmènerai Mircea.

— Merci, Surcouf, et que Dieu vous garde.

Elle plongea alors la main sous son scapulaire et en sortit un petit objet brillant qu’elle tendit à Surcouf. C’était une boussole. Une vieille boussole brisée dont l’aiguille n’indiquait pas le Nord. En réalité, elle n’indiquait pas de direction du tout, car elle pointait inexorablement vers le S-O du cadran, quelle que soit la direction dans laquelle on l’orientait.

— Mais… elle est brisée ? Interrogea le corsaire.

— Oui, et tel sera le destin de la France si vous ne trouvez pas le trésor.

— Alors, comment, avec cette boussole, trouver le trésor si…

— Au cours de ton voyage, tu en apprendras beaucoup sur toi-même, reprit l’abbesse. Rappelle-toi que les bénédictines te mettront à l’épreuve pour te donner les pièces du trésor. Et si tu es perdu, la boussole te guidera vers le but de ta mission. A Djibouti, auprès des premiers horlogers, tu pourras la faire réparer, si ta quête piétine et que tu ne sais plus dans quelle direction avancer.

— A Djibouti ? Si loin ? Mais, ma quête…

— N’oublie pas, la boussole est la clef du message de la carte, répondit l’abbesse, indifférente aux interrogations du corsaire.

— Justement, je ne comprends pas ce que…

L’abbesse s’éloigna sans laisser Surcouf terminer sa phrase, l’abandonnant ainsi à ses réflexions, bouche ouverte, tandis que le feu diminuait d’intensité. Il finit par rejoindre Éléonore, qui discutait avec Wardin. A l’approche du Corsaire, le danois s’éloigna pour les laisser seul à seul. Surcouf glissa une main dans le dos de la jeune femme et déposa un baiser sur son cou blanc comme neige.

— Vous revoilà, dit-elle. Alors, que voulait l’abbesse ?

— Rien de plus que me donner la clef de mon voyage jusqu’ici. Mais elle n’a fait qu’ajouter des énigmes à mes questions premières. Peu importe. Je veux profiter de vous, désormais, car ma raison d’être ici touche à sa fin et je ne vois plus ce qui me retient sinon le déchirement de vous perdre. Ma place est sur les océans, et le vieux loup de mer que je suis a déjà passé trop de temps à terre. Je vais prendre la route de Paris dès demain avec les garçons, et à ce propos, il faut que je parle à Wardin.

— Les garçons ? demanda Éléonore. Mais, je croyais que Mircea restait ici et que vous vouliez que je m’occupe de lui.

— C’est vrai, mais l’abbesse en a décidé autrement. Elle estime qu’il a besoin de quitter ce lieu. Lui-même, tout à l’heure, m’a demandé de l’emmener avec moi sur les mers. J’ai promis à l’abbesse de prendre soin de lui. J’essayerai de lui apprendre le maximum et d’être le meilleur père pour lui, même si je débute dans l’exercice.

— Oh, mon cher et tendre amant, je ne doute en rien de vos facultés à dispenser à ces jeunes garçons l’amour et l’affection qu’ils méritent. Vous avez fait preuve avec Oscar de vos qualités et de votre aptitude à prendre soin d’un jeune garçon, et de lui offrir tout l’amour dont vous disposez . Wardin m’a annoncé que vous l’aviez convaincu de vous accompagner au moins jusqu’aux Antilles... je vais me retrouver bien seule, ici, conclut-elle finalement en baissant les yeux.

— C’est vrai, Wardin sera d’un grand secours avec les garçons, et je pense qu’il pourra m’aider dans ma quête. Et vous ? Qu’allez-vous faire maintenant ?

— Me reposer, coudre, écrire un peu, répondit Éléonore. Profiter de ce cadre idyllique en attendant que les choses à la cour se calment un peu, et espérant votre retour avec ardeur. M’écrirez-vous ?

Surcouf ne répondit pas. Il enfouit son visage embrumé de larmes dans la douce chevelure de son amante alors que les derniers brandons du feu s’éteignaient derrière eux. C’était le signal du retour, et la longue colonne des sœurs s’ébranla lentement, s’étirant petit à petit sur l’étroit chemin de terre qui conduisait au monastère.

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