Avenel

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 — Arnalt, mon sac ! Donnes-moi la bouteille d’élixir et du tissu ! Rodald, va me chercher du bois !  Tout ce qui peut servir d'attelle !

 — Pardon ? demanda le marchal.

 — Il est vivant !

 Le pêcheur se précipita sur le sac. Il en sortit une bouteille plein d'un liquide jaunâtre et une bande de textile blanc qu'il apporta au médecin. Celui-ci examinait les plaies abdominales de l'écorché. Il attrapa le tissu, l'imbiba d’élixir et le pressa contre les blessures les plus importantes.

 — Appuie dessus ! ordonna-t-il à Arnalt en lui déléguant les compresses.

 Le docteur prit ensuite les quelques morceaux de bois flotté qu'avait trouvé Rodald. Avec le tissu restant, il entreprit d'en faire des attelles pour les membres brisés.

 — Vos ceintures ! exigea-t-il en enleva la sienne.

 — C'est hors de question ! protesta Rodald tandis qu'Arnalt obéissait.

 Le docteur utilisait déjà la sienne pour remettre en place un tibia déchiqueté. Il utilisa une nouvelle attelle de fortune pour le maintenir et serra avec sa ceinture et celle du pêcheur. Il arrosa ensuite la plaie de son élixir avant de la bander.

 — Arnalt, votre barque est là ?

 — Près de la falaise.

 — Approchez là ! Rodald, prenez sa place et maintenez les compresses !

 Le pêcheur courut vers l'embarcation et la ramena. Il n'y avait pas de place pour eux quatre.

 — Marchal, courrez au port et demandez une charrette ! Il va falloir l'emmener chez moi ! Arnalt, aidez-moi à le soulever !

 Ils prirent le corps et le portèrent dans la barque, au rythme des « attention ! » du médecin. Arnalt navigua tandis qu'Avenel s'occupait de maintenir les compresses et de surveiller les attelles. Ils contournèrent la falaise, au grès des remous qui arrachaient autant de grimace au médecin. Ils arrivèrent enfin devant les embarcadères de bois où une foule attendait. Les cris du marchal perçaient la clameur et ordonnaient en vain qu'elle se disperse.

 — Ils vont savoir que c'est un écorché, docteur ; ils vont pas être contents.

 — On n'a pas le choix, il n'y a pas de temps à perdre.

 Un coup de feu fit taire la foule qui partit en courant, dévoilant le marchal, pistolet pointé vers le ciel. Il pesta en rengainant son arme et désigna une charrette en bout de quai. La barque accosta, le corps fut recouvert d'un drap et acheminé jusqu'à la demeure du médecin.

 Ils y placèrent l'écorché sur la table de consultation.

 — Arnalt, fit Avenel, je crains d'avoir laissé mon sac dans l'arène. Pourriez-vous aller le chercher, je vous prie ?

 — Comme vous voudrez, docteur. Je vais ramener ma barque là-bas, je reviendrais ensuite.

 — Merci, je vous récompenserais comme il se doit !

 Le pêcheur partit, après quoi Avenel se tourna vers le marchal :

 — S'il n'y avait ce blessé entre nous, je vous ferait avaler vos armes. Est-ce que vous vous rendez compte que vous leur attachez plus d'importance qu'à une vie humaine ? Bon sang ! Qu'aviez-vous dans le crâne ?

 — Faîtes un rapport à mes supérieurs si vous le souhaitez...

 — Cela serait classé sans suite. Sortez de chez moi.

 — Je dois savoir ce qu'il faisait sur cette plage !

 — Vous le croyez en état de vous dire quoi que ce soit ?

 — Pas lui, vous. D'où viennent ces blessures ?

 — Je vous ferait un compte-rendu.

 Ils se fusillèrent du regard pendant de longues secondes, jusqu'à ce que le marchal abdique ; il claqua la porte. Avenel souffla pour se calmer. Ses mains tremblaient, il ne pouvait se permettre d'opérer dans ces conditions. Son regard se fixa sur la planche gravée, au dessus de sa porte. Il lut à voix haute et le son de sa voix le calma.

