Chapitre 4 : Partie 4/5

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Une secousse la tira de son sommeil profond. Vu les lueurs matinales, elle ne devait pas avoir dormi plus de deux heures.

- Lève-toi si tu veux manger ce matin ! l’avertit Aera, pleine d’entrain.

Eileen se frotta les yeux avant de se redresser en baillant. Elle se prépara aussi vite que ses membres engourdis le lui permettaient et suivit sa colocataire, l’esprit toujours embrumé.

- Qu’est-ce que tu as fait pour te mettre dans cet état ?

- Je suis restée à la bibliothèque, répondit Eileen, le regard perdu dans le vide. Je voulais en savoir plus sur Nergecye.

Elle reprit, avec maladresse.

- Ma perte de mémoire, tu sais. Je travaille là-dessus.

- Il n’y a que des bouquins qui font l’éloge du royaume. Si tu veux mon avis, ils ne sont pas intéressants et ne collent pas à la réalité.

- J’aimerais lire un livre à propos des Terres Rouges, enchaina-t-elle. Tu penses que je pourrais en trouver ?

- Certainement pas !

Aera se courba sur la table et poursuivit à mi-voix.

- J’en ai un, moi. Si tu le souhaites vraiment je pourrais te le faire lire.

Eileen plissa le front.

- Je croyais qu’il était interdit de posséder des livres.

- Chacun a ses petits secrets.

Tout au long du repas, Aera lui parla de ce fameux continent. Pas des informations que contenait son ouvrage, mais de l’importance qu’elle voyait à les connaitre. Selon sa colocataire, comprendre son ennemi était le meilleur avantage à considérer. Connaître leur culture et leur manière de vivre sur le bout des doigts permettrait de s’y adapter sans trop de mal, au cas où la situation venait à se compliquer.

Passant d'une digression à une autre, elle lui conta ses différentes lectures passionnantes et mentionna à plusieurs reprises le Troisième Continent. Eileen se rappelait que Gaël lui avait montré son emplacement sur la carte. Rien de plus. Trop préoccupée par ses propres interrogations, elle peinait à s’intéresser à d’autres sujets et n’écoutait que d’une oreille distraite. Son amie semblait y connaître un sacré rayon.

Au bout de plusieurs minutes, elle changea subitement de sujet, reprenant une voix normale :

- Une fois que je ferai partie de la garde, je serai un atout. Et plus personne ne pourra parler de mon passé de sans-don.

Eileen posa son verre d’eau.

- Ton passé de sans-don ?

Aera perdit son sourire et inspecta les alentours, comme pour s’assurer que personne n’écoutait la conversation.

- Mon don s’est développé très tard, chuchota-t-elle. J’en ai fait les frais très longtemps… mais aujourd’hui, je vais enfin pouvoir prouver ma valeur.

Elle se mordit les lèvres et marqua une pause. Ses doigts tapotèrent la table, puis se mirent à triturer sa fourchette. Elle reprit sur un ton sec.

- Pourquoi je me retrouve en Niveau 1 à mon âge, d’après toi ?

- Euh... Je suis sûre que tu rentreras dans la garde, la soutint Eileen, un rictus de gêne sur les lèvres.

Elles terminèrent leur repas sans prononcer un mot de plus.

De retour dans la chambre, Aera s’empressa de fouiller dans ses affaires et lui tendit un livre couleur sang.

- Qu’on soit bien d’accord : personne ne doit te trouver avec. Et si ça devait arriver, il ne t’appartient pas, il ne m’appartient pas, tu l’as trouvé et naïvement ramassé. C’est bien compris ?

Eileen hocha la tête.

- J'ai à faire, reprit Aera. Un rendez-vous pour parler du mariage avec le Capitaine Kilenswar, c'est important.

- Ok.

Elle s'arrangea une mèche de cheveux face au miroir, puis s’éclipsa en hâte. Prise de court, Eileen n'eut pas le temps de l'interroger sur les détails et entama sa lecture.

La première de couverture, en cuir rouge et agrémentée de broderies noires, imposait le ton.

La moitié de l'ouvrage était réservée aux habitudes de vie dans ces terres, qui dans le fond, n'étaient pas si différentes de celles de Nergecye. Comme c'était le cas d'un pays à un autre, les différences se limitaient surtout aux coutumes, aux styles vestimentaires et aux habitudes alimentaires. Les particularités étaient expliquées, entre autres la terre colorée de rouge, à l'origine du nom du continent. Eileen s’intéressait surtout aux dessins, de grossières illustrations faites à la main. La seconde partie traitait de l'histoire, des accords de paix avec les Terres de Lumière, mais aussi de leurs dons différents tout aussi intéressants.

Ils en possédaient eux aussi ? Alors pourquoi le roi avait-il déclaré que si elle en possédait un, elle ne pouvait être ennemie ? Cela n’avait aucun sens !

Eileen s'étonna de la neutralité des titres des chapitres, qui, pour la première fois parmi toutes ses lectures, ne présentaient pas les Terres Rouges comme démoniaques et malfaisantes. Elle fronça les sourcils lorsqu’elle parvint aux cinq dernières pages. Le papier, plus fin, était raccroché avec du fil épais comme s’il avait été rajouté après la reliure, tandis que l’écriture manuscrite, à peine appliquée, était presque indéchiffrable.

Ces feuilles peignaient le portrait des irnaths, un nom et une description figuraient sous les illustrations griffonnées. À sa grande surprise, ces démons n’arboraient ni queue ni cornes, ou tout autre élément caractéristique, voire grotesque, qu’elle aurait pu imaginer. Hormis des oreilles pointues et des iris affinés, sur le papier, rien ne les différenciait des êtres humains. Au fil des pages, son cœur battit plus vite et sa respiration s'accéléra. Le portrait lugubre d'un démon dénommé Grey Hamer lui fit froid dans le dos. Ses traits anguleux allongeaient son visage creux et des inscriptions runiques recouvraient son crâne rasé. Ses deux billes noires semblaient sonder Eileen. Terrifiée, elle pria pour ne jamais se retrouver nez à nez avec lui. En-dessous, un encart apportait quelques informations : « Âge : 87 ans ». Vraiment ? Pourtant, aucune ride ne marquait son front. « Don : air. Fait marquant : Génocide de 3 798 cal. eïen. ».

Sa main se mit à trembler comme une feuille quand ses doigts effleurèrent la dernière page. Sa poitrine se comprima. Elle commença à la tourner d’un geste saccadé, laissant découvrir le portrait d'un dernier démon, puis se figea. Soudain, comme prise d’un spasme, elle rejeta le livre sur son lit et se recroquevilla. Son rythme cardiaque s’intensifia encore. Le souffle court et le teint pâle, elle essaya de retrouver une respiration normale. Elle se leva et replaça l’ouvrage en hâte dans les affaires d’Aera. Une petite voix dans sa tête lui criait de le reprendre, de le lire jusqu'au bout, mais tout son corps refusait de réagir. Eileen ne comprenait pas sa propre réaction. Choquée, elle quitta la chambre.

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