Chapitre 8 : Épilogue… et préambule

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 « Tuerie à Mulhouse : le Docteur Schoenberger et ses deux filles sont morts ». Cette manchette glaçante s’affichait dans les kiosques à journaux de la maison de la presse où Milan était parti acheter une revue jeunesse pour Samuel. Six mois s’étaient écoulés depuis le concert de Noël et le merveilleux cadeau qu'il reçut. Le foyer était véritablement devenu sa famille. Milan ne se présentait pas comme son père, et ne voulait pas que Samuel et sa sœur le voient ainsi. De même, Éloïse ne voulait pas qu’ils la voient comme leur mère. Les deux éducateurs savaient qu’un jour viendrait où Samuel et Louise retourneraient vivre au domicile parental. Ils auraient peu de temps pour s'y préparer le moment venu, et essayaient de ne pas y penser, aussi longtemps que les deux Koenig étaient avec eux. Par la force des choses, les deux éducateurs s’étaient eux aussi beaucoup rapprochés. Ils avaient beaucoup de points communs, plus encore qu’ils ne le pensaient, et le fait de s’occuper de ce petit garçon et de cette petite fille avait créé des liens entre eux.

– Samuel, pose ce journal, ne va pas de faire peur avec des histoires sordides comme ça, dit Milan.

– Tu as vu, ses deux petites filles sont mortes ! s’émut le petit garçon.

 Milan soupira, et articula les lèvres comme pour dire « Et merde ! », mais aucun son ne sortit de sa bouche. Depuis bientôt un an et demi qu’il travaillait à la Robertsau, il avait pris certains réflexes.

 « J’ai vu passer ça aux infos aussi… C’est une histoire terrible. Mais toi, tu ne cours aucun danger, d’accord ? »

 Samuel le regarda avec ses yeux tristes. Il était en train de terminer son année de CP à l’école élémentaire de la Musau. Il avait désormais sept ans. L’année prochaine, il se retrouverait dans la classe bilingue de M. Perret et Mme Lindemann. Et surtout, Anders entrerait en CP à son tour. Avec un peu de chance, ils seraient dans la même classe. Louise, elle, venait d’avoir trois ans. À son tour, elle entrerait à l’école maternelle de la Musau, probablement dans la même classe que les jumeaux Karlsson.

 Malgré le temps resplendissant, l’été approchant, Samuel avait le coeur gros. Il était devenu un bon lecteur, et lisait tout texte qui passait à sa portée. Celui-ci, il aurait préféré ne pas arriver à le lire…

– Ça te dit, un petit tour au parc de la Citadelle ? Rien de mieux pour se changer les idées !

– Tu as pris les maillots ?

– Bien sûr.

– Ouaaaaaiiis, a veux aller à pa’c de la citadelle ! s’écria Louise, pleine d’allant.

 Entendre sa sœur pousser un cri de joie avait toujours quelque chose d’enthousiasmant pour Samuel. Ses progrès pour parler étaient impressionnants, malgré son cheveu sur la langue et sa difficulté à prononcer les R.

 « Beaucoup d’enfants n’en sont pas là, à trois ans », lui aurait dit le Sachem. Comme cela se faisait le plus souvent, il furent rejoints par les Karlsson. Quand il ne se contentait pas de barboter dans les bassins du parc de la Citadelle, Samuel allait régulièrement nager à la piscine du Wacken. À cette époque de l’année, cela devenait de plus en plus compliqué. La chaleur aidant, elle était littéralement prise d’assaut. Parfois, avec Louise, ils allaient aussi au centre nautique de Schiltigheim, ou alors ils accompagnaient les Karlsson à la Kibitzenau, quand ils ne traversaient pas le Rhin pour aller à celle de Kehl. Samuel aspirait à une chose : tenter le grand plongeoir à Schiltigheim. Il était haut de dix mètres. Mais Éloïse et Milan lui interdisaient d’y aller. Trop dangereux tant qu’il ne savait pas nager, disaient-ils. D’où lui était venue cette passion pour la piscine ?

 Au cours de son année de CP, les enseignants de la Musau s’aperçurent que Samuel avait une peur phobique de l’eau. On apprit plus tard que du vivant de ses parents, il avait manqué de se noyer à la Baggersee. Le petit garçon prit sur lui tant bien que mal dans le cadre de l’école, mais les choses se débloquèrent réellement quand il y retourna seul avec les éducateurs et avec la famille Karlsson. Et le temps aidant, il prit de plus en plus d’assurance. À partir du moment où il n’eut plus peur de s’immerger complètement, il prit largement goût à cette sensation.

