9 : Demain, je pars !

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– J'ai faim !

Dans cette cave, murs humides sur terre battue prédisposaient à la culture des champignons. J'imaginai un rayon de soleil inonder le lieu et ce serait la catastrophe assurée. Coloration immédiate des chapeaux blancs ; évaporation instantanée de l'eau de ruissellement ; assèchement de l'humus ; arrêt de croissance. Bref, la mort des êtres vivants dont je faisais partie.

Au début de mon incarcération, je criai et pleurai, criai, criai et criai, mais jamais n'obtins de réponses. Mes plaintes s'évaporèrent aussi vite que la buée qui sortait de ma bouche.

– J'ai soif !

La faim m'avait abandonnée. Une chanson grésillait dans le jukebox de mes souvenirs.

Depuis combien de temps,

Depuis combien de jours,

Que tu es reparti....

J'en oubliai les paroles.

Il pleut...

Et si j'ai de l'eau dans les yeux

C'est qu'il me pleut sur le visage.


Avant visage... il devait y avoir une rime... heu... comme... rivage. Oui, rivage !

Il pleut sur le rivage

Et si j'ai de l'eau dans les yeux

C'est qu'il me pleut sur le visage.


Cette chanson égarée était revenue comme par enchantement. Encore un effort de mémoire et je déclamerai les poésies de mes auteurs favoris.


– J'ai mal !


Mes suppliques ne portaient pas plus loin que le mur qui me les renvoyait à moi-même. Nous étions seuls, l'écho et moi. Aucune échappatoire possible de ce trou à rats creusé dans la roche, hormis le puits de lumière. De là tombait le seul lien avec l'extérieur, un panier en osier qui butait contre une ferraille au faîte du plafond, déversait son contenu à même le sol.

J'avais pensé le saisir, l'agripper, le tirer pour entraîner vers moi le manipulateur tenant l'autre bout de la corde. Trop petite. Ce défaut physique s'amusait à confirmer mon complexe d'infériorité. Dans l'équipe de basket, mon mètre cinquante au milieu des géantes paraissait ridicule. Trop petite ! Voilà que se pointait à nouveau la sentence du coach : Trop petite pour s'offrir un panier !

– J'ai froid !


Pleurer, oui mais pour quoi faire ? Évacuer ma colère ? Non, inutile. Enragée, je devais me concentrer pour consolider ma détermination légendaire. Je comptabilisais les passages du noir à la clarté. Au rythme des journées, je gravais, avec un caillou, des traits à même le salpêtre.


Voilà combien de temps,

Voilà combien de jours,

Que tu es reparti...


Anne Vanderlove. J'étais persuadée que c'était elle, la chanteuse. Barbara, Gréco auraient pu l'interpréter tout autant. Ici, lorsqu'il pleuvait, l'eau suintait des murs, stagnait un moment sur le sol avant de s'écouler dans un regard obturé par une grille solidement scellée.


– Y a quelqu'un ?

Si j'avais du papier, je dessinerais l'endroit. Si j'avais un stylo, j'écrirais cette histoire. La mine de plomb noircirait quelques taches contre le mur. Elles illustreraient bien les cavités, petites mais solides, que je réalisai jour après jour. Le premier caillou utilisé comme outil n'était pas plus gros qu'un ongle, mais contenait toute l'énergie de mon désespoir. Jamais, je n'aurai pu imaginer avoir la patience de gratter centimètre après centimètre le joint des pierres. L'idée de m'évader germa dès la première seconde où j'ouvris les yeux.

À quatre mètres du sol, le puits de lumière perçait le plafond voûté. Cheminée. Évacuation. Liberté.


– J'ai soif !


Je devais attendre ma livraison quotidienne. Sitôt le riz dévoré, sitôt l'eau avalée, je calculais mentalement le nombre de secondes exactes pour atteindre l'ouverture. Les gestes précis cent fois répétés pour se positionner dans le puits, le pied gauche calé poussant fort contre la paroi tandis que le droit replié sous les fesses assurerait la poussée vers le haut, jusqu'à atteindre la sortie estimée à six mètres. Vu du bas, les longueurs semblaient tronquées. Mes séjours à Argentière avec mon éducateur Grangeard me permirent de connaître les rudiments de l'escalade. Guide par passion, ce berger, de profession première, m'enseigna vite et bien. Mon attitude de rebelle débrouillarde l'autorisa à me cataloguer dans la catégorie des garçons manqués. Plus tard, à tort ou à raison, je n'en manquais pas de garçons.


– J'ai soif !


