Chapitre 15 : seule face aux feythas

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Saalyn sursauta. Le rideau qui fermait la porte de la cellule venait de s’ouvrir laissant le passage à deux personnes. Dans la seconde, elle reconnut 517. La première avec le visage caché par une capuche ne pouvait être que le feytha. Effectivement, il se dévoila.

— Cette nuit, vous avez essayé de découvrir nos secrets, l’accusa-t-il, ce n’est pas le comportement d’un ami.

— Vous vous êtes installé sur nos terres et avez déstabilisé le pays, répliqua Saalyn. Les habitants du nord vont bientôt mourir de faim. Ce n’est pas le comportement d’un ami.

— Ça suffit !

Saalyn obéit. Elle ne savait pas quel risque elle courait à mettre en colère un tel être. Mais il pouvait voler dans le ciel, il pouvait aussi probablement lui faire beaucoup de mal.

— Pourquoi le nord mourrait-il de faim ?

— Vous avez coupé la seule route praticable entre les cités du nord et les domaines agricoles du sud.

— Je l’ignorais.

— Vous allez autoriser le passage ?

— Nous avons construit notre base sur une portion de route. C’est celle-là ?

— Oui.

— Il n’en est pas question. Nous en avons trop besoin. Nous vous aiderons à en tracer une autre plus à l’ouest.

— Mais quand ? Cela fait plusieurs douzains que le nord vit sur ses réserves.

— Quand je l’aurai décidé.

Il tourna autour du lit pour se placer au niveau de la tête de Saalyn.

— Quant à vous, vous partirez dès que vous serez en état de voyager. Et si un jour vous revenez, comportez-vous honnêtement avec moi. D’ici là, vous ne quitterez pas cette chambre. Je ne veux pas vous voir circuler dans Sernos.

Le feytha replaça sa capuche avant de sortir. Il la chassait. Mais Saalyn constata quand même qu’il ne leur interdisait pas de revenir.

517 était resté. Il mit un moment à réagir.

— Je vais essayer de le faire changer d’avis, proposa-t-il finalement. Je voudrais vous montrer ce que nous pouvons vous offrir avant que vous partiez. Nous ne sommes pas venus pour vous porter préjudice et vous aurez besoin de vous laver. Cette chambre d’hôpital manque un peu de confort.

Elle hocha la tête. Il avait raison.

— Dans l’immédiat, je vais demander à 868 de repasser. Je voudrais que vous fassiez plus ample connaissance avec elle.

— 868, c’est votre femme ?

— Nous vivons ensemble. Et elle porte mon enfant.

Ces dernières paroles étaient incompréhensibles pour Saalyn.

— Votre enfant ?

— Je vais bientôt être père.

C’était plus clair. La formulation semblait étrange, mais après tout, il avait appris la langue de l’Ocarian sur le tard. Il avait des œufs dans le couvain.

Il quitta la pièce à son tour.

La plaidoirie de 517 ne dut pas avoir d’effet puisqu’au lever du soleil, 868 vint apporter à manger à la guerrière libre. Une fois de plus, ce ventre énorme attira son regard. Saalyn ignorait si c’était le résultat d’une malformation ou si c’était normal chez ce peuple. Après tout, malgré sa ressemblance avec les stoltzt, ils n’en étaient pas. Il suffisait de s’approcher pour s’en rendre compte. Son corps dégageait une chaleur qui n’était pas désagréable. Après avoir posé un bol fermé d’un tissu sur la table de service, elle se plaça face à Saalyn.

— Vous manque-t-il quelque chose ?

— Si je dois rester plusieurs jours ici, je ne serai pas contre un usfilevi.

— Excusez-moi, je ne connais pas ce mot.

— C’est un instrument de musique. À corde.

— Je ne comprends pas.

Évidemment. Ils ne devaient pas jouer de la musique. Ou alors, ils utilisaient autre chose qu’un usfilevi. Avec une telle technologie, ils devaient posséder des instruments extraordinaires. Dès qu’elle en aurait l’occasion, elle s’y intéresserait. Mais pour le moment, elle allait se contenter de ce qu’elle connaissait.

— Vous jouez de la musique ?

— Je ne comprends pas.

Saalyn renonça.

— Vous n’avez besoin de rien ?

— Non merci.

868 quitta la chambre.

La journée était bien avancée quand 517 entra. Il poussait devant lui un fauteuil équipé de roulettes.