 Et là, dans le parc de la Citadelle, il se mit complètement sous l’eau, comme pour faire de l’ordre dans ses idées. Elles se bousculaient dans sa tête. Le Docteur Schoenberger avait participé à sauver tout le monde en diffusant un traitement efficace contre le virus qu’il avait découvert. Il avait dû se faire des ennemis, mais quel genre de monstre aurait pu s’en prendre à deux petites filles ? Puis au fur et à mesure que le silence s’installait autour de lui, un autre bruit se dévoila.

 De nouveau, la vie revint à la charge. Il sentit autour de lui la joie de vivre de la plupart des gens, parfois des émotions plus sombres, de l’anxiété, de la peur. Et fugitivement, il ressentit l’esprit de ses parents, qui l’encourageaient à remonter.

 Samuel refit surface, et prit une grande inspiration.

 « Samuel, je t’ai déjà dit de ne pas rester aussi longtemps sous l’eau. »

 Milan se tenait à côté, et le regardait d’un air de reproche. Il était lui aussi torse nu, en caleçon de bain. Sous les chemises qu’il portait habituellement au travail, il se révélait particulièrement sec et tout en muscles. Il était plutôt fin, mais athlétique. Samuel put remarquer qu’en plus de ses bras, Milan avait aussi un tatouage sur le dos. Il s’agissait d’un phénix.

 Peu après, ils furent rejoints par Éloïse, qui venait de récupérer d’autres enfants à l’école. C’étaient un garçon et une fille, plus jeunes que Samuel, mais ils devaient avoir un ou deux ans de plus qu'Éloïse les aida à se déshabiller pour aller profiter de la fraîcheur des bassins. Le thermomètre avoisinait les 35°C. Samuel vit les deux éducateurs s’embrasser. Il était clair qu’ils étaient plus que des collègues, désormais.

 Cette nuit-là, c’était Éloïse qui était de garde. Samuel fit un cauchemar. Il eut la vision d’une famille, d’une famille en fuite. Avec une menace invisible qui les traquait. Il ne parvenait pas à les reconnaître. Il vit un petit garçon aux cheveux blonds et mi-longs, et une petite fille avec des cheveux châtains et des couettes. Les deux avaient des yeux bleu azur, les mêmes que ceux de leur mère. Celle-ci avait des cheveux noirs de jais. Trop noirs par rapport à sa peau blanche. Tous trois étaient dans une voiture, conduite par un homme à la mine soucieuse. Il aurait pu être le père de ces deux enfants, mais ils l’appelaient par son prénom.

 Samuel se réveilla en sursaut. Dans le couloir, il entendit un bruit de pas. C’était Éloïse. Elle arriva sur le pas de la porte.

– Ça va, Samuel ? demanda-t-elle.

– J’ai fait un cauchemar…

– Tu veux me raconter ?

– Je ne suis pas sûr de me souvenir. J’ai vu une maman avec ses deux enfants, dans une voiture conduite par un monsieur.

– C’était leur papa ?

– Je ne crois pas. Les enfants ne l'appelaient pas "Papa", en tout cas. Ils avaient l’air en danger, comme si quelqu’un les poursuivait.

– Oh ! Toi tu as vu passer les actualités sur la famille Schoenberger…

– Oui, mais ce n’était pas ça… Là, c’était un garçon et une fille. Et le journal disait que c’était deux filles qui étaient mortes.

– Peut-être que tu t’es imaginé dans la même situation…

– Je ne crois pas. C’était un petit garçon aux cheveux blonds, il ne me ressemblait pas du tout.

 Éloïse haussa les épaules.

– Et tu sais ce qui se passait à la fin ?

– Non, je n’ai pas vu leur ennemi. Avec un peu de chance, il ne les a pas rattrapés.

– On peut espérer…

 Samuel vint s’allonger sur les genoux d’Éloïse, assise sur son lit, et se colla la tête contre son ventre. Soudain, le jeune garçon sentit quelque chose.

 « Éloïse, il y a quelque chose qui a bougé. »

 La jeune femme eut un sourire un peu gêné.

 « Surprise ! », dit-elle, laconique.

 Samuel ne semblait pas comprendre.

– Est-ce que c’est ?…

– Oui… J’attends un bébé.

 Samuel eut un sourire. Éloïse lui rendit son sourire.

– C’est trop bien ! Tu vas être… Tu vas être maman ?

– Oui.

– C’est Milan qui va être le papa ?

– Évidemment, qui veux-tu que ce soit d’autre ? s’indigna Éloïse.

– Pardon.

– Je te taquine, gros bêta. Viens une fois ici.