L'attente me réserva une drôle de surprise, la non-action. Concentrer son énergie pour s'échapper d'une mauvaise passe. Tout contrôler, le temps, les mouvements, les gestes précis. Bien répéter dans sa tête le chemin à suivre. J'avais tout organisé dans les moindres détails, repéré les pierres saillantes jusqu'à la trouée de lumière, la progression dans cette cheminée, lente mais inébranlable. Ne jamais flancher, pour ne pas riper, déraper. Sept mouvements me seraient nécessaires : quatre prises pour le pied gauche, autant pour le droit, les mains seront mises à forte contribution lorsque je devrai m'emparer du piton scellé. Le passage dans la cheminée sera des plus délicats. Il consistera à rester suspendue avec les bras collés au corps tout en provoquant un mouvement de balancier pour me permettre de projeter les pieds contre la paroi opposée. Fixation. Rétablissement. Stabilisation. Le reste semblait un jeu d'enfant. J'avais connu épreuve autrement plus ardue dans les Grandes Jorasses avec mon référent. Nous partions du refuge de Leschaux, de bonne heure le matin, pour effectuer nos courses. Si le matériel pesait lourd dans mon sac à dos, j'appréciais sa présence pendant l'ascension. Grangeard le montagnard connaissait l'indispensable, pas le superflu. Les charges inutiles se retrouvaient bien souvent abandonnées sur le parcours par les apprentis grimpeurs. Dans cette cave, je ne disposais d'aucun matériel, ni de charge à transporter. Seuls, mes muscles seraient sollicités pour dégager ma carcasse hors de cette prison. Espoir. Demain je pars !


– J'm'en fous !

J'avais bien organisé mon évasion. Le panier déverserait ma ration quotidienne. La routine routinerait. Mais, nouveauté, l'esprit de liberté occupait à présent chacune de mes respirations. J'observais mon souffle qui prenait de la hauteur puis disparaissait comme aspiré par la cheminée. C'était donc bien là le chemin à suivre pour m'échapper. Je me gardais bien de parler fort, de peur de trahir mes intentions. Je me chuchotais les encouragements. De là où je me situais, je ne pouvais voir le sommet du conduit. Pas de porte. Pas de fenêtre. Le mur en forme de citerne était construit en pierre de taille, aussi solide que ma détermination. Je le sais, c'est bientôt demain. Demain, je pars !

– Ah ! Ah ! Ah !

Chaque panier déversait une boule de riz enveloppé dans un film transparent. Une bouteille plastique d'un demi-litre d'eau devait contenter mes besoins quotidiens. Je m'en contentais. Au début de mon incarcération, j'avais jeté les bouteilles vides, empilé, explosé. Elles se transformaient tantôt en défouloir, tantôt en objet créatif, récréatif. Depuis un certain temps, j'avais décidé d'aligner les bouchons restés à ma portée. Sagement ordonnés par paquets de sept, les 428 bouchons comptabilisaient mes journées enfermées ici. 439 est un bon chiffre. Ce sera le déclencheur de mon plan. Demain, je pars !

– Même pas peur.

Le piton scellé ne bougerait pas de place. Je me voyais prendre appui dessus pour me hisser vers la sortie. Quatre mètres de mur, six d'ascension. Facile pour une grimpeuse comme moi. 449 me plaît mieux. J'attends ça avec impatience.

– Fastoche ! Un jeu de mioche.

Fastoche et si je décroche ? Ah ! les mots terrestres avec leurs gros sabots sont bien malhabiles... Un jeu d'enfant sauf que là, le jeu virait à la partie sans fin. J'avais soif de lumière, de vent, de paroles, de bruits, de tourbillons, de toucher une peau étrangère ou familière, de goûter la fraîcheur d'un baiser, de me sentir bercée entre les bras protecteurs de mon ami, le dernier en date, celui qui m'avait redonné goût à la vie. Le fait qu'il soit riche m'avait offert la possibilité de ne manquer de rien. Riche, très riche, il était. Sa violence m'était familière. J'aurai peut-être pas dû l'humilier aussi fort qu'il me le demandait.

– ... !

Il y a une éternité, j'avais vu les champignons me pousser entre les doigts de pied, j'avais l'impression d'appartenir à la terre.


Noir.

Au jugé, minuit se pointait.

–...

Depuis combien de temps mon sang ne rougissait-il plus la rigole ? Sans lui, mes repères avaient pris le large. Dans repères, il y a père deux fois. Mon premier biologique avait cru bon de me confier à un autre homme et de se faire la malle. Mon second, adoptif, confondit les vrais câlins aux épanchements d'un vieux mâle. Mon troisième ne se racontait pas. Tant de bonheur. Mon tout ressemblait à un puzzle mal emboîté, un non-être recouvert d'une enveloppe non distribuée. L'institution tenta plusieurs placements au rythme de mes rébellions.

–...

Noir. Précisément, j'avais peur, non pas du noir mais de moi. Ma certitude peinait à garder le cap. Un doute s'installait puis disparaissait. Un autre prenait sa place. Et pourquoi pas 509 ? Il est joli celui-là. 509. 509...

–...

Noir. Je me réunirai une fois encore. Je pouvais me permettre de pisser debout. Plus rien n'était tabou, ni sale, ni vivant. Pas même moi. Si un jour, je me sens incapable de me lever, je préférerais être enterrée vivante, sous les boulettes de riz que je ne touchai plus.

Noir.

Demain, j'avais cogité ma future évasion pour la énième fois. Confusion. Je me souviens d'une chanson. Il sera question de temps, de jours... Le temps est venu m'agresser avec son sifflet... Décomptez-le !...Temps mort... Remplaçant !

Hier arrive trop tard... Chaos... Il ne m'évoquera jamais rien.

Rien ne trouble le silence qui m'enchaîne à ce mur de cave. J'ouvre la bouche. La buée en sort, monte, portée par les mots qui ne manquent pas d'air : demain, c'est aujourd'hui.

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