Rodéo

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 La rue était déserte. Il n'y avait pas un chat dans le quartier. Pour une fois, aucun gamin de hurlait dans le jardin des voisins. Il entendait à peine le bruit des voitures qui passaient devant la maison. Les vacances, c'était super chouette pour ça. La tranquillité. Le silence matinal. La joie de boire un café sur sa terrasse et de profiter du soleil en toute sérénité.

Mouais... En toute tranquillité...

 Malcolm entendit le téléphone sonner. Il jura en levant ses fesses de son transat pour retourner dans la maison en trainant les pieds.

 « Qui est l'enfoiré qui me casse les burnes de si bonne heure ? »

 Il décrocha avec un grognement d'ours mal léché et eut la déconvenue d'entendre sa soeur lui percer le tympan de sa voix horriblement aiguë et nasillarde. Trop optimiste pour être heureuse cette gonzesse-là.

 « Hello ! Comment vas-tu mon frère chéri ?

 — Qu'est-ce que tu veux ?

 — Allons, allons, je n'ai pas le droit de prendre de tes nouvelles ?

 — Pas avec ce ton-là, ça sent l'embrouille. Qu'est-ce que tu veux ?

 — Pas grand-chose. Je suis contente de t'avoir.

 — C'est déjà trop, te connaissant.

 — Mais quel adorable tonton tu fais ! Léo va s'éclater avec toi. Je savais que je pouvais te faire confiance. Je reviendrais le chercher dans deux semaines. Bonne journée, Teddy !»

 Elle raccrocha précipitamment et Malcolm resta quelques secondes avec le combiné à la main. Qu'est-ce qu'elle parlait de lui refiler son marmot ? Elle avait bu ou quoi ?

 Un reniflement plus tard et une nouvelle tasse de café entre les mains, il retourna s'installer sur la terrasse. Il sursauta quand il vit le gamin assis sur son transat, un sac à dos sur les genoux, une valise posée en haut des quelques marches qui menaient au jardin.

 « Oh ! Bordel ! Qu'est-ce que tu fous là ?

  — Salut, tonton. Ça va ?»

 Léo lui offrit un sourire gêné et un petit salut de la main. Malcolm inspira profondément puis expira en grondant de mécontentement. Elle n'avait pas fait ça ? Son imbécile de soeur n'avait pas fait exprès de le faire rentrer chez lui pendant que son crétin de mari déposait le gosse en douce ?

  « Je vais la tuer... »

  Léo se fit tout petit puis se leva, tout gentil et adorable qu'il était dans une grande famille de dégénérés. Il rendit le siège à son oncle et resta debout, serrant son sac contre son ventre, à attendre qu'on lui dise quoi faire.

 Sans se préoccuper du petit, qui avait bien grandi depuis le dernier Noël, Malcolm retourna à l'intérieur et décrocha de nouveau son téléphone. Il composa le numéro de sa mère et attendit qu'elle réponde en tapant nerveusement du pied. Les sonneries s'enchainèrent jusqu'à tomber sur la messagerie. Malcolm bougonna et appela la voisine de sa mère qui décrocha tout de suite.

  « Oui, allo ? débita-t-elle avec emphase.

  — Bonjour, c'est Malcolm, le fils de Claude.

 — Qui ? demanda-t-elle en sachant pertinemment qui elle avait à l'appareil.

 — Le fils indigne qui n'appelle jamais, bougonna-t-il de mauvaise grâce.

 — Ha ! Bonjour Malcolm. Que puis-je faire pour toi ?

 — Où est ma mère ? Elle ne répond pas.

 — À l'hôpital, pourquoi ?

 — Qu'est-ce qu'elle fout à l'hosto ?

 — Elle a glissé dans sa douche. Elle s'est cassé le col du fémur et le poignet. On ne te l'a pas dit ?

 — Nan. Et ma soeur vient de m'entuber. Ils ont laissé le garçon chez moi.

 — Le petit Léo ? Oh ! Quelle chance tu as ! Tu verras, c'est un bon garçon. Il est sage et n'hésite pas à donner un coup de main. En plus, il est très doué en dessin. La dernière fois, il a fait le portrait de ta mère. Elle l'a trouvé si beau qu'elle l'a fait encadrer et l'a accroché dans son salon.

 — Vous voulez pas le prendre avec vous ?

 — Tu laisserais ton neveu à une inconnue ? Ta soeur aurait dû choisi un meilleur baby-sitter.

 — Je suis d'accord. Vous n'auriez pas une idée pour m'en débarrasser ?

 — Ce n'est pas un objet, Malcolm, le gronda-t-elle avec autorité, ni un animal.

 — Justement. Je n'ai jamais aimé les chats. Qu'est-ce que j'en fais du gamin ?

 — Occupe-le. Il a quel âge déjà ?

 — Onze ou treize. »

*

 Pendant que Malcolm prenait des cours de gardiennage, Léo trouva le temps long. Il se balançait d'avant en arrière, mais cela devenait désagréable de piétiner. Pour s'occuper, il s'installa sur la table d'extérieur. Il sortit son carnet et ses crayons. Il commença par dessiner un de ses personnages préférés, puis il eut une idée soudaine et tourna la page. En souriant et pouffant à ses croquis, il se représenta prisonnier d'un ours gigantesque.

 Le garçon avait toujours aimé créer des histoires, mais celle-ci serait intéressante à développer. Il pourrait ainsi raconter ses vacances sans embêter son oncle. Il lui suffirait d'un petit coin de table. C'était mieux que la télé. Moins bruyant. Il pourrait ainsi se faire oublier. Même si deux semaines allaient lui paraitre une éternité s'il se retrouvait avec une liste sans fin de choses à ne pas faire.

