Chapitre 10 (fin)

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Le lendemain matin, Richard prévient le cabinet qu'il ne viendra pas travailler. Au réveil, il a relu ses messages et s'en veut de l'avoir laissée seule après tout ce qu'ils ont vécu la veille. Il veut passer la journée avec elle et lui faire oublier cet affreux dimanche. La réconforter, la prendre dans ses bras, partager son soulagement, et la convaincre de venir avec lui à Kyoto.

Il dépose ses filles à l'école et fonce chez Gladys.


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Devant l'immeuble, sa voiture est garée à sa place habituelle. Il grimpe les étages et sonne, pas de réponse. Il tente de la joindre sur son téléphone, entend la sonnerie à l'intérieur mais elle ne décroche pas.

Inquiet, il descend chez la gardienne, qui accepte affolée d'utiliser son passe, en disant :

« C'est pas vrai qu'elle a recommencé ! Elle est si gentille...

— De quoi parlez-vous ?

— Sa tentative de suicide, il y a deux ans...

— Quoi ? »

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Elle lui ouvre la porte, Richard l'appelle sans succès. Visitant l'appartement il la découvre dans la chambre, inanimée sur son lit. La concierge prévient immédiatement les secours. Ils essayent en vain de la réveiller, de la soulever, mais son corps n'est plus qu'un poids mort.

Les pompiers arrivent, cherchent les boîtes des médicaments absorbés et constatent que son pronostic vital est engagé. Gladys est hospitalisée dans un état critique.


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Richard a suivi et patiente. Il ne comprend pas. Pourquoi a-t-elle fait ça ? La concierge a prétendu que ce n'était pas la première fois. Il est projeté cinq années en arrière, lors de l'accident. Pourquoi la vie met-elle des femmes fantastiques sur sa route si c'est pour les lui reprendre ?

Avec Gladys, ils avaient tout pour être heureux...

Une chape de plomb pèse sur ses épaules et la nausée ne le quitte plus.


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Un homme s'approche :

« Bonjour. Docteur Murat, je suis le psychiatre de Gladys. »

Richard le regarde perplexe.

« Elle ne vous a jamais parlé de moi ?

— Non...

— Venez, allons près d'elle.

— Elle s'est pas réveillée ?

— Non, et le lavage d'estomac ne sert à rien, elle a dû avaler les médicaments hier soir. Mais il est possible qu'elle puisse nous entendre. Il ne reste qu'à attendre et espérer. »


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Richard est sonné. Il regarde le corps de Gladys, relié par des tuyaux et des fils à des machines qui émettent des bips incessants.

« Dans le coma, entendre la voix de nos proches peut aider. De nombreux témoignages le confirment, avance Murat.

— Ses proches ? questionne Richard.

— La voix de ceux que l'on aime et qui vous aiment. Quelqu'un à qui on est très attaché.

— Je n'ai entendu parler que d'un jumeau...

— Sortons », le coupe le psy.


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Il l'emmène avec lui jusqu'à un bureau et l'invite à s'asseoir.

« Gladys n'a jamais eu de jumeau, commence-t-il.

— Mes filles disent qu'il s'appelle Sébastien », insiste Richard.

Murat lui explique alors l'histoire de Gladys.

Il se sent trahi et sali. La haine et le dégoût pour cet être qu'il a aimé monte en lui. Il se lève d'un bond. Cette fois-ci, c'est plus qu'une nausée. Il sort précipitamment et disparaît.


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Le Docteur Murat est triste. Ce n'était pas à lui de parler à Richard. Si elle avait suivi ses conseils, ils n'en seraient pas là, ni elle, ni eux. Assis à ses côtés, il lui parle :

« Tu dois comprendre cet homme. S'il t'aime autant que tu le pensais, alors il reviendra. Et toi Gladys ? Vas-tu décider de revenir ? Tu es si près du but ! Tu ne vas pas laisser tomber maintenant ! Accroche-toi s'il te plaît ! Pourquoi ne m'as-tu pas appelé ? »


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Il ne s'était pas rendu compte à quel point il s'était attaché à elle après toutes ces années de lutte. Il la revoyait jeune homme, venir en consultation après une première tentative de suicide. Il l'avait assisté à sa transformation physique au fil du temps, mais c'était toujours la même personne en grande souffrance avec qui il parlait. Gladys avait toujours été là. Sébastien, lui, s'était peu à peu effacé, jusqu'à disparaître.

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Richard roulait sans savoir où il allait. Il essuyait ses yeux mouillés et son nez obstrué de morve, du revers de sa manche sans se préoccuper des traînées gluantes qui tachaient sa veste. Son esprit semblait en panne. Aucune pensée n'arrivait à se frayer un chemin. Comme une machine, sans le vouloir, sans l'avoir prémédité, il se retrouva devant le cimetière, tituba jusqu'au caveau de sa femme et s'écroula de chagrin.


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Les souvenirs défilaient dans sa tête. Le corps de la défunte, celui de Gladys. Leurs douceurs, leurs rires, leurs regards, tout s'emmêlait, se chevauchait, se répondait. À la tombée de la nuit, il se releva. Il avait froid, il tremblait. Il se dirigea d'un pas lourd jusqu'à sa voiture et rentra chez lui. Il appela Mado et Jean pour leur demander de garder les filles quelques jours en prétextant un déplacement de travail.


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Il prit une douche bouillante, dégagea de sa main la buée sur le miroir et se fixa longuement. Il ne savait plus quoi penser. Mais se regardait droit dans les yeux, ça, il voulait continuer d'en être capable. En entrant dans sa chambre il croisa à nouveau son image dans les glaces de la penderie. Nu, il se contempla. Il n'était pas parfait, mais s'était son corps : le sien et il lui convenait. Il s'habilla pour retourner à l'hôpital.


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Il s'installa dans le fauteuil, prit la main de Gladys et lui parla tendrement :

« Je peux comprendre que tu ne m'aies rien dit, même si je suis incapable d'imaginer ce que tu as vécu. Tout cela me dépasse ! Je ne peux pas te dire si je t'aime encore, je n'en sais rien. Ni si je pourrais t'aimer à nouveau, en tout cas de la manière dont je t'ai aimé jusque-là. Mais tu es une belle personne. Je suis là... je t'attends ! »

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