Chapitre 16 : Partie 4/4

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Elle regagna la rive, à peine éclairée par les lueurs des torches de la salle précédente, et se hissa hors de l’eau aux côtés d’Eileen et Erik. Les paumes de ses mains s’enfoncèrent dans le sol humide. Cette nouvelle cavité était circulaire, délimitée par des pans rocheux déstructurés. De curieux tunnels tout à fait ronds les creusaient à intervalles irréguliers, tandis que de minces filets aqueux sillonnaient les parois pour venir alimenter la marre centrale. Aera plissa son nez. Une odeur désagréable de terre mouillée et de renfermé assaillait ses narines.

Illian les rejoignit à son tour. Un vacarme composé de tintements sourds et de cris bestiaux résonna juste au-dessus de leur tête.

- Préparez-vous à les accueillir, prévint Gwenähil.

Le fracas d’un nouveau plongeon résonna. Tous se tournèrent vers sa source. Puis un deuxième, suivi d’un troisième.

Aera dégaina son épée, aussitôt imitée par l’ancien commandant. Trois têtes difformes sortirent de l’eau en beuglant à s’en rompre les poumons. Hors de portée, elle les observa s’agiter sur place. Les glük-rog ne semblaient pas savoir nager. D’énormes bosses irrégulières d’une teinte verdâtre cachaient leurs petits yeux enfoncés et faisaient ressortir deux trous béants juste au-dessus de leurs dents acérées à peine cachées. Leurs lèvres pourpres les recouvraient comme tombaient de vieux rideaux en lambeaux. Ils étaient cauchemardesques. C’était à se demander comment ils avaient pu, autrefois, faire partie du fier royaume des Nains.

Une flopée d’autres monstres arrivèrent par le puits. Les premiers chutèrent dans l’eau, créant par la même occasion une plateforme pour les suivants qui n’eurent aucun mal à regagner la terre. Eileen et Erik reculèrent d’un pas, le visage marqué par l’effroi. Gwenähil fondit sur les monstres sous sa forme animale, talonnée par l’ancien commandant.

Les glük-rog pleuvaient sans interruption, s’entassant les uns sur les autres dans un concert de beuglements disgracieux. La mâchoire crispée, Aera se lança dans la mêlée. Elle fit tournoyer son épée dans les airs et faucha deux horribles créatures qui s’effondrèrent sur-le-champ. Une tête roula au sol, y laissant une longue traînée noirâtre et poisseuse. Aera se déporta à la hâte sur sa droite pour éviter les longues griffes qu’un glük-rog agitait avec frénésie. Sa lame trancha sa gorge fripée d’un seul trait. Il s’écroula. Elle enchaîna une série de coups tantôt verticaux tantôt horizontaux avec une agilité sans pareille.

Aera s’apprêtait à donner une nouvelle offensive, quand son bras frappa le dos d’Illian. Elle grimaça de frustration. L’espace ne leur offrait pas la place nécessaire pour se livrer au combat. L’ancien commandant limitait ses gestes, moins fluides que d’habitude. Pour autant, les cadavres continuaient de s’empiler autour de lui. Quant à Eileen, Aera remarqua qu’elle combattait avec sa dague. De temps à autres, des gerbes d’eau s’élevaient avant de se glacer instantanément, devenant ainsi aussi tranchantes que l’acier. Erik, bien que plus en retrait, prenait activement part au combat, une lame gelée – sans aucun doute offerte par Eileen – dans chaque main.

Plus ils en tuaient, plus elle avait l’impression que d’autres arrivaient. Les coups s’enchainaient dans un vacarme sans nom.

Enfin débarrassée des glük-rog de son côté, Aera fit un rapide état des lieux. Des dizaines et des dizaines de corps désarticulés de monstres jonchaient le sol, limitant sérieusement l’espace pour se mouvoir. Illian en combattait encore deux, tandis que la féline en déchiquetait un avec ses crocs. Le liquide noir déversé dans sa gueule coulait le long de son menton et formait une flaque au sol. Eileen continuait d’extraire des jets d’eau et de les envoyer droit sur les créatures avant d’en faire de véritables lances aiguisées.

Aera étouffa un cri de surprise, prise d’une soudaine douleur à la jambe. Elle tituba un instant avant de comprendre d’où elle provenait, puis planta son épée dans le monstre qui s’était faufilé sur son flanc. Elle s’efforça de contenir sa souffrance et de maintenir sa concentration, dans le cas où une nouvelle vague déboulait.

Il n’en fut rien.

La jeune femme rengaina son arme et passa une main sur sa blessure. Son sang suintait sous ses doigts et une brûlure englobait à présent toute la surface de sa cuisse. La griffe de la créature s’était profondément enfoncée dans sa chair… elle ne l’avait pas ratée.

- Tout le monde va bien ? s’inquiéta Illian, jetant un coup d’œil à l’ensemble du groupe.

- Ça va, mentit Aera.