 Et la future maman, l’éducatrice préférée de Samuel, le serra dans ses bras.

 Le lendemain, de nouveau, Samuel eut vent d’une suite du meurtre de Mulhouse. La télévision diffusant les actualités dans un magasin des Halles Seegmuller annonça une autre triste nouvelle : « Le Docteur Teresa Schoenberger, femme de Richard Schoenberger, et mère de ses enfants s’est donné la mort dans leur maison de Riedisheim, à côté de Mulhouse. L'assassin de son mari et de ses deux filles est déjà mort, mais la police poursuit l'enquête car le donneur d'ordre est toujours inconnu. »

 « Sérieusement, ils exagèrent ! », protesta Éloïse. « Ils ne pourraient pas mettre autre chose ? Je ne sais pas, moi, une chaîne qui passe des dessins animés ? Allez, venez, mes loulous, on va retrouver Milan. Et on va se prendre un bretzel, je meurs de faim ! »

 Samuel s’étonna de ne rien sentir de si violent sur cette information… Quelque chose sonnait faux. Mais cela, il ne le découvrirait que quelques années plus tard.

 Dans quelques mois, Milan et Éloïse allaient devenir parents. Éloïse allait mettre au monde une petite fille, ils allaient l’appeler Maria. En second prénom, ils l’appelèrent Krzystina, un prénom polonais, en hommage à la mère de Milan, lui-même né en Pologne, bien qu'il fût arrivé petit garçon à Strasbourg.

Deux ans plus tard

 Samuel avait désormais bien grandi. Il avait neuf ans, était devenu de plus en plus autonome. Et Louise, elle, était éveillée au monde comme jamais. Elle revenait régulièrement des potagers du foyer, les mains pleines de terreau. Plusieurs fois, Samuel avait emmené sa basse en week end à la campagne, ou en voyage. Mais faute d’ampli, il finissait par se résoudre à se rabattre sur la première guitare sèche qui se présentait. Plus petit qu'elle quand il avait commencé, il se sentait désormais à l’aise avec sa basse qu’il avait reçue à Noël, deux ans et demi plus tôt.

 Après un retour de vacances au centre de vacances de la Forêt-Noire, lui et Louise étaient désormais bien bronzés. Ils redemandaient du grand air et de la lumière du jour. Depuis quelque temps, tous deux avaient un sommeil un peu agité. Louise remarquait qu’on les laissait de plus en plus souvent seuls, elle et son frère. Dans d’autres fratries, le frère aîné en aurait profité pour la martyriser. Mais Samuel n’en faisait jamais rien. Tout au plus la taquinait-il un peu.

 La petite Louise avait désormais cinq ans. Elle avait des cheveux coupés au carré, souvent attachés en deux couettes. Quand Samuel était inspiré, il pouvait lui faire des tresses en couronne. Ce matin-là, alors qu’ils sortaient de la salle de bains, fraîchement habillés et une serviette autour du cou, Samuel s’adonnait à leur rituel du matin : coiffer sa petite sœur. Il alla dans sa chambre à elle, et assis en tailleur sur le lit, il se mit à l’ouvrage.

– Quand on retournera à l’école, je ne pourrai pas y passer aussi longtemps », dit-il en s’arrêtant chaque fois que son peigne passait sur un nœud.

– Ça va, répondit Louise. Ça fait pas mal... Aïe !

– Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai accroché un nœud ?

– Non, le peigne s’est planté dans la peau !

– Oh ! Pardon. Montre où j’ai fait ça.

 Louise posa le doigt sur sa masse capillaire qui, avec l’âge, était passée du brun clair au noir de jais. Samuel scruta.

– Enlève ta main, je ne vois rien… Ah… oui… Tu as une petite égratignure. Je suis désolé. Ça fait mal ?

– Non, non. Continue.

– Non, mais là, ça va, de toutes façons, on a fini.

 Puis dans le tiroir de la table de nuit, il chercha des chouchous. Il en trouva une paire de bleus, ornés de petits lapins, et commença à lui faire des couettes.

– Sam ? demanda la fillette d’un air songeur.

– Oui, p’tite sœur ?

– Tu crois qu’on va bientôt partir d’ici ?

– Je sais pas… pourquoi tu me demandes ça, d’un coup ?

– On fait de plus en plus de choses tout seuls. Ils nous surveillent de moins en moins.

– C’est possible. Et alors ?

– Ben, quand tu es devenu assez grand pour te débrouiller seul, ils te laissent rentrer chez toi, non ?