 Une ombre soudaine sur son carnet lui fit lever la tête. Malcolm était revenu et le fixait. De peur, Léo cacha ce qu'il faisait en croisant les bras dessus. Cela fit rire son oncle.

 « Qu'est-ce que t'as ? Tu dessinais des trucs pornos ou quoi ? On m'a dit que t'étais plutôt du genre à faire des portraits.

 — Je fais un peu de tout. Je prends des cours de dessin après l'école. »

 Malcolm hocha la tête, n'écoutant qu'à moitié. Il se gratta l'oreille puis tenta d'entrer en communication non agressive avec son neveu.

  « J'ai qu'un lit pliant dans le bureau. La chambre d'amis est occupée. Et je travaille la semaine prochaine faudra que tu te débrouilles tout seul pour la bouffe et tout.

 — Ça me va.»

 Léo avait l'habitude de se débrouiller. Il était un artiste du sandwich et un expert en cuisson de pâtes. S'il avait accès à du fromage râpé et à du jambon, il serait le plus heureux des garçons.

 Comme aucun de deux ne surenchérit, un silence gêné s'installa. Pour se défaire de cette situation, Malcolm renifla puis retourna s'installer sur son transat pour continuer son programme de vacances. Il n'avait pris qu'une semaine en plein été parce qu'il y était obligé. Il gardait ses congés payés pour partir quand tout le monde revenait. C'était un homme qui privilégiait la solitude aux lieux bondés. Alors, se retrouver avec un gamin sur les bras, c'était le comble de l'ennui.

 Malcolm ferma Ies yeux un instant et s'endormit au soleil. Léo continua ses dessins en silence. Il trouva quelques idées de scènes et de dialogues pour obtenir une histoire plus prenante. À treize ans, il avait peu de sujets à sa disposition, sans être trop gamin ou trop en dehors de sa catégorie, mais il se plaisait à les exploiter à sa façon. Il aimait lire et observer la nature.

 Léo posa quelques minutes le regard sur son oncle et soupira. Il était plutôt content que Malcolm n'ait ni femme ni enfant. Au moins, il ne se ferait pas maltraiter par des cousins plus âgés que lui, ni rembarrer parce qu'il ne sortait pas assez, n'était pas assez ceci, ou trop cela.

 Oncle Malcolm était son parent préféré. Il avait un caractère difficile, mais au moins on savait à quoi s'attendre avec lui. Il disait toujours ce qu'il pensait. Parfois trop abruptement. Mais cela valait mieux que d'entendre des louanges en face des gens, et des critiques une fois hors de la pièce. Parfois, Léo détestait ses géniteurs pour ça. Ils n'avaient que des critiques à la bouche. Léo avait beau tout faire pour les satisfaire, il n'était jamais assez bon.

 Malcolm finit par ouvrir un oeil et siffla son nouvel animal de compagnie.

 « Hé, gamin ! Fais pas une gueule aussi sérieuse ! Ça va te coller des rides avant l'heure. Et crois-moi, t'as pas envie de ressembler à ton daron. Y a un autre transat dans le garage. Va le chercher et viens glander. Tu m'énerves à gratter le papier. »

 Léo sourit et rangea ses affaires avant de fouiller le sanctuaire motorisé de son oncle. Le garçon resta un instant en admiration devant le monstre de métal puis il attrapa le siège pliant et retourna sur la terrasse. Malcolm semblait s'être rendormi. Léo tenta tout de même une approche :

 « Dis, tonton... Tu m'emmènerais faire un tour sur ta moto ?

 — Pas de casque, pas de rodéo, rétorqua-t-il sans bouger autre chose que la bouche.

 — Maman m'a donné un peu d'argent.

 — Y a écrit prostitué sur mon front ? D'où tu veux me payer, gamin ? On t'apprend la négo dans tes cours de dessin ?

 — Euh... Je ne veux pas te payer. Je veux acheter un casque.

 — Toi, t'as plus de cervelle que ta mère et plus de couilles que ton père. T'as été adopté ?

 — J'ai déjà vérifié. On est génétiquement lié à la même famille.

 — Je crois que je t'aime bien gamin.»

 Enthousiasmé par l'idée de rendre sa soeur folle d'inquiétude, Malcolm se leva en claquant ses cuisses et emmena son neveu faire les boutiques. Il lui acheta des gants, des bottes et un casque. L'argent que Mag avait donné au petit était dérisoire. Cela lui paierait à peine un ticket de cinéma et une heure avec la pute du quartier.

 De retour à la maison, Malcolm demanda à Léo de prendre quelques affaires pendant qu'il préparait les siennes.

 « Où est-ce qu'on va ?

 — Tu voulais faire un rodéo, non ? Bah, on y va.

 — Tout de suite ? s'écria Léo avec des étoiles dans les yeux.

 — Cours, si tu ne veux pas rester là.»

 En deux temps trois mouvements, Léo avait empaqueté ses affaires, Malcolm avait rempli les sacoches de la moto et moins d'une heure plus tard, ils roulaient au beau milieu de nulle part dans les gorges d'une vallée boisée.

 Le lendemain, Malcolm exigea que son neveu appelle sa mère et lui donne tous les détails de leur expédition improvisée, incluant la nuit à la belle étoile et la nourriture déshydratée. Léo obéit avec plaisir et se prit un fou rire avec son oncle quand ce dernier envoya sa soeur se faire foutre quand le ton monta.

 Ce fut la semaine de vacances la plus courte de leur vie.

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