Chapitre 30 : Exodia

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 Exodia était une ville stupéfiante. Tandis qu’Olma s’étalait langoureusement au bord de l’océan pour y baigner les pieds, la capitale impériale se dressait rigide et stricte devant les flots. Du lointain, la cité était invisible, cachée derrière des murailles de plusieurs centaines de mètres de hauteur. En entrant, on constatait immédiatement que les architectes exodiens avaient rivalisé d’ingéniosité pour bâtir la ville. Celle-ci était... verticale. Les étages succédaient aux étages dans l’enchevêtrement incompréhensible du dédale de tunnels et d’escaliers que formaient les rues. Trois cents mètres séparaient l’entrée de la cité de son point culminant. Le port lui-même était inclus dans le périmètre tracé par les murs, et construit sur le même modèle stratifié. Un astucieux système d’écluses permettait aux navires de réaliser l’ascension jusqu’aux quais où ils étaient amarrés le temps de leur escale. L’aspect austère de l’extérieur était merveilleusement contrebalancé par l’intérieur. Lorsque Phan entra dans la ville, elle resta bouche bée. La cité toute entière semblait tapissée de végétation. Du lierre, du chèvrefeuille, des clématites, de la glycine couraient sur les murs, sur le sol, dans les tunnels, grimpaient les escaliers pour répandre un envoûtant mélange de parfums. De l’eau claire descendait les caniveaux des rues avec de délicats clapotis. Par endroits, on croisait des cascades comme descendues du ciel, dont l’eau était réceptionnée dans des vasques de pierre bordées de margelles sculptées avant de continuer sa course vers les niveaux inférieurs. La lumière du soleil réfractée en arcs-en-ciel par les rideaux aquatiques donnait aux rues des allures féeriques, tandis que la pénombre des tunnels et des escaliers permettait d’apprécier un peu de fraîcheur dans cette ville si souvent soumise à la canicule. Des passerelles slalomaient entre les tours d’habitation, permettant d’observer avec un peu de hauteur l’époustouflant pandémonium. Pouvait-on parler de tours, à vrai dire ? Les bâtiments se chevauchaient les uns les autres, comme pressés d’atteindre le sommet des murailles. Des systèmes de levage hydrauliques étaient implantés un peu partout, facilitant le transport vertical des charges. Sur des cordes tendues entre les maisons séchait du linge. Le bruit des cascades, la senteur des fleurs, l’architecture entremêlée... Exodia était... harmonieuse. Elle ressemblait à cette époque qui sépare le printemps de l’été, lorsque la nature exulte et que la chaleur est encore agréable.

 Phan était entrée dans l’enceinte de la cité le matin même. Elle avait poursuivi le capitaine Rey pendant une journée, puis une nuit, jusqu’à quelques kilomètres d’Exodia, en suivant les indications précieuses de Gyrfal. Malgré l’allure soutenue imposée à sa monture, elle n’avait pas réussi à reprendre du terrain au soldat. Celui-ci était entré en ville pendant la nuit, bénéficiant de son statut de militaire. La jeune fille avait préféré attendre le lever du soleil. Après avoir libéré son cheval dans la grande plaine, elle s’était fait passer pour une orpheline en voyage vers la capitale auprès d’un groupe de marchands. Elle avait traversé les contrôles de la porte en leur compagnie, sans véritable problème. Personne ne s’attendait à trouver l’héritière du Taagan aux portes de la capitale impériale, ni ne devait avoir une idée de son apparence. Depuis le franchissement des portes, elle déambulait au hasard, de surprise en surprise, se demandant ce qui avait pu pousser Exodia à faire enlever son petit frère.

 Une voix placide interrompit ses réflexions :
 — Voyageuse Phan, je viens de la cime de cet étrange empilement de pierres que tu nommes une ville. Je ne discerne aucune agitation anormale. Le voyageur terrestre que nous chassons s’est réfugié à l’intérieur de la grande bâtisse représentant le siège de l’autorité, située là, et n’en est pas ressorti.
 Phan accusa réception du message, puis demanda :
 — Pourrais-tu me guider jusqu’en haut ? J’ai peur de me perdre.
 Elle errait dans les rues depuis deux heures, et n’avait progressé verticalement que de cinq mètres. Ses jambes déjà courbaturées par sa longue chevauchée la torturaient un peu plus à chaque pas, et elle ne comprenait rien à l’agencement des passerelles et des tunnels.
 — Je suis en mesure de t’indiquer le chemin le plus court jusqu’au sommet, voyageuse. Mais une fois là-haut, que feras-tu ?
 — Je ne sais pas, admit la jeune fille. Je pensais trouver un moyen d’entrer dans le palais, puis de m’enfuir avec mon frère.
 — Es-tu bien consciente de la situation ? Des voyageurs terrestres armés sont postés autour de la grande bâtisse pour prévenir toute pénétration interdite. Cette entreprise ne sera pas couronnée de succès, voyageuse Phan.
 Le ton définitif du faucon irrita la princesse. Voulait-il qu’elle abandonne si près du but ? Elle avait réussi l’improbable : parvenir jusqu’à la capitale impériale. Elle ne laisserait pas tomber.
 — Je n’ai pas de meilleure solution. Je ne sais même pas pourquoi je suis là ! s’insurgea-t-elle sous l’effet d’une bouffée de colère. Ils ont débarqué du jour au lendemain et ont pris ma mère et mon frère, sans aucune raison. Qu’est-ce que je suis censée faire ? Hein ?
 — Tu me comprends mal, jeune voyageuse terrestre. Je ne cherche certes point à te dissuader. Je souhaite avant tout que tu prennes conscience des conséquences potentielles de tes...
 La voix se tut. Le faucon, perché juste au-dessus de la jeune femme, tourna vivement la tête puis émit un crissement strident. Il battit vivement l’air de ses ailes blanches mouchetées de noir. Après un instant, la voix de Gyrfal reprit, sur un ton qui parut à la jeune fille moins serein que d’habitude, même si détecter les nuances d’une voix spirituelle lui semblait un exercice pour le moins hasardeux.
 — Voyageuse terrestre, jusqu’où es-tu prête à aller ?
 — Je le récupérerai, quoi qu’il arrive.
 — Es-tu consciente des dangers d’une telle initiative ?
 — Oui, affirma Phan avec aplomb.
 — Dans ce cas, je te guiderai jusqu’à l’entrée la plus accessible. Mais hâtons-nous, il ne faudrait pas que nous arrivions trop tard.
 À ces mots, Gyrfal s’envola à tire d’aile.
 — Comment ça, trop tard ? cria Phan.
 — Pressons-nous, voyageuse, cette histoire peut attendre.
 Le faucon était déjà à une cinquantaine de mètres.

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