Fibre artistique

7 minutes de lecture

La porte menait directement à un long escalier qui tourbillonnait en montant dans les étages. Un comptoir de bois attendait au bas des marches, sur la droite. Dessus reposaient des cochons tirelires personnalisés, un capteur sur le dos pour recevoir des unités.

— Je pense qu’on peut visiter le bâtiment librement et laisser un petit quelque chose si ça nous a plu, analysa Marxia.

Poise grimaça.

— Je n’ai vraiment pas ta sensibilité en ce qui concerne l’art moderne. Pour moi, ce n’est qu’un tas de breloques.

— Il faut oublier le figuratif et le fonctionnel, entama sa binôme. Si tu regardes l’œuvre uniquement à travers le prisme de…

L’elfe noire fit la moue en levant les yeux au ciel et entreprit de gravir les marches jusqu’au premier palier.

Elle dépassa la tête d’un dragon peint, dont le corps accompagnait toute la montée. Autour batifolait des formes et des représentations en tout genre. Autant de couleurs vives mélangées auraient déclenchées une crise de spasme à n’importe quelle personne photosensible. Poise sentait poindre la migraine. Elle posa le pied sur le palier, dont le plancher grinça. Des mobiles pendaient du plafond, constitués de poissons colorés qui s’entrechoquaient en carillonnant.

— Ce que c’est joli, s’émerveilla Marxia.

Sur leur gauche, la porte ouverte dévoilait l’atelier de l’artiste.

— Excusez-moi, il y a quelqu’un ? appela la demi-elfe en évitant les matériaux suspendus un peu partout.

Un elfe se montra, s’essuyant les mains sur un chiffon couvert de peinture. D’apparence jeune, vêtu d’une salopette en jean, il regroupa ses cheveux blond en une queue de cheval basse.

— Bonjour mesdames, vous venez pour un portrait ?

— Un portrait ? répéta Poise.

L’elfe attrapa un pinceau et le rinça dans un bol rempli d’eau qui traînait là.

— Quelle taille ? Porte-clé ? Magnet pour frigo ? Marque page ? Poster ?

Il se munit d’une palette de peinture et se mit à mélanger plusieurs teintes.

— Non, pardon, il y a un malentendu, objecta Marxia. C’est Jordan Paumefort qui nous a conseillé de dormir ici.

Déçu, l’artiste posa son matériel dans un coin.

— Dans ce cas, montez au troisième, c’est les parties communes.

Elles s’excusèrent et sortirent de l’atelier. Une femme descendait les marches, chargée d’une pile de boîtes bringuebalantes.

— Chaud devant ! cria-t-elle avant de les doubler.

Une maison de fou, pensa Poise.

Au deuxième étage, une musique assourdissante accompagnait les performances d’un cyclope au crâne tatoué. L’individu balançait des seaux entiers de peinture sur ses toiles, qui gouttaient sur le plancher, le faisant gondoler. De l’autre côté du palier, un couple de sculpteurs semblaient en pleine dispute de couple, se jetant au visage de la terre glaise.

— Fantastique chérie ! s’extasia l’homme, les narines obstruées.

Les filles échangèrent un regard surpris avant de poursuivre.

Au troisième, elles trouvèrent une cuisine, dans laquelle une femme se faisait couler un café. Elle leur sourit, des dizaines de crayons plantés dans son chignon.

— Alors les jeunes, on visite ?

Poise s’avança, découvrant une longue table couverte de taches et de vaisselle sale.

— Bonjour Madame, nous souhaitons passer la nuit ici.

La femme ricana avant de s’asseoir sur le plan de travail, sa tasse à la main.

— Madame, aïe , ça fait mal. Appelle-moi Doris, ça vaut mieux pour mon égo.

Marxia observa les baskets de l’artiste, qu’elle avait certainement personnalisées elle-même.

— Parlez-moi de vous, continua Doris, tout en sirotant sa boisson amer.

Poise luttait contre l’envie de nettoyer et ranger la pièce.

— Tu sais, quand on accepte le désordre, la vie est beaucoup plus simple.

L’elfe noire sursauta. Comment la femme avait-elle deviné ses pensées ? Celle-ci posa sa tasse dans l’évier déjà comble et sauta sur ses pieds. Elle passa derrière Poise et se mit à lui masser les épaules.

— Olala, ce que tu es tendu ! s’exclama-t-elle en pétrissant ses cervicales.

L’intéressée aurait bien voulu répondre mais la manipulation était tellement agréable qu’elle ne pipa mot.

Marxia regardait la scène avec un sourire. Son acolyte se stressait pour un rien. Sa nervosité lui créait tellement de nœuds que ses épaules restaient bloquées en l’air.

Ses muscles relâchés, Poise retrouva le sens de la parole :

— Ça fait un bien fou, merci.

