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Le rire reprit. Kimoudi se retourna, prêt à se battre si nécessaire. Il n’y avait rien autour de lui, sinon un baobab solitaire qui occupait le centre de la petite île. L'écorcre brillante et lisse comme la peau d'un serpent d'eau, l’arbre n’était pas aussi massif que ses frères des plaines arides, mais on pouvait sans mal se cacher derrière. Son bouclier devant lui, Kimoudi ramassa une pierre et avança vers la source du rire. Il sauta derrière l’arbre : rien.

— C’est pour moi ? demanda une voix aigüe et douce qui semblait venir de l’arbre.

Le poing levé avec la pierre à l’intérieur, Kimoudi se sentit honteux et secoua la tête.

— Bien sûr que non, convint la voix. C’est déjà à moi.

Kimoudi posa doucement la pierre au sol.

— Tu n’as pas de cadeau pour moi ?

— Je ne suis pas venu offrir un cadeau, je suis venu pour devenir un homme.

— Tu n’es pas un homme ?

— Non.

— Pourtant, tu es grand comme un homme.

— C’est vrai.

— Et tu as l’air fort comme un homme.

— C’est vrai.

— Pourquoi n’es-tu pas un homme ?

— Parce que je dois trouver une chose de plus rare que le grand Chantak tueur d’hommes.

— Si tu trouves cette chose, tu seras un homme ?

— Oui.

— Si je te donne cette chose, que m’offriras-tu ?

— Ça ne peut pas être donné, c’est moi qui dois le prendre, sinon ce n'est plus une épreuve.

— Offre-moi quelque chose qui me plaît et tu pourras devenir un homme, lui assura l’arbre.

Kimoudi hésita. Il avait perdu sa lance et sa sagaie, son bouclier était donc son dernier atout s’il devait se défendre, mais il avait offensé l’orisha de l’île. Partir sans la dédommager serait dangereux. Il déposa la protection au pied de l’arbre et attendit son jugement.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda la voix.

— C’est un bouclier.

— À quoi est-ce que ça sert ?

— C’est une protection.

— Oh, merci. Il est très beau.

Des branches poussèrent en passant à travers l’osier tressé. Les peintures quittèrent le bouclier pour se répandre sur l’écorce de l’arbre.

— Je l’aime, décida la voix. Tu m’as fait un magnifique cadeau.

— Tu m’honores orisha. Tiendras-tu ta parole ?

L’écorce continuait de bouger et les motifs se répandaient à travers elle, contournant l’arbre tout entier pour disparaître de l’autre côté sous le rire cristallin. Kimoudi sentit la peur et la colère s’emparer de lui.

— Non, orisha ! Tu dois tenir parole, c’était tout ce qui me restait !

Il tenta de suivre les symboles et se retrouva à courir autour du tronc, si bien qu’il ne vit l’orisha que trop tard. Ne l’évitant que d’un cheveu, il chuta à ses pieds. À genoux, il observa son corps encore en formation.

L’orisha n’avait pas la couleur ébène d’une femme, mais celle de l’écorce de l’arbre, presque aussi claire que du sable. Sa peau n'était pas velouté ou granuleuse comme celle d'une femme, mais lisse et brillante comme celle de l'arbre. Ses cheveux n'étaient pas noirs et tressés comme ceux d'une femme, mais libres et blancs comme ceux des feuilles de l'arbre. Les symboles peints sur le bouclier par les mères de Kimoudi se répandaient sur l'orisha, se lovant dans les courbes et les angles du corps surnaturel. Parce que sa peau était plus claire que celle d’une femme, les ombres semblaient plus profondes, les formes plus sensuelles.

Kimoudi sentit son sang bouillir à la vue du corps qui se révélait à lui. Sa peau d'ébène se couvrit de transpiration dans l’air moite de la forêt et, incapable de contrôler le désir qui montait en lui, il ne put réfréner la pulsation de son sexe en train de durcir. Pas encore considéré comme un homme, il n’avait pas le droit de le couvrir avec des trophées, aussi l’orisha aperçut-elle sans mal la rigidité qu’il tentait de masquer avec ses mains.

— Pourquoi caches-tu ton désir ?

— Parce que c’est mal, je ne suis pas encore un homme et ceux qui ne sont pas des hommes n’ont pas le droit de désirer.

— Et pourtant, toi qui n’es ni un enfant ni un homme, c’est ton désir qui t’a emmené ici.

— Megouga m’a amené ici, elle sera ma femme.

— Ce que tu désires c’est Oya, pas Megouga.

— Qu’est-ce que c’est, Oya ?

L’orisha se mit à genoux face à lui, ses cuisses entourant celles de Kimoudi sans les toucher, son ventre nu bien trop proche du sexe comprimé sous ses mains crispées. Son visage se rapprocha du sien et il ferma les yeux sans savoir quoi faire.

— Je suis Oya. Maintenant, je vais te faire un cadeau à mon tour.

Le baiser se déposa sur son front. Oya avait les lèvres fraîches et humides, la sensation agréable de son contact se répandit dans tout son corps. La honte disparut et ses mains s’écartèrent, libérant son sexe dressé jusque sur son ventre comme l’avait été celui d’Eshu.

