12 : Le corps a ses raisons que la déraison honore

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Cela se déroule dans un appartement vaste. Une jeune femme est étendue à plat ventre sur son lit. Son port de tête me dit quelque chose, je la reconnais, c'est Noémie. Elle est revêtue d'une robe moulante couleur café serré sans crème. De fines bretelles découpent son dos non bronzé en portions blanches, très blanches. Le contraste du noir et du blanc rivalise de profondeur avec le reste des éléments en arrière-plan de la chambre désespérément grise. Ma vision, focalisée sur la vivante immobilité de l'être allongé, fait la netteté sur une trace rouge repérée entre l'oreille et la base du cou. Sans bruit, la tache prend la forme d'une marque ou d'une empreinte peut-être, voire d'un tatouage en relief.

J'attends son compagnon. Il se pomponne dans la salle de bain. Le voilà enfin rasé de frais. Lorsque je me tourne vers lui, il rayonne à contre-jour emplissant l'aura soumise à ses gestes. J'en reste aveuglé. Tant de lumière crue soudaine autour de sa silhouette imposante. Le temps de régler mon diaphragme interne, je constate combien cet homme m'impressionne. Dans mon dos, j'envisage un hoquet venant ternir l'image révélée du mâle en puissance. La belle étouffe un autre sanglot la tête enfouie entre ses mains. Lorsque je l'observe dans le miroir, je remarque les lanières de ses escarpins non fixées ne retenant plus ses pieds qu'elle bouge de temps à autre. Allons-y, me dit-il. Et Noémie ? Une grosse migraine l'indispose. Laissons-la tranquille.

Avec son air goujat de premier de la classe, il passe devant moi. L'occasion de jeter sur le lit un autre regard. Il glisse sur la soie de la robe, s'échoue un instant sur l'oreiller. Un parfum suave emmêle le déroulé des cheveux en bataille. Noémie paraît inerte, en attente d'inspiration. Maîtresse du cadre, elle ennuie le rôle d'observateur qu'elle m'a demandé de tenir. Repose-toi bien Noémie. Je prends de tes nouvelles tout à l'heure. La couette épouse la forme étendue sans que l'on ne puisse jamais prétendre que la vie ne se manifeste l'espace d'une seconde.

La porte se referme sur un cliché de tristesse, composé d'une actrice idéelle au sein d'un décor teinté d' indifférence.


***

La suite se déroule deux heures plus tard. Je retrouve Noémie dans la salle de bain. Elle trempe revêtue par l'eau de sa baignoire immensément ronde. Assise à l'opposé des robinets ouverts, elle est recroquevillée sur elle-même dans la forme comme dans le fond. Elle tremble. Son regard fixe est celui de la petite fille perdue si chère à mes souvenirs. L'eau est lac en son mouvement, mer en son odeur et puérile en sa demeure. Il faut que je te sorte de là.

Je me saisis de la première serviette disponible pour l'aider à sortir de sa léthargie. Les bretelles de sa robe ne remplissent plus leur fonction. Son vêtement devenu serpillière colle à sa peau avant de glisser sous le poids de l'eau. Vénus attrape la serviette, aussitôt la relâche et me jette à la figure : trouve-m'en une sèche, celle-ci est souillée. Elle sent trop fort l'odeur de ton bâtard de patron. De peur qu'elle ne s'énerve, je fouille les étagères et lui tends un drap de bain propre. Elle s'en couvre le devant se précipite contre la cloison me présente ainsi son dos nu.

Elle sanglote. Je n'ai pas les mots qu'il faut. Son corps est recouvert de frissons entre les marques terriblement cinglantes. Une chair de poule qui ne demande qu'à être réchauffée. Je m'y attelle avec un coin de serviette. Je la frictionne des pieds à la tête. Elle grelotte encore. La cloison semble de glace. Transparente, elle s'ouvre en grand, donne sur l'escalier de l'immeuble. N'importe qui peut passer ou du moins les voisins désireux de rentrer chez eux. Toujours appuyée contre la vitre Noémie tremble. Je me colle contre elle après m'être déshabillé. L'objectif est de la réchauffer. Rien d'autre. Elle se love au creux de mes bras qui l'enserrent dorénavant. L’excitation provoquée par notre proximité me gêne, pas elle. Elle tend les fesses en arrière de sorte qu'elle place mon sexe au creux de son sillon entrouvert. Je ne souhaite pas lui transmettre autre chose que ma chaleur corporelle.

À ce moment précis un groupe de personnes monte les escaliers. La première ayant vu la scène dans la salle de bain, se positionne dos à nous et entreprend de nous dissimuler tout en activant la circulation des gens. Guidés par la pudibonderie de bas étage, ils parviennent au palier supérieur, les yeux rivés au sol décrochant au passage quelques selfies croustillants. Les puritains se signent une énième fois. Ils savent mais ne diront rien. Transparence des évidences. Opacité des silences.

Noémie s'est assise sur le bord de la baignoire. Nous cachons ce qui doit l'être. Une vidéo conférence s'est organisée sur le même palier avec projection d'images soporifiques dédiées à la rééducation des fonctions masticatoires après une intervention maxillo-facial. Le public bien qu'atone reste sous l'emprise du conférencier qui ressemble trait pour trait au mari de Noémie. N'ayant pas la tenue adéquate pour soutenir le regard inquisiteur des étudiants, elle fait la moue accompagnée d'un bras d'honneur. Nous retournons dans sa chambre prenant soin de refermer la porte de la salle de bain.

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