— Vous allez venir avec moi, proposa-t-il.

Il accompagna son invite d’un geste de la main. Saalyn jeta un coup d’œil sur l’étrange siège qu’il apportait. Elle se rendait compte de tout le génie de la chose, malgré sa simplicité. Avec ça, il pourrait l’emmener partout avec lui. Et la grande taille des roues faciliterait le passage des plus petits obstacles. Avec son aide, il s’installa dedans.

Ils n’allèrent pas loin. De l’autre côté de la rue se dressait une tente inoccupée. L’intérieur était rempli d’un assemblage hétéroclite d’objets.

— Nous avons visité les villages abandonnés aux alentours et nous avons glané tout cela. Voyez-vous quelque chose qui vous intéresse ?

— Ils sont abandonnés parce que les villageois ont peur de vous.

— Je peux facilement le comprendre.

517 poussa Saalyn tout autour de la tente. Elle examinait les objets un par un. Elle découvrit des tasses, des bols, des livres qu’elle glissa dans sa poche, des vêtements, du nécessaire de toilette, mais également des instruments de musique à vent, à corde et à percussion. Elle tira de la pile un magnifique usfilevi en bois vernis de la couleur du miel. Son luthier avait incrusté le tour de l’ouverture d’essences plus sombres, afin de former une rosace ; sur le manche presque noir, les touches avaient été taillées dans une pierre blanche. Il était même équipé d’une sangle qui permettait de s’en servir en restant debout. La guerrière l’admira un long moment.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda 517.

— Un usfilevi, répondit-elle. C’est un instrument de musique. Vous savez jouer de la musique.

— Non. Les feythas nous ont donné de nombreux talents. Mais pas celui de la musique. Nous devons apprendre nous-même en l’absence de professeur.

— Il y a d’autres instruments ici. Si vous voulez, je pourrais vous enseigner.

— Vous êtes aussi musicienne ?

Elle lui renvoya un sourire en guise de réponse. Puis elle gratta quelques notes. Comme elle s’y attendait, l’instrument était désaccordé, mais il avait un son exceptionnel.

— Choisissez-vous quelque chose et je vous montrerai plus tard.

L’homme tira de la pile un petit tambour que sa forme permettait de caler entre les cuisses ainsi qu’une flûte droite.

— Pour 868, expliqua-t-il.

Ils quittèrent la tente pour retourner à l’hôpital. Saalyn posa délicatement sa trouvaille contre le pied de son lit, sortit également les livres de ses poches. Puis elle reprit son instrument de musique pour l’examiner en détail. Quand elle recommença à s’intéresser à ce qui l’entourait, ce fut pour constater que 517 était parti. Il avait laissé ses trésors sur la table, à côté des rouleaux de livres. Cela semblait indiquer qu’il reviendrait. Elle déplaça sa chaise près du lit et entreprit d’accorder son usfilevi.

Une bonne partie de la matinée, elle interpréta divers morceaux de son répertoire. Elle mit longtemps à remarquer que quelqu’un l’écoutait. Il se tenait dans l’ombre, juste à l’extérieur de la chambre. Se sachant découvert, il entra. C’était un feytha, mais pas celui qu’elle avait vu jusqu’à présent. Il était plus petit, plus frêle. Et sa houppelande laissait deviner une poitrine et des hanches féminines. Ils étaient donc des deux sexes. Elle baissa sa capuche révélant un visage magnifique aux traits sculpturaux que seuls ses yeux liquides, comme remplis d’eau permettaient de distinguer de celui des autres habitants de Sernos.

— C’est beau ce que vous faites, dit-elle d’une voix plus claire que celle de son compatriote.

— Merci. Installez-vous, j’ai l’habitude de me montrer en spectacle et j’aime avoir du public.

— Vous risquez de m’avoir longtemps sur le dos dans ce cas. J’adore l’art sous toutes ses formes.

Elle ôta son manteau, dévoilant une robe blanche qui mettait en valeur une silhouette aussi parfaite que le visage. Si elle s’était présentée comme cela aux villageois de l’Ocarian, jamais ils n’auraient fui. Puis elle s’assit sur la seconde chaise et s’installa.

Saalyn reprit son concert. Une prestation privée pour un seigneur d’un peuple encore inconnu, elle était bien montée en grade.

Au bout de presque un monsihon, elle se releva. Elle remit son manteau.