— Tu m’as offert ton bouclier, désormais aucun chasseur de ta tribu ne pourra me faire du mal. Pour te remercier, je te donne la protection de mon bois sacré. Aucun orisha ne pourra plus te tromper ou te maudire.

La main de Kimoudi se porta à son front. Une marque s’était incrustée dans la peau.

— Je ne peux pas devenir un homme avec ça. Ce n’est pas un trophée dont je peux couvrir mon corps.

— Tu as dit que tu devais prendre, pas recevoir.

— C’est vrai.

— Alors prends et deviens un homme, ordonna Oya en collant son front contre le sien, ses mains fraîches posées sur ses épaules.

Le désir qui montait en Kimoudi était de plus en plus fort. Le visage de Megouga devenait flou dans sa mémoire. Était-elle si belle ? Pourquoi avait-il lancé ce défi à la tribu ? Il n’en était plus si sûr. C’était l’acte d’un enfant capricieux qui pensait aimer.

Les yeux noirs de Megouga s’effacèrent, remplacés par ceux de l'orisha qui le dévisageaient en attendant qu’il fasse un choix. Les rétines d’Oya étaient du même vert que les fruits de son arbre et elles avaient la même apparence fibreuse. C’étaient des yeux étranges, trop clairs, trop peu humains, mais il aimait leur couleur et leur forme en amande.

Sa bouche trembla en s’ouvrant légèrement. Les lèvres charnues d’Oya l’attendaient, offertes mais immobiles. Il alla à leur rencontre et ne pensa plus du tout à Megouga. La fraîcheur de la bouche de l’orisha se répandit en lui comme l’eau fraîche d’un torrent de mousson. Il but à sa source, s’abreuvant de leur baiser comme s’il n’avait pas vu d’eau depuis des jours. Les mains d’Oya ne quittaient pas ses épaules. Elle attendait.

— Je dois prendre pour devenir un homme, souffla-t-il en la renversant doucement sur le dos.

Il pesa contre elle. Son corps était souple comme une jeune branche, sa peau douce comme celle d’un fruit mûr. Le désir le brûlait de l’intérieur, lui ordonnait de plonger en elle. C’était tabou, seuls les hommes en avaient le droit, mais les orishas ne pouvaient plus le punir pour avoir enfreint les règles sacrées.

Oya ne faisait rien pour l’encourager ou l’aider, jusqu’à ce qu’il se presse contre elle. Son visage changea alors, ses yeux se fermant comme pour mieux le sentir, sa bouche ouverte sur un désir muet. Il entra en elle, goûtant l’humidité et la douceur de son sexe contre le sien. Tremblant, il se retira, puis revint. Chaque fois, il alla plus profond en Oya et chaque fois, elle gémit un peu plus fort.

Lorsqu’il s’enfonça jusqu’à ce que leurs ventres se rencontrent, elle lui chuchota :

— Maintenant, tu es un homme. Fais ce que font les hommes.

Kimoudi accéléra et les mains d’Oya quittèrent enfin ses épaules, se glissant sur ses côtes, dans son dos et sur ses fesses. Il sentait venir à lui une sensation nouvelle. De son ventre, un plaisir monta qu’il n’avait jamais connu, même dans ses rêves secrets avec Megouga. La sensation de plaisir s’accentua, tandis qu’Oya se resserrait autour de lui. Les jambes de l’orisha se refermèrent sur son dos et elle attrapa son visage pour plaquer ses lèvres contre les siennes.

Alors, il sentit le fruit de leurs efforts éclore en lui, depuis ses reins jusqu’à son sexe brûlant. Son plaisir éclata comme la cosse d’un fruit sucré, tandis que son jus fertile se répandait au plus profond d’Oya.

Éreinté, Kimoudi sentit ses forces l’abandonner. Sous lui, l’orisha chantonnait un air inconnu d’une voix apaisante, tout en caressant son dos comme on le faisait avec les enfants. Kimoudi était un homme, pourtant la main et la voix d’Oya le réconfortaient davantage encore que celles de ses mères lorsqu'il était encore enfant.

Lorsqu’il eut soif, Oya lui offrit l’eau autour de son île. Lorsqu’il eut faim, elle lui offrit les fruits de son arbre. Lorsqu’il demanda pourquoi elle s’occupait si bien de lui, elle répondit qu’elle devait rendre les cadeaux qu’il lui faisait. Alors, ils firent l’amour à nouveau.

Il ne rentrerait pas dans la tribu. Au fil des nuits, sa peau avait changé, blanchi. On ne le reconnaîtrait pas. On aurait peur de lui. De son front, la marque s’était répandue peu à peu sur tout son corps, formant des motifs complexes de la couleur du sable sur sa peau. Oya disait qu’elle les trouvait beau, alors lui aussi. À présent, il n'avait plus envie de boire, ni de manger. Un second baobab poussait contre celui d'Oya. Parfois, il dormait contre lui.

De temps à autre, Eshu leur rendait visite. Ils partageaient leur île avec lui le temps d’une nuit, riant tous de bon cœur lorsque le messager évoquait le tour qu’il avait joué à l’apprenti chasseur.

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