– Ce n’est pas aussi simple. Il faut quand même un adulte pour être ton tuteur. Je t’ai déjà expliqué comment ça marche.

– Tu ne crois pas que Milan et Éloïse pourraient s’en occuper ?

– Eux ? Non ! Ils ont bien assez à faire avec Maria.

– Je sais. Mais… c’est pas pareil quand ils sont pas là.

 Sans rien dire, Samuel tira la main droite de Louise pour la retourner vers lui. Il eut un petit regard narquois :

 « Ne me dis pas que tu es jalouse ! »

 La fillette baissa la tête, et répondit timidement :

– Un peu…

– Tu sais. Ils ne remplaceront pas Papa et Maman. Mais je pense qu’ils seront toujours là pour nous aider si jamais on a besoin.

 Puis Samuel regarda sa petite sœur dans les yeux, puis lui posa une main sur la joue. Puis Louise, avec le même air sérieux, lui dit en le regardant droit dans les yeux :

– J’ai fait un rêve, cette nuit.

– Ah oui ?

– Oui. J’ai rêvé qu’on rentrait à la maison.

– Tu te souviens un peu de la vie qu’on avait à la maison ?

– Un petit peu. Je crois que j’ai quelques souvenirs de Papa et Maman.

– Tu te souviens qu’ils ne seront plus là pour nous accueillir ?

– Je sais ! répondit-elle d’un ton las.

– Tu te verrais retourner y vivre ?

– Je sais pas… On est bien ici, non ?

– Oui. Mais tu n’as pas envie qu’on ait vraiment notre chez nous à nous ?

– Si, mais… Si toi, tu as un problème, qu’est-ce que je vais devenir ?

– C’est pour ça qu’il y a des tuteurs, entre autres. On ne va pas t’abandonner. Et moi, même mourant, je garderais mes dernières forces pour être sûr que tout aille bien pour toi.

 Le regard de la petite fille s’assombrit, elle semblait à deux doigts de pleurer.

– Dis pas ça, crétin ! Je veux pas que tu meures !

– Pardon, pardon, dit-il en la serrant dans ses bras. Je veux dire que je ne te laisserai jamais tomber. Tu préfères ?

 La tête enfoncée dans les bras de son frère, la petite Louise hocha vigoureusement la tête. Les deux enfants entendirent frapper à la porte. C’était Milan. Depuis la naissance de Maria, c’était devenu rare de les voir tous les deux en même temps. Sauf certains soirs où ils s’arrangeaient pour être de garde tous les deux pour pouvoir s’en occuper ensemble. Il avait une mine plutôt grave.

– Les enfants, le Sachem voudrait vous voir.

– On a fait une bêtise ? s’étonna Louise.

– N… Non, pourquoi ?

– Il s’est passé quelque chose de grave ? s’interrogea Samuel.

– Mais… Mais non ! Qu’est-ce que vous allez imaginer ?

– Je sais pas, il veut nous voir. Ça a l’air important…

 Milan soupira.

 « C’est important. Mais détendez-vous, vous n’avez pas fait de bêtise, et il n’est rien arrivé de grave. En fait, c’est même plutôt une bonne nouvelle. Enfin, ça dépend de vous. Bon, allez, venez. Le Sachem va tout vous expliquer. »

 Les deux enfants sortirent donc de leur chambre, et ils suivirent leur éducateur jusqu’au bureau du Sachem. Il était avec Ilona, qui était venue les chercher le jour de la mort de leurs parents. Loin d’avoir l’air grave. Le Sachem était comme à son habitude.

 « Salut les enfants. Vous allez bien ? Asseyez-vous, nous vous attendions. »

 Un peu hésitant, ils s’assirent sur le divan du petit salon attenant au bureau du Sachem.

– Alors, pour commencer, je dois vous dire une chose, parce qu’avec une tête pareille, Milan a dû vous faire peur. Vous n’êtes pas punis et il n’est rien arrivé de grave. Au contraire, j’ai peut-être de très bonnes nouvelles pour vous.

– Quel genre de très bonne nouvelle ? demanda Samuel.

– Est-ce que ça vous dirait de retourner vivre rue de Bischwiller ?

 Les deux enfants eurent deux réactions très différentes. Louise blêmit, tandis que le visage de Samuel s’illumina.

– Une femme s’installe dans l’appartement au-dessus du vôtre. Elle s’appelle Teresa, Teresa Capek. Ilona l’a déjà eue au téléphone. Elle vient d’arriver à Strasbourg avec ses deux petites filles. Et d’après ce qu’a dit Ilona, elle serait d’accord pour être votre tutrice.