 — Saint Père, permet moi d'aider ton enfant pour qu'il ne souffre plus. Je resterai dévoué à cette tâche jusqu'à ce que tu me reprenne et, si tu le veux, ne m'offre aucun repos tant qu'il restera quelqu'un qui ait besoin de moi.

 Avenel répéta son mantra à voix basse. Il avait honte de s'être énervé. Ses compétences resteraient diminuées jusqu'à ce qu'il se calme totalement. De plus, il pouvait se faire les mêmes reproches qu'au marchal : il avait choisit de provoquer une dispute plutôt que de commencer à opérer. Le docteur ouvrit la fenêtre et profita du courant d'air, puis il décida d'attendre le retour d'Arnalt. Il pourrait avoir besoin d'un assistant et de toute façon, il ne voulait prendre le risque d'être surpris par son arrivée au cours d'une manipulation dangereuse. En l'attendant, il prépara son matériel et entreprit de déshabiller l'écorché. Ses vêtements étaient déjà largement déchirés, il n'eut que quelques endroits à couper pour les retirer complètement. Un détail attira son attention. La plupart des portions de peau intactes n'étaient pas seulement craquelées, mais aussi entaillées. Il crut d'abord que c'était l'œuvre de petits rochers, mais à vrai dire cela lui évoquait plutôt des petites coupures de scalpel. À d'autres endroits, les scarifications étaient plus profondes et moins droites.

 Il avait été torturé. Si cet homme avait finit dans l'océan, ce n'était pas par hasard. Il y avait probablement été jeté, peut-être comme punition ? Mais dans ce cas, pourquoi n'étaient-ils pas plus nombreux à échouer ?

 La porte s'ouvrit, coupant court aux réflexions d'Avenel.

 — Voici votre sac, docteur.

 — Merci mille fois, Arnalt ! Je sais que tu en as déjà fait beaucoup, mais peux-tu m'aider à opérer ?

 — C'est que je n'ai pas de compétences...

 — Il s'agit simplement de me donner les outils que je te demanderais, rien de plus.

 — Si vous en êtes sûr...

 Avenel défit les bandages et nettoya correctement les blessures, en particuliers celles sablonneuses de son dos. Il baigna d'alcool puis recousît les larges plaies. Pendant ce temps, Arnalt l'approvisionnait en bandages et s'assurait régulièrement que leur patient respirait toujours. Ils placèrent des attelles de meilleures qualité et finirent par ne plus rien avoir à faire qu'attendre.

 Ils s'installèrent à une petite table avec deux verres et le reste de gnôle. Le médecin servit le pêcheur et bu une grande gorgée.

 — Arnalt, si cet homme survit, ce sera en grande partie grâce à toi.

 — Je n'ai rien fait d'autre que le trouver. C'est vous qui l'avez recousu.

 — Ne sois pas si modeste, combien auraient caché le fait que ce soit un écorché ? Combien auraient prévenu le marchal et uniquement lui ? Heureusement que c'est toi qui l'a découvert.

 — Bah, je suis le seul à avoir ma barque dans l'arène alors...

 — Alors ce bougre a eut de la chance d'y échouer.

 Avenel se leva, s'étira, puis se dirigea vers son bureau. Il ouvrit un tiroir et en sortit quelques pièces qu'il offrit au pêcheur.

 — J'espère que ça compensera ta journée de pèche perdue.

 — Oh, ça compense pour plusieurs jours !

 — Alors ça compensera aussi pour le nettoyage de ta barque et un jour de repos bien mérité.

 — Non, je ne peux pas accepter.

 — Mais si. Et d'ailleurs, je suis désolé de te congédier mais la nuit est déjà tombée, tu devrais y aller.

 — Vous avez raison, mais c'est trop, je...

 — Bonne nuit, Arnalt. Et merci pour tout !

 Avenel referma la porte et son sourire s'évanouit. Il inspecta les bandages une dernière fois avant de monter se coucher.

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