Chapitre 2 : le feu du ciel

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Le grondement faisait trémuler l’ensemble du navire. Il rappelait un incendie gigantesque dont tout le son aurait été concentré en un petit espace. Il était assourdissant. Saalyn se boucha les oreilles. Mais les vibrations traversaient son crâne et se transmettaient par son squelette. Le bruit devenait de plus en plus fort au point de rendre malades les trois stoltzt. Les vitres de la fenêtre explosèrent soudain, répandant des éclats de verre un peu partout dans la cabine. Et avec lui, une vague de chaleur, élevée, mais supportable. L’empereur du Cairn se cacha derrière son fauteuil. Saalyn l’imita. Elle vérifia que son apprenti faisait de même.

La vibration s’atténuait, ce qui la produisait semblait s’éloigner. Saalyn se précipita vers le pont, suivie par ses deux compagnons et par une bonne partie de l’équipage. Le ciel était barré d’est en ouest par une immense traînée fuligineuse, apparente malgré la noirceur de la nuit. L’objet qui la générait se trouvait loin à l’est. Il semblait petit, il n’aurait jamais été visible s’il n’avait pas émis une lumière éclatante. Enfin, il disparut au-delà de l’horizon et le silence revint.

Après un tel vacarme, le retour du silence donna à Saalyn l’impression d’être devenue sourde. Personne ne bronchait, encore sous le choc de ce qui venait de se passer. Des cris dans la ville lui apprirent qu’elle entendait toujours. Même les citadins ne disaient pas le moindre mot. Les quais du port, endroit généralement animé et bruyant, même aussi tard, étaient soudain silencieux. Les seuls sons étaient les appels au secours. Certaines personnes avaient dû être blessées par des chutes d’objets.

Saalyn jeta un regard circulaire autour d’elle. Hormis les vitres brisées, le navire semblait n’avoir pas souffert de cet étrange phénomène. Elle trouva le capitaine. Il était accoudé au plat-bord, en compagnie de ses hommes, occupé à observer ce nuage de fumée qui peinait à se disperser.

— Qu’est-ce que c’était ? lui demanda-t-elle.

Elle dut répéter la question pour qu’il réagît. Il tourna la tête vers elle, il avait l’air hagard.

— Je l’ignore, répondit-il enfin.

— Ne devriez-vous pas tout remettre en ordre ?

— Bien sûr. Et m’éloigner du quai au cas où des gens voudraient se réfugier à bord, mais des membres d’équipage sont descendus à terre.

Il semblait s’être repris.

— Nous commencerons les réparations demain, dit-il. Je ne peux pas demander à mes hommes de travailler après ça.

Saalyn ne répondit pas. Le capitaine connaissait son métier. Elle rejoignit son invité et son apprenti.

— Suivez-moi, ordonna-t-elle.

L’empereur, malgré son rang, obéit sans discussion. Il emboîta le pas aux deux guerriers libres qui réintégraient leurs quartiers. La stoltzin se tenait sur le seuil, observant le désastre. Le salon, si beau un instant plus tôt, était ravagé. Tous les objets en verre étaient brisés. Seules avaient résisté les épaisses bouteilles d’alcool. Mais il n’y avait plus de coupes pour consommer les breuvages qu’elles contenaient.

— Previs, peux-tu aller nous chercher trois timbales à l’office ainsi qu’un balai ?

— J’y vais.

Obéissant aux ordres de sa maîtresse, l’apprenti sortit de la pièce.

— Votre majesté, il serait préférable que vous passiez la nuit ici.

— Je crois que c’est une bonne idée aussi. Mais disposez-vous des domestiques nécessaires à mon train de vie ?

— Je ne pense pas. Vous devrez vous débrouiller seul, j’en ai peur.

— Vous pourrez au moins me fournir deux femmes pour chauffer ma couche ?

La surprise d’une telle question laissa Saalyn sans voix.

— Je ne pense pas, répéta-t-elle. Si vous voulez une compagne, vous devrez la trouver vous même aussi. Cet équipage en compte beaucoup dans cet équipage, mais les séduire n’est pas si simple.

— Ne pouvez-vous pas leur ordonner de…

— Non. Nous ne donnerons jamais un tel ordre à quiconque.

L’empereur manifestait maintenant le même étonnement que Saalyn un instant plus tôt.

Le retour de Previs avec les objets demandés détendit l’atmosphère. Saalyn remplit les trois verres pendant que l’apprenti nettoyait le sol pour écarter les débris coupants étalés un peu partout. La guerrière libre donna le sien à l’empereur qui le prit tout en s’installant dans son fauteuil.