— Je pense que je pourrais vous trouver une occupation. Vous en avez encore pour quelques jours avant de pouvoir partir de cet hôpital et le double au moins pour le faire sur ses deux jambes.

— On m’a dit que je n’aurais pas le droit de quitter cette chambre.

— Gavold ne commande pas ici. Encore moins dans mon hôpital. Nous autres feythas sommes tous égaux.

Elle allait quitter la chambre quand Saalyn l’interpella.

— Attendez ! Vous ne m’avez pas donné votre nom ?

— Nertali, répondit-elle avant de sortir.

Saalyn regarda le rideau retomber. Elle médita un instant sur cette rencontre. Les feythas semblaient honnêtes et sympathiques. Pourtant leurs moyens de protections étaient violents. Elle ne pouvait cependant pas leur en vouloir. Chez elle aussi si un espion entrerait dans les endroits les plus secrets de la Résidence, il serait capturé et peut-être tué, alors que l’Helaria n’était pas agressive.

En tout cas, cette visite de Nertali l’avait revigorée. Elle reprit sa musique avec plus d’entrain. Au cours de la journée qui suivit, plusieurs personnes qui travaillaient dans l’hôpital passèrent la voir. Quelques-unes lui offrirent même des friandises ou de quoi boire. Si son séjour se prolongeait, elle ne manquerait pas de nourriture.

D’ailleurs, le soir, on lui apporta une assiette à l’odeur prometteuse. Avec prudence, elle goûta, mais la viande très blanche était délicieuse, quoiqu’un peu sèche, les légumes fondants et les féculents abondants. Elle mangeait tranquillement cette portion qui s’avérait bien trop grosse pour elle quand une agitation se répandit dans l’hôpital. Elle allait partir aux nouvelles quand 868 entra brutalement dans la chambre. Elle semblait nerveuse. Elle s’installa contre le mur de toile, le plus loin possible de Saalyn, en proie à une violente émotion.

— Que se passe-t-il ? demanda Saalyn.

— 863 est gravement blessé, expliqua-t-elle.

— Que s’est-il passé ?

Devant l’absence de réponse, Saalyn quitta la table, de toute façon elle avait fini, l’assiette était trop pleine, et rejoignit la jeune femme. Quand Saalyn la prit par les épaules, elle se laissa faire. Elle avait le regard qui fuyait.

— 863 est indiscipliné, il a toujours contesté ordres feythas.

— Tu veux dire que ce sont les feythas qui l’ont blessé ?

— Nous n’en savons rien, la contredit une voix derrière elle. Il s’opposait fréquemment aux feythas et aujourd’hui il va peut-être mourir.

517 venait d’entrer.

— Mais les feythas n’y sont pour rien, ce n’est qu’un simple accident. Les outils qu’ils nous donnent peuvent s’avérer dangereux si on s’en sert mal. Et 863 n’en a toujours fait qu’à sa tête. Cela devait bien lui arriver un jour.

Pour avoir une meilleure idée de la situation, Saalyn confia 868 à son compagnon avant de faire rouler sa chaise hors de la chambre. Elle se guida au bruit. La salle d’opération ne se trouvait pas loin. Elle resta sur le seuil pour ne pas déranger les soignants qui s’occupaient de l’homme blessé. Ce dernier n’était pas beau à voir. Il avait tout le corps brûlé comme si on l’avait plongé dans un bain d’acide. Sa main droite avait disparu, ainsi que ses lèvres et ses yeux. Et sa jambe était brisée en de multiples endroits. Elle en avait assez vu. Elle rejoignit 868.

— 863 est né le même jour que 868, expliqua 517. Ils étaient restés très proches, c’est pour cela qu’elle est aussi perturbée.

— Des jumeaux ?

— Qu’est-ce que c’est ?

— Deux personnes issues du même œuf.

— Des œufs ?

517 était réellement surpris. Il détailla Saalyn de la tête au pied, s’attardant sur son ventre, mais d’une façon qui n’évoquait rien de concupiscent. Toutefois, il ne prononça aucune parole.

— Nous avons du travail, dit-il, il faut que nous vous quittions.

— Tu as raison, s’écria 868.

Elle fit une petite courbette et s’éclipsa. Malgré sa silhouette qui semblait lourde en comparaison de son compagnon, elle était pleine de vivacité.

Il emboîta le pas à 868, laissant Saalyn seule avec ses interrogations.

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