Chapitre 18 : Partie 5/6

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Eileen s’engouffra dans le passage et porta son attention sur ces formes lumineuses qui semblaient se mouvoir tout autour d’elle. Elle déchanta en comprenant qu’il s’agissait en réalité de grands insectes. Comparables à de gros scarabées, ils étaient dotés d’une carapace flamboyante dans des teintes bleutées. De longues antennes pendaient de part et d’autre de leurs têtes et tâtaient les murs avec minutie au rythme de leur progression. Un frisson électrisa la nuque d’Eileen. Elle croisa les bras sur sa poitrine pour limiter tout contact avec eux.

Le chemin en pente se transformait progressivement en un escalier en colimaçon très étroit. La place était tout juste suffisante pour qu’Illian passât sans encombre. Les minutes défilaient, l’environnement se répétait, les marches s’enchainaient… La descente semblait sans fin. Une sensation de tournis commençait à gagner Eileen qui s’essoufflait de plus en plus. Elle ne savait pas évaluer depuis combien de temps ils s’enfonçaient dans les entrailles de la terre. Le groupe se contentait de suivre l’élémentaliste sans poser de questions. Seuls les tintements métalliques de l’armure de l’ancien commandant résonnaient. Le bruit de leurs pas était complètement étouffé.

Ce ne fut qu’au bout de ce qui parut être une éternité que le sol redevint plat. Prise de tournis, Eileen tituba et se retint au mur avec maladresse, le temps de retrouver ses sens. D’épaisses coques craquèrent et explosèrent contre son bras. Bien qu’encore sonnée, elle le ramena immédiatement à elle, puis constata avec dégoût un liquide vert fluo et visqueux, ainsi que deux carapaces larges comme trois pouces, écrasées et collées sur sa chemise. Eileen les attrapa du bout des ongles et les jeta par terre en un geste mécanique, réprimant un frisson de dégoût.

L’escalier déboucha sur un vaste couloir. Les murs étaient habillés de plantes grimpantes entrelacées de filaments lumineux. Ce véritable réseau veineux s’étendait même jusque sur une porte en bois à double battant qui barrait le corridor, y dessinant une multitude d’arabesques en relief. Des formes géométriques, tantôt rondes, tantôt coniques, s’imbriquaient les unes dans les autres et contrastaient avec le matériau ébène. L’élementaliste effleura le battant de droite avec la paume de sa main. Les fibres végétales se mirent aussitôt à se gonfler de vie et la porte s’ouvrit avec lenteur, presque magiquement.

Le royaume de Lumeo s’offrit à eux.

Contrairement à ce qu’Eileen aurait imaginé, aucun village ne se dessinait. Il n’y avait pas d’habitation ou de route de pierre. Une nouvelle jungle naissait devant eux, plus colorée que celle de la surface, et surtout plus accueillante. Juché sur un petit vallon, le groupe admirait le tableau incroyable en contrebas : la végétation dense mêlait toutes sortes de fleurs chatoyantes. Certaines étaient au ras du sol, sinon très hautes et élancées, quand d’autres encore exhibaient leurs ventres gonflés. Des fougères tapissaient le niveau inférieur entre deux rideaux de lianes et plateaux de hautes herbes d’un vert intense. Le tout était parsemé d’éclats de lumière ici et là. En s’y attardant un peu plus, Eileen comprit qu’elles marquaient le déplacement d’élémentalistes. Une rivière agrémentait le paysage à l’allure féérique, dont les multiples branches se frayaient timidement un chemin en travers. La jeune femme dévorait littéralement des yeux cette vue éblouissante.

Puis elle leva la tête, attirée par une étonnante masse marron un peu plus en hauteur. Sa bouche s’ouvrit à s’en décrocher la mâchoire.

Il s’agissait d’un gigantesque arbre au tronc considérable. Pour comparaison, l’accès au passage secret qu’ils avaient traversé un peu plus tôt ne pouvait même pas rivaliser avec un dixième de sa taille. Eileen en percevait tout juste le sommet, perché dans les airs sur ses racines folles, enroulées et emmêlées, qui finissaient leur course droit dans le sol. Déconnectée de la réalité, elle s’imagina un instant le voir s’animer et lui parler en hylien, l’ancien dialecte de l’univers de son jeu vidéo favoris.

L’élémentaliste la tira de sa rêverie :

- Par ici.

Eileen éprouva une réelle difficulté à détacher son regard du panorama. Le vent soufflait sur sa nuque avec tendresse, lui procurant de doux chatouillements. Jamais elle n’aurait pu croire se trouver dans un royaume souterrain, si elle n’avait pas fait elle-même tout ce chemin pour y arriver. La sensation d’enfermement était tout à fait inexistante.

