17 : Instant donné

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Des cris d'enfants. Des crissement de pneus sur la chaussée encore humide de l'orage précédent. Vrombissements des moteurs des voitures collées les unes aux autres. Ainsi se dévidait le ruban ordinaire d'un quotidien peu enclin à l'épanouissement des individus.

Déposée tel un sac abandonné sur un banc, une silhouette informe demeurait immobile. Était-ce l'absence d'une quelconque activité qui intrigua le passant que je campais ? Son mutisme m'intrigua au point de me risquer à capter son regard oblique.
La femme sur son banc de jardin s'appellait Macha. Ses bras, flanqués de manches trop longues comportaient des mains. Deux, je crois. La gauche ne laissait apparaître que le bout des doigts. Ils épousaient le plat du banc que la jeune femme ne cessait de griffer. Épaules basses, elle n'avait de féminin que la finesse des traits visibles de son visage. Le maquillage n'aurait pas de prise sur elle sinon celle de souligner la délicatesse de sa peau tendue. Hormis deux pommettes saillantes et son nez légèrement recourbé vers la pointe, elle était tout en creux. Je ne parle que de la face visible, car la capuche de son sweater dissimulait la chevelure et le cou. Zone d'ombre virant au noir. Ainsi délimitée, la figure ressemblait à un masque utilisé par les comédiens pour s'exprimer sur scène. Le rôle du personnage qu'elle incarnait se limitait à jouer l'immobilisme. Tout aurait été parfait, si le pied droit placé au bout de sa jambe croisée sur l'autre n'avait pas cadencé la continuité d'un rythme linéaire, agaçant. On aurait pu croire à un réflexe conditionné pour lutter contre la fraîcheur de ce matin. Les branches d'un marronnier surplombaient notre présence, étendaient leurs ramifications jusqu'au bosquet voisin. Les bourgeons, déjà bien gonflés, laissaient présager la puissance d'une poussée de sève prête à sortir d'une léthargie hivernale.

Oui, mais comment connaître le nom de cette personne ? Tout simplement en le lui demandant. Je m'étais assis en bout de ce même banc par habitude. Laisse en main, j'attendais que mon chien veuille bien s'épuiser dans les allées du parc. Il avait la fougue des jeunes épris de liberté. Inutile de lui lancer une balle. Il trouvait un objet quelconque et le déposait entre mes pieds, le regard fixe, dans l'espoir que je le saisisse et le lui envoie le plus loin possible. Pirouette régnait en maître du jeu. Revêtu de noir et de blanc comme la plupart des Border Collie, il arborait une particularité assez singulière. Son profil gauche était noir, le droit entièrement blanc. Une curiosité qui avait orienté mon choix lorsqu'il était chiot parmi les chiots. À sa vue, les personnes croisées affichaient, à l'unanimité, quelques ris d'amusement. Cette réaction positive effaçait toute crainte, car il possédait un petit plus contenu dans ses yeux, une espèce d'animalité amicale, ou d'amicalité animale, suivant la manière dont on l'observait. Capable de ramper sur le sol devant un inconnu pour quémander une caresse, Pirouette ne craignait personne et la réciprocité se vérifiait à chaque nouveau contact. Les enfants étaient pour lui le summum. Pitre, espiègle, il jouait avec eux sans jamais se fatiguer.

La gardienne des lieux nous réprimandait en me désignant le panneau interdisant l'accès du parc aux chiens. Je lui promettais Juré ! Craché ! de quitter le jardin, dès qu'un enfant franchirait la grille. Non ! Pas question ! Elle refusait ce compromis, me menaçant de prévenir la police municipale.

Ce jour-là, Pirouette ne me porta guère d'attention. Il tentait de séduire ma voisine de banc. Ce devait être peine perdue au vu de sa non réaction. Il repositionna à maintes reprises son morceau de bois devant les pieds de la jeune fille sans obtenir une quelconque réaction. Connaissant l'animal, je savais très bien qu'il insisterait longtemps sans fléchir. Têtes penchées, ils communiquèrent tous les deux, le temps d'un regard intense. Alors Pirouette saisit son bout de bois et vint le déposer devant moi. Il avait dû ressentir l'impossibilité de jouer avec cette étrange personne.

– Jean-Pierre, bonjour ! avançai-je en me tournant face à elle.

– Macha, répondit-elle.

Elle effleura du bout de ses doigts la paume de ma main tendue. Ne désirant pas adopter le rôle du harceleur de service, je présentai mon compagnon.

– Lui, c'est Pirouette. Il est joueur, vous savez. Vous avez un chien vous aussi ?

En posant la question, je tentai d'intercepter le regard de la jeune fille, demeuré résolument fixé dans le vague.

– Pirouette ? C'est drôle...

Deux enfants franchirent le portillon avec une jeune femme encombrée d'une poussette.

– Ah ! Je crois qu'il est temps de partir pour moi, si je ne veux pas avoir d'ennui avec l'adjudante en chef.

Le chien accepta sans broncher la laisse que j'accrochai à son cou.

– Si vous avez besoin d'aide, j'habite dans le quartier. Rue de l'enfance, du côté de l'école Jean Jaurès, la seule maison aux volets bleus. Sinon, on se reverra ici, je viens tous les jours. Bonne journée.


J'avais eu l'impression de parler à un mur. Sans savoir pourquoi, je lui avais donné mon adresse. Je trouvais nécessaire de poser un jalon devant cette personne qui me semblait chercher... Quoi ? Une porte ouverte ?

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