– C’est vrai ? bredouilla Samuel. Mais je pensais… Je ne pensais pas partir si vite… Je veux dire… Je ne suis pas sûr de pouvoir me débrouiller tout seul.

– Ce n’est pas ce que me disent Milan et Éloïse. Tu es plutôt devenu un meneur dans le foyer, du haut de tes neuf ans. Tu sais faire la cuisine, la vaisselle. Tu sais te débrouiller seul dans une salle de bains. Tu aides ta sœur à faire tout ce qu’elle ne sait pas faire seule, et elle progresse de jour en jour. D'une manière générale, tu n'as plus besoin qu'on te dise quoi faire...

– J’ai besoin de réfléchir. Et puis, je dois en discuter avec Louise. Je veux être sûr que c’est ce qu’elle veut aussi.

 Finalement, Ilona prit la parole :

 « Je peux vous proposer quelque chose, les enfants. Vous pourriez rencontrer Mme Capek et ses filles ce midi. Ensuite, on vous laisse encore quelque jours pour y réfléchir ensemble. On va être bien clairs. Le Sachem ou moi, ou Mme Capek, on ne veut pas vous forcer. On pense que tu es capable de prendre les choses en main. Mais si ça te paraît trop dur, si tu as peur de ne pas être à la hauteur, tu as le droit de refuser, tu comprends ? C’est une grosse responsabilité, surtout pour un enfant de neuf ans. Alors il faut que tu puisses bien te mettre d’accord avec Teresa sur ce que tu es prêt à assumer seul et sur ce pour quoi tu penses avoir besoin d’aide, d’accord ? »

 Les deux enfants se regardèrent. Puis ils regardèrent le Sachem, Ilona, et Milan. Le Sachem demanda :

 « On vous laisse rencontrer Mme Capek, et on vous laisse voir si vous voulez qu’elle soit votre tutrice ? »

 De nouveau, ils se regardèrent. Puis ils se tournèrent vers le Sachem et répondirent d’un « oui » affirmé.

 Dans l’après-midi, ils allaient faire la rencontre de Mme Capek et de ses deux filles. La plus grande s’appelait Mila. Elle avait à peu près un an de moins que Samuel. Elle était très calme et très douce. C’était une grande blonde avec des lunettes. Elle avait un côté timide, sérieux, mais elle était très gentille. Sa petite sœur s’appelait Carmen. C’était une petite brune pleine de vie, et très joyeuse. Elle avait le même âge que Louise. Très vite, les deux petites filles commencèrent à bien s’entendre. Mila et Carmen avaient des caractères différents, des couleurs de cheveux différentes, en revanche, elles avaient le même visage fin et un peu poupin que leur mère, et les mêmes yeux bleus.

 Mme Capek, qui tenait à ce qu’on l’appelle Teresa, elle, était grande, et très élégante. Elle devait avoir un peu moins de quarante ans, et avait beaucoup de classe. Ses vêtements, plutôt chic, laissaient entrevoir une famille qui devait bien gagner sa vie. Samuel avait aussi remarqué qu’elle avait aussi un accent, et que ses filles avaient à peu près le même. C’était l’accent autrichien. Les filles n’avaient pas l’habitude de parler français et faisaient quelques erreurs, mais ils arrivaient bien à se comprendre.

 Ils déjeunèrent ensemble dans l'appartement de la famille, après avoir perdu un peu de temps à trouver un moyen de monter dans l'appartement du dessus, où elles habitaient, parce que Mila avait oublié les clés. Samuel eut du mal à ne pas réprimer un rire. Mila était une petite fille plutôt tête en l'air, ce qui la rendait plutôt drôle. Mais toutes les trois avaient l'air très gentilles.

 Samuel et sa soeur étaient quand même troublés par quelque chose : cette mère et ses deux filles lui étaient étrangement familières. Comme si le destin avait prévu que leurs routes se croisent.

 C'est ainsi que Samuel et Louise, de retour de leur rencontre, réfléchirent un ou deux jours, puis décidèrent d’un commun accord d’accepter la tutelle de Teresa. Ils n’eurent pas à regretter ce choix, malgré le crève-cœur que fut leur séparation d’avec Éloïse et Milan. Samuel et Louise allaient continuer régulièrement de revenir au foyer, mais en tant que simples visiteurs, cette fois.

 Cet été 2054, un peu plus de trois ans après la mort de leurs parents, Samuel et Louise avaient quitté la Robertsau, et une nouvelle vie de famille débutait pour eux. Cette impression de déjà-vu qu'éprouvaient Samuel et Louise allait prendre son sens par la suite, mais ceci est une autre histoire.

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