Brin

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La caravane s'approchait d'une forêt touffue serrée entre deux montagnes. On avait depuis longtemps troqué les chameaux par des cheveaux ou des ânes, les pierres et le sable jaune du désert s'étaient retirés pour laisser la terre couvrir les pas des vagabonds, et de timides brins d'herbe, puis quelques rivières et enfin au loin, cette fameuse forêt sombre qui dominait la vallée, avaient remplacés le paysage habituel.

La tête de caravane s'arrêta, et lentement, la longue file qui la suivait se rassembla.
Dans une clairière près d'un ruisseau, bien vite, le camp fut monté. Il siégeait au centre du lieu un curieux rocher pointu qui ne manqua pas d'amuser les chèvres et les enfants. La journée d'ailleurs avait été fraîche et agréable en cette saison d'ordinaire si chaude, et tout le monde était heureux de s'asseoir et de retrouver ses amis. Les jeunes gens s'éclaboussaient dans le ruisseau, tandis que les rires résonaient déjà autour des feux de camp, mêlés de chansons et de musique ! On mangea gaiement, on dansa tous ensemble, et quelle belle nuit ce fût !
Pour se souvenir, on baptisa l'endroit Roche-Cabriole, et la caravane s'apprêtait à reprendre la route, satisfaite.

Un jeune homme pourtant refusait de partir. Il en pleurait de tristesse.
"Cette endroit est béni de bonheur !" répétait-il "Pourquoi partons-nous ? Et si nous ne revenions jamais ? Et si notre souvenir s'estompe ? Et si nous oublions le nom, si nous oublions le chemin qui nous y mène ?". Ses amis tentaient bien de le convaincre, mais il refusait de quitter la clairière, et restait accroché à son rocher.
Grand-Père-de-Tous alors s'avança, et lui proposa: "Accroche une corde à ton rocher et attache l'autre bout autour de ta taille. Ainsi, tu pourras nous suivre comme bon te semble, et le chemin ne s'estompera pas."

Le jeune homme embrassa Grand-Père-de-Tous en le remerciant, et s'empressa de trouver une très longue corde qu'il attacha autour du rocher, puis autour de sa taille. Ceci fait, la caravane repris sa route.

La forêt n'était plus qu'à quelques pas de là. Les feuilles au dessus couvraient le ciel tout entier, et les vagabonds étaient inquiets de ne plus voir le soleil. Mais les Cartes, rassurants, connaissaient le chemin, et malgré l'inquiétude de tous, on sortit enfin de la forêt pour retrouver la plaine et le village tant attendu, dont les fumées à l'horizon annoncaient le souper.

Tout le monde sortit du bois, soulagé... à l'exception d'un certain jeune homme, par la taille attaché !
En effet la corde venait juste de se tendre, et l'empêchait de mettre ne serait-ce qu'un orteil en dehors de la forêt ! Déjà il sanglotait, à l'idée de partir et de laisser la corde derrière lui.
Il appela au secours, et Grand-Père-de-Tous vint lui parler: "La corde est arrivée à son bout. Tu dois choisir maintenant: te libérer, et partir avec nous, ou rebrousser chemin jusqu'à Roche-Cabriole."

Le jeune homme refusait de choisir, il sanglotait encore, suppliait qu'on lui donne une corde plus longue. Dans sa détresse, il se mit a tirer et tirer encore sur la corde pour rejoindre ses compagnons, comme pour arracher le rocher de son souvenir et l'emmener avec la caravane.

Ce que tout le monde ignorait cependant, c'est que là-bas, au fond de la vallée, de l'autre côté de la forêt si sombre, dans la clairière, près du ruisseau... Roche-Cabriole s'était mise à trembler. En effet, ce que tout le monde avait pris ce soir-là pour un simple rocher, était en réalité le nez d'un gigantesque et terrifiant golem de pierre, endormi par un sortilège depuis des milliers d'années.
Et la corde que le jeune homme avait enroulée lui chatouillait affreusement, affreusement le nez... d'un coup sec, il tira sur la corde, et le jeune homme fut aspiré dans la forêt à une vitesse phénoménale. Il atterit bientôt aux pieds du golem, qui avait grand faim après tant d'années de sommeil... et qui n'en fit qu'une bouchée.

L'endroit aujourd'hui, porte toujours le nom de Roche-Cabriole. Il n'y a plus de chèvres ni de rocher, mais les brins de corde que le golem n'a pas mangés on fait pousser dans la clairirère un chanvre très dur et très solide, qu'on cultive maintenant sous le nom de Chanvre du Regret.

A vous enfin qui m'écoutez, que cette histoire vous serve de leçon: à trop tirer sur les souvenirs, on a tôt fait de se faire dévorer par eux.

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