— Savez-vous ce que c’était que ce phénomène ? demanda-t-il.

— Une météorite certainement, répondit Saalyn, ce n’est qu’un caillou qui tombe du ciel.

— Mais d’où est-il venu ?

Saalyn haussa les épaules d’ignorance.

— Cela n’a pas l’air de vous inquiéter ? remarqua-t-il.

— Ce n’est pas quelque chose de fréquent, mais on connait des précédents. Le lac dont je porte le nom, Saal en Ocarian, a été creusé par un tel phénomène. À l’époque, les seuls témoins ont été les bawcks et peut-être des gems. Mais il n’y avait encore aucun stoltzt dans la région. Je doute que nous ayons à nous inquiéter de ces cailloux.

L’apprenti avait réussi à donner une allure présentable à la pièce. Il posa son outil dans un coin et vint s’asseoir sur un fauteuil libre déguster le verre que lui avait préparé sa maîtresse d’arme.

— Je pense que nous ne sommes pas en mesure de continuer notre discussion ce soir. Je propose que nous allions dormir et que nous reprenions nos affaires demain.

— Vous acceptez donc de m’aider ?

— Pas exactement. Nous acceptons de secourir les cinquante esclaves helarieal que les rebelles détiennent dans cette forteresse. Si au passage nous vous rendons service, tant mieux. Mais ce n’est pas notre objectif premier.

— Vous avez raison, dit-il, il va me falloir du temps pour intégrer tout cela. Je ferais mieux d’aller dormir. Pourriez-vous me montrer ma chambre ?

— Bien sûr. Previs !

— Je m’en occupe.

L’apprenti entraîna l’invité hors du salon en direction d’une cabine que les marins avaient certainement nettoyée, à défaut de lui avoir remis une fenêtre. Saalyn, seule, regarda la pièce autour d’elle. Previs avait réalisé du bon travail, mais il n’avait pas pu remplacer les verres ni les vitres. Heureusement que la saison était chaude.

Elle passa dans sa propre chambre. Le désastre était complet. Le lit étant poussé contre la paroi du navire, il était recouvert de débris. Ce n’était pas un simple coup de balai qui allait arranger les choses. Elle allait devoir secouer les draps et vérifier qu’il n’y restât plus le moindre morceau. En plus, l’humidité de la nuit allait détremper le tissu.

Elle se demanda comment le capitaine allait procéder aux réparations. Certainement pas en se procurant de nouvelles vitres en ville. Il n’y avait pas de raison que le phénomène ait épargné le stock de remplacement. Et s’il en restait, l’artisan allait donner la priorité aux locaux plutôt qu’à un visiteur en provenance d’un obscur royaume.

Au fond de son crâne, elle sentit Wotan qui s’agitait. Il était amusé.

— Que t’arrive-t-il ? lui demanda-t-elle.

— Tu cherches un prétexte pour ne pas dormir dans ta chambre ce soir.

— Elle est inutilisable. Regarde là.

— C’est vrai qu’une personne pour chauffer ton lit pourrait compenser l’absence de fenêtre. Mais ça ne te ressemble pas de tergiverser comme cela. Qu’est-ce que tu attends ?

— C’est un empereur quand même.

— Il est beau, il est seul et il a réclamé une partenaire pour le distraire cette nuit. Tu ne peux pas ordonner à une femme d’équipage de le rejoindre. Pour le satisfaire, je ne vois qu’une solution. Je te conseille de te dépêcher, une matelote pourrait bien te souffler la place. Il y en a bien une dans cet équipage qui cédera devant son sourire charmeur.

— Mais qu’est-ce que tu attends ? intervint Peffen dans sa tête. Tu as vu son corps musclé. Il doit bien faire une perche et huit paumes¹. Et ce n’est pas un scribe lui, il a l’habitude de l’exercice. Et ce petit cul bien ferme ! J’ai déjà vu des athlètes moins bien découplés. À ta place, je n’aurais même pas à réfléchir.

Saalyn retint les pensées acerbes qu’elle allait retourner à son pentarque.

— Et pourquoi pas, lui renvoya-t-elle.

Elle fouilla dans son placard pour en sortir une robe apte à faire perdre ses moyens à tout homme normal. Quand elle s’admira dans la glace, elle apprécia la silhouette mince et légèrement musclée que le reflet lui renvoyait, ses cheveux blonds qui tombaient en cascade sur ses épaules, son visage un peu carré, mais qui lui donnait une attitude volontaire. Puis elle coupa la communication avec Wotan et Peffen avant rejoindre la cabine attribuée à l’empereur.

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1 - Environ 1m85.

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