15 avril - 14 heures

2 minutes de lecture

Le bras levé, le regard déterminé, les cheveux décoiffés, Gabrielle posait et patientait. Elle comptait mentalement des vers de haïku.

Qu'est-ce que je m'emmerde...

Non, non, cela n'allait pas ! Madame allait trouver ça trop vulgaire !

Qu'est-ce que je m'ennuie...

Mieux, mieux. Mais sentait-on la fameuse émotion ? Ce qui devait vous transporter dans l'univers du haïku, en quelques mots.

Qu'est-ce que je m'ennuie !

Me voici tel un rat mort

Attendant la fin !

Non, non, c'était idiot ! Un rat mort n'attendait pas la fin, vu qu'il était déjà mort.

Gabrielle secoua la tête et le couperet tomba aussitôt.

" On ne bouge pas ! Reprenez la pose !"

La femme se redressa et maudit le jour où elle avait rencontré Pablo Picasso. Le peintre l'aimait beaucoup, il était vrai, et la trouvait rafraîchissante. Une vraie muse !

Honnêtement, la cocotte aurait préféré que Picasso la trouve rafraîchissante avec son cul et ses seins qu'avec son bras et ses yeux déterminés.

" On avance !, s'exclama le peintre en reposant ses instruments. Vous êtes splendide !

- Merci, fit Gabrielle, touchée.

- Le grain de votre peau accroche magnifiquement bien la lumière !

- Merci, rétorqua la cocotte, ne sachant pas s'il s'agissait réellement d'un compliment.

- Et vos reflets roux resplendissent au soleil !"

Gabrielle s'étrangla de colère.

" La pose !," s'écria le peintre.

Il fallut une patience d'ange à Gabrielle pour ne pas jeter au visage du peintre l'intégralité de sa palette de couleurs.

Plusieurs heures plus tard, une Gabrielle du Plessis, fatiguée et énervée, quittait l'atelier du peintre comme une furie. Elle se cogna contre une femme vêtue en ouvrière.

Cette dernière poussa un cri d'orfraie en la reconnaissant :

" Mais c'est vous, ma muse ! Venez donc dans mon atelier !

- Madame Bernhardt !

- Je vous en prie ! Appelez-moi Sarah !

- Je n'oserai jamais.

- Si, il le faut ! Quand même !"

Une main possessive se posa sur l'épaule de Gabrielle et celle-ci pénétra dans l'atelier de la sculptrice Sarah Bernhardt. Partout régnait le désordre. Des tentures occultaient le soleil et de l'argile séchait sur les meubles. Des marbres étaient déjà travaillés. On voyait des mains, des yeux et des visages apparaître à peine.

Sarah Bernhardt s'approcha d'une jolie pierre nâcrée et la caressa du bout des doigts.

" Ici, je vous vois.

- Ici, madame ?, murmura Gabrielle, sous le charme.

- Oui. Vous êtes là et vous ne demandez qu'à naître.

- Que dois-je faire ?

- Déshabillez-vous, ma chère. J'ai besoin de vos seins et de votre bouche.

- Comment ça ?

- Faites-moi confiance !"

Gabrielle se déshabilla, elle frissonna en se retrouvant torse nu devant le monstre sacré du théâtre. Sarah Bernhardt, la "Divine", vint l'examiner et lui sourit :

" Vous serez ma nouvelle Ophélie ! Songez juste à votre amant.

- Comment ça ?

- Fermez les yeux et imaginez-vous dans ses bras."

Gabrielle obéit, ferma les yeux et imagina les bras de...

" Là ! Vous êtes parfaite ! Ophélie disparaît dans les eaux et se perd dans ses souvenirs. Et ce sont des souvenirs d'amour. Gardez la pose !"

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