Les voyageurs quittèrent le vallon et rejoignirent un chemin de terre juste esquissé au milieu des plantes florissantes. L’élementaliste marqua une pause avant de se retourner.

- Le repas royal va bientôt commencer. Je ne sais pas si sa Majesté O’Lum Edwing sera disposé à vous recevoir.

Eileen s’aperçut que des créatures grouillaient dans tous les coins : au milieu des feuillages, contre les troncs, juchées dans les arbres… certaines, même, par l’étonnante texture d’écorce et la teinte brunâtre de leur peau, se fondaient parfaitement dans le décor. Eileen écarquilla les yeux quand un élémentaliste s’extirpa d’une roche fumante juste à deux pas d’eux. Il ne devait pas mesurer plus d’un mètre de haut. La couleur de sa peau tirait sur un orange délavé, tranché par le bleu turquoise de ses yeux. D’importantes cicatrices, rouges ou brunes, couvraient la majorité de son corps : elles s’étendaient des mains aux coudes, du haut du crâne pour finir en bas de la nuque et du bas du dos jusqu’aux creux des genoux. Sans connaître la particularité de ce peuple, n’importe qui aurait pu le penser grand brûlé à sa simple vue. Son physique atypique ne le rendait pas laid pour autant.

- Nous allons emprunter la Voie Haute, indiqua leur guide.

Elle désigna du bras l’imposante racine qui flottait au-dessus de leurs têtes avant de s’enfoncer dans le sol un peu plus loin. Passant par le chemin tout juste dégagé, les voyageurs l’atteignirent sans difficulté. Des marches d’escalier sculptées à même le bois leur permirent de se hisser sur la plateforme.

Eileen avançait à pas comptés, de peur de tomber. Bien que démesurément grande pour une souche, sa largeur ne dépassait pas le mètre. Ajoutée à la hauteur qu’ils prenaient, des sensations de vertige commencèrent à malmener la jeune femme. Elle dût se résigner à détourner les yeux du paysage en contre-bas pour se concentrer sur ses pieds.

Il ne leur fallut qu’une poignée de minutes pour atteindre l’ouverture : un trou béant débouchait sur une immense salle, en plein cœur du tronc massif. Illian y entra le premier.

Pas de tapis rouge, de siège de fer ni bricole clinquante ne figuraient ici. Le bois occupait tout l’espace avec modestie. Une alternance de nervures claires et foncées venait décorer le sol couvert d’un tapis central tissé de fibres végétales vertes. Une grande malle, dont la forme épousait la pièce circulaire, était disposée en face des voyageurs. Ébène, elle contrastait avec la boucle dorée, semblable à une dague effilée transperçant deux anneaux, qui la maintenait fermée.

Un élémentaliste fit son entrée sur leur droite. Eileen haussa les sourcils. Contrairement à toutes les autres créatures, il portait une longue tunique blanche brodée de motifs argentés. Ses longs cheveux blancs tirés en arrière n’étaient pas collés au crâne, mais surélevés comme s’il avait abusé du gel. Ils formaient une longue coiffe jusqu’au bas du dos, finissant en une parfaite pointe. Enfin, ses pupilles blanchâtres renforçaient son teint livide. À en juger par son physique, la jeune femme pariait qu’il s’agissait d’un élémentaliste de l’air.

Il jaugea le groupe d’un bref coup d’œil, puis, les yeux plantés dans ceux de leur guide, il attrapa son avant-bras et referma ses doigts autour de son coude. Les deux créatures restèrent ainsi durant un long moment sans échanger un seul mot. Une intensité émanait de leurs regards dans le plus grand des silences. Aera s’avança d’un pas, prête à parler, quand Illian barra sa progression d’un geste de la main. L’autorité qui se dégageait de son visage suffit à ce qu’elle revînt à sa position initiale. L’élémentaliste hocha la tête d’un bref mouvement avant de lâcher le bras de son compère.

- Nous sommes venus jusqu’ici pour rencontrer votre roi, annonça enfin l’ancien commandant. Nous venons de Nergecye.

- Veuillez déposer vos armes, déclara leur guide. E’Rig Menni va vous mener à sa Majesté.

La créature translucide désigna la malle dans laquelle Illian et Aera se débarrassèrent de leurs épées. Eileen décrocha en vitesse la dague qu’elle portait toujours à sa ceinture et l’y ajouta. Leur nouveau conducteur les fit traverser la pièce et sortir. Ils passèrent par une large et solide branche, de laquelle naissaient des dizaines de ramifications feuillues arborant une taille normale. Proportionnellement, il devait plutôt s’agir de brindilles. Montant sur plus d’une cinquantaine de mètres, elle finissait sa course dans le mur clôturant le royaume. Des dizaines d’autres bras géants en faisaient de même, à l’image d’un gigantesque réseau fourmillant d’élémentalistes.

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