Raven

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 Raven flottait toujours, non dans l'océan mais dans un abîme de douleur diffuse où la noirceur régnait. Entre deux trous noirs, il lui arrivait parfois de sentir ses membres à vif. Peut-être qu'Aaliz l'avait capturé à nouveau. Combien de personnes avait-elle put sacrifier depuis sa chute ? Combien de temps s'était-il écoulé ?

 Il se réveilla une première fois, l'esprit brumeux. Quelqu'un ruminait en touchant sa jambe droite. Il voulu protester mais ne parvint pas à bouger, ni à émettre le moindre son. Sa jambe s'embrasa, provoquant un hurlement de douleur qui ne franchis pas ses lèvres. La voix râlait toujours, elle était grave et devait appartenir à un homme. Sa jambe fut serrée et l'homme le souleva. Raven se tenait appuyé contre ce qui devait être la poitrine de son geôlier. Celui-ci lui ouvrit la bouche et y versa un liquide tiède, une petite gorgée à la fois. Raven se découvrit une grande soif qui le fit avaler sans se poser de question. La boisson était bonne. L'homme s'arrêta de l'alimenter et il protesta, sans que cela ne sorte de ses lèvres. C'est du moins ce qu'il pensa, jusqu'à ce qu'une oreille se penche sur lui.

 — Vous m'entendez ? Essayez de bouger ou de dire quelque chose, si c'est le cas !

 La langue était étrange, compréhensible mais distante ; peut-être était-ce de l'argot. La voix était doucereuse.

 — Vous êtes en bonne voie de guérison ! Ce n'est pas grave si vous ne pouvez pas communiquer pour l'instant, ça viendra !

 L'homme était bien trop enjoué. Il lui prit la main droite et poursuivit :

 — Si vous m'entendez, essayez de bouger votre main.

 Raven ne bougea pas.

 — Ce n'est pas grave, reprit l'homme après une dizaine de seconde. On essaye avec l'autre, d'accord ?

 Et il lui prit l'autre main, sans plus de résultat.

 — On va faire un dernier essai, d'accord ? Je vais poser ma main sur vos lèvres, essayez de les bouger.

 Raven resta immobile.

 — Ce n'est pas grave, cela va...

 Raven n'entendit pas la fin, il sombra à nouveau.


 Des éclats de voix le tirèrent de son coma.

 — Je te dis qu'il s'est réveillé ! dit l’homme de la première fois.

 — Alors pourquoi est-il aussi immobile que d'habitude ? s’énervait un autre.

 Ils avaient les mêmes intonations mielleuses.

 — Il ne va pas être en état de bouger tout de suite, mais reconnais tout de même que c'est encourageant !

 — Si tu le dis, c'est toi le toubib.

 — Et toi le marchal...

 — Oui, alors reste dans ton rôle. Il est hors de question de dire ce qu'il est.

 — Ça se saura, tôt ou tard. Comment réagiront les Mazinnois en sachant que nous leur mentions depuis le début ?

 — Ils feront ce qu'il font d'habitude : rien.

 — Tu ne pourras pas toujours les voir t'obéir ! Ce n'est pas l'armée, ici.

 — Ne parles jamais de l'armée devant moi ! Tu n'as aucune idée de ce qu'il s'y est passé !

 — Et je n'en ai aucune envie, alors contente toi de faire ton boulot, marchal.

 — Il n'y a rien. J'ai cherché là où je pouvais...

 — Et au chef-lieu ou à la capitale, ils n'ont rien de plus ?

 — Je ne peux pas y aller et le surveiller en même temps !

 — Es-tu certain que c'est lui que tu surveilles ?

 — Qu'est-ce que tu veux dire ?

 — Il ne sera pas en état de se lever avant des semaines ; tu peux faire l'aller-retour sur quelques jours. Sauf si tu as peur que je ne parle en ton absence, ou bien que l'on force ma porte pour voir ce que je cache.

 — Tu crois vraiment que...


 Lorsque Raven revint à lui, la fois suivante, la pièce était silencieuse. Il sentait s'éclaircir le brouillard de son esprit, mais celui-ci ne s'était pas encore dissipé. Il tenta de bouger une main, puis l'autre, sans succès. Il sentait cependant qu'il était allongé sur un matelas fin, plus épais sous sa tête, que sa jambe gauche était aussi douloureuse qu'immobilisée entre deux planchettes et que rares étaient les parties de son corps qui n'étaient couvertes de bandages. Raven devinait qu'il était gravement blessé mais la douleur lui paraissait étrangement supportable. Son esprit embrumé avait au moins un aspect positif.

Des pas se firent entendre, du bois grinçait, puis il entendit parler l'homme, jovial :

 — Alors, comment ça va ?

 Il défit les bandes autour d'un bras de Raven et en mit d'autres. Le blessé le remercia intérieurement de ne pas les serrer plus que nécessaire. Il s'occupa des autres membres et finit par sa jambe gauche.

 — Je suis désolé, mais là ça risque de faire mal.

 Il défit les bandages, écarta l'attelle et fit couler un liquide sur sa peau et dans sa blessure qui l'embrasa. La douleur fut brève ; Raven sombra à nouveau.


 L'écorché émergeait de plus en plus fréquemment de son abîme. Il ne parvenait pas encore à bouger ses membres mais tendait l'oreille, à l’affût de la moindre information concernant l'endroit où il était. Il y avait trois hommes, celui qui le soignait, un autre avec qui le premier se disputait et un dernier, qui venait plus rarement. Lorsque la porte était ouverte, une clameur venait depuis l'extérieur. Cela énervait le deuxième homme, d'ailleurs. Un feu brûlait quelque part, propageant une douce chaleur dans la pièce. S'il n'avait plus l'esprit embrumé, Raven laissait tout de même retomber sa vigilance. Il avait été bien traité, quelqu'un qui lui voudrait du mal ne se donnerait pas cette peine. Cependant, il choisit de ne pas montrer qu'il était conscient, pas tout de suite, et ce même lorsqu'il parvint à ouvrir les yeux. Il vit un plafond parcouru de poutres épaisses sur lesquelles dansait l'éclat d'un feu. Il ne voyait que le haut des murs, ceux-ci étaient blancs, plus propres et solides que tout ce qu'il connaissait sur l'île de Virlun. Il en déduisit qu'il l'avait quitté, pour la première fois depuis la Grande marche. Cela faisait si longtemps...

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