Personne n’avait remarqué son mal et c’était mieux ainsi. Elle n'avait aucune envie de devenir un fardeau dont il fallait s'occuper. Elle se soignerait une fois tirée de ce souterrain. Malgré l’attaque, Aera réalisa leur chance. Si ce puits ne leur avait pas offert une sortie de secours et que cette eau n’en avait pas tapissé le fond, ils seraient morts.

Gwenähil revêtit son étoffe abandonnée un peu plus tôt contre la paroi rocheuse. Bien qu’elle retrouvât sa forme humaine, une trainée noire recouvrait son menton. Elle l’essuya d’une main, puis observa les différents tunnels avec attention.

- Ne restons pas là, déclara-t-elle.

Le groupe s’éloigna un peu de l’amoncellement de cadavres. L’odeur âcre du sang et de la chair ravagée infestait la zone. Les voyageurs marquèrent une pause à l’orée du halo lumineux généré par la lueur des torches qui traversaient le puits. Au-delà, le noir complet. Aucun muphist n’avait survécu à la baignade. Aera avait complètement broyé les siens dans la mêlée.

- J’aurais préféré éviter ce niveau, confia la métamorphe. J’espère qu’il ne nous tombera pas dessus.

- Qui ça, « il » ? tiqua Eileen, peu rassurée.

Gwenähil pivota sur sa droite, et pointa une gigantesque poche translucide et entortillée, déchirée sur toute sa longueur. Bordant le mur de la cavité dégagée sur plusieurs mètres, elle filait dans un des couloirs, qu’elle occupait sur toute la largeur. On ne pouvait même pas distinguer son extrémité qui se fondait dans l’obscurité. Une mue reptilienne. Celle d’un serpent géant. Aucun doute possible.

- Le Kemangi vit ici. C’est lui qui creuse ces galeries.

Aera sentit sa respiration devenir plus saccadée. Elle avait déjà vu ce nom, au détour d’un livre de légendes. Un monstre effrayant, d’après les histoires. On racontait qu’il pouvait se mouvoir sans bruit, à une vitesse égale à celle d’un trausöl, transperçant les pauvres égarés de ses crocs effilés et envenimés. Que pourraient-ils faire face à un basilic dans l’obscurité la plus totale ? Leurs épées ne vaudraient rien de plus que des cure-dents contre cette créature souterraine.

- Je pense pouvoir retrouver le chemin, reprit Gwenähil.

- Tu penses seulement ? s’emporta Aera. On a failli se faire tuer par des monstres, ce qui nous attend à ce niveau est pire et tu penses seulement pouvoir retrouver le chemin ?

- Je peux le retrouver, rectifia la métamorphe. Restez bien derrière moi. Avancez vite et ne vous arrêtez pas.

Aera sentit une main se poser sur son épaule et sursauta à son contact, avant de se détendre un brin. Elle reconnut la poigne d’Illian, qui cherchait vraisemblablement à la rassurer.

Ils s’engagèrent dans le tunnel en face d’eux. Une ombre dense les enveloppait et intensifiait ce sentiment d’oppression. Le bruit de leurs pas était amplifié par le clapotis de l’eau qu’ils foulaient. Couverte d’un mince filet aqueux, la roche n’en était que plus glissante.

Les voyageurs marchèrent un long moment dans un silence accablant. Une heure ou deux, peut-être. Ils n’avaient aucun moyen de vérifier.

Un grondement perça l’air. Les cris des glük-rogs paraissaient fébriles en comparaison.

- Le Kemangi ? s’alarma Erik.

- Ne traînons pas, rappela Gwenähil pour toute réponse.

Sa voix plus sèche et marquée de légers trémolos avait perdu son intonation mystérieuse.

À fleur de peau, Aera enchaînait de profondes inspirations. La douleur lancinante dans sa jambe et la situation délicate dans laquelle ils se trouvaient ne l’aidaient pas à retrouver son calme. Chaque minute qui défilait durait une éternité. Elle avait l’impression qu’ils ne sortiraient jamais d’ici.

Une nouvelle plainte déchira le silence. Mieux valait presser le pas.


C’était calme. Trop calme. Aera n’aimait pas ça. Elle préférait être en mesure d’entendre son ennemi pour localiser le danger. En revanche, elle nota un détail qui avait toute son importance : le sol était en pente douce, car le niveau d'eau diminuait. Ils montaient, donc logiquement, se dirigeaient vers la sortie ! Du moins, elle l’espérait. Ils allaient enfin atteindre l’autre côté et n’auraient plus qu’à pénétrer la jungle pour trouver Lumeo. Ils touchaient du doigt leur objectif !

Peu à peu, l’obscurité totale laissait place à une faible luminosité. De fins rayons de lumière traversaient les interstices entre les pierres au-dessus de leurs têtes. Cependant, le tunnel ne leur facilitait pas la tâche. Au lieu de décrire une ligne droite, il se faufilait sous la montagne en d’interminables tortillons.

Gwenähil stoppa sa marche.

- Je sens sa présence, murmura-t-elle.

L’inquiétude se lisait sur tous les visages.

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