— Pas de quoi, répondit Doris en s’asseyant à cheval sur une chaise. Je suis un peu la maman de tout le monde ici.

L’archère ôta son sac de ses épaules et attrapa un tabouret. Autant se mettre à l’aise, personne ne trouverait à redire sur leurs manières ici.

— Pour vous répondre, nous sommes des aventurières. Personne ne croyait trop en nous à la maison, mais en quelques mois nous avons atteint le palier violet. Plus qu’un et nous serons dispensées d’examen de fin d’études.

Poise restait plantée comme un radis au milieu de la pièce.

— Assis-toi donc ! lui ordonna Doris.

L’elfe noire se laissa choir sur une chaise en osier.

Tout est dépareillé ici, se fit-elle la remarque. À croire qu’ils se fournissent dans les vides greniers.

La jeune femme précédemment vu transportant ses paquets entra dans la pièce et ouvrit le frigo. Elle décapsula une canette tout en se relevant et versa son contenu dans son gosier avec délectation.

— Humm, soupira-t-elle d’aise. J’ai le dos ruiné avec le réaménagement de l’atelier du haut.

Marxia observa ses longs cheveux verts aux multiples tresses. La moitié de son corps revêtait des tatouages en forme d’arabesque, jusqu’à monter dans son cou et au bord de sa joue gauche.

— Passe me voir ce soir, l’invita Doris.

La jeune femme se rendit compte de la présence des étrangères.

— Trop malpolie la fille, rit-elle en leur tendant la main. Lydia, je suis un peu la concierge de l’immeuble. C’est Jordan qui vous envoie c’est ça ? Donny m’en a parlé quand je suis remontée.

Poise serra les phalanges encore moites de sueur de l’intendante des lieux.

— Oui, nous avions besoin d’un endroit pour dormir.

— C’est le problème ici, répondit Lydia en ouvrant une deuxième canette de soda. Les stations de montagne touristiques ne sont pas de ce côté de la vallée. Il n’y a que des vieux hôtels avec des lits plus durs que des enclumes.

Doris sourit de la remarque.

— Il arrive quand le nouveau ? demanda-t-elle à la concierge.

— Demain, c’est pour ça que je m’active. On a eu une réunion hier, je te dis pas la pression que Beldur nous a mis. Gnagnagna, le premier artiste nain à la résidence, on doit marquer le coup. Comme si vous à côté, c’était du pipi de chat.

Marxia n’écoutait plus que d’une oreille, assemblant dans son cerveau les pièces du puzzle de sa réflexion.

— Faut le comprendre, c’est son projet, la mise en avant du peuple nain. C’est déjà bien qu’on puisse être là, même en mesurant plus d’un mètre vingt, plaisanta Doris.

Les deux femmes échangèrent un rire. Lydia tourna son attention vers Poise.

— Pardon, je n’ai vraiment aucune manières. Vous voulez boire un coup ?

— Pas de chichis entre nous, la coupa Doris dans son élan. Servez-vous les filles, quand vous voulez, sans demander.

La gorge sèche, Poise se mit debout et inspecta l’intérieur du réfrigérateur.

Elle sélectionna une bouteille de jus d’ananas et demanda par-dessus son épaule :

— Marxia, jus de fruit ou eau pétillante ?

Pour toute réponse, sa binôme lança un juron. Les yeux agrandis par la surprise, les trois autres la dévisagèrent. Doris laissa échapper un petit rire.

— Voilà un langage fleuri comme je les aime.

— Pardon ! s'excusa aussitôt Marxia. Je viens de comprendre, le gars en bas, avec les mobiles, c’est Donny Lagouache ?

Lydia échangea un regard complice avec Doris, que l’on pouvait interpréter par : “ Encore une groupie ”.

— Oui Mamzelle, répondit la jeune femme. Lui-même, en chair et en os.

L’archère paraissait sonnée.

— Tu attends la prochaine révélation pour prendre à boire ? s’agaça Poise. Ce n'est pas que je m’ennuie mais ça caille.

Marxia opta pour un jus de fraises, ce qui permit à Poise de regagner son siège.

— Lagouache, lui répéta la demi-elfe, les yeux brillants. C’est un des artistes contemporains les plus connus au monde ! Tu te souviens, le projet “ jungle urbaine ” ? Eh bah c’était lui !

L’elfe noire se remémora vaguement une exposition où l’avait traîné sa comparse. L’artiste s'était servi d’un entrepôt désaffecté pour récréer une forêt tropicale à l’aide de matériaux de récupération

— Il y avait des bruits d’animaux partout, continuait Marxia, des vaporisateurs pour recréer l’atmosphère et des diffuseurs d’odeur, c’était incroyable ! Je ne savais pas qu’il s’était installé ici !

Lydia s’attendait à ce que la demi-elfe dévale les marches quatre à quatre pour réclamer un autographe sur son tee-shirt. Donny Lagouache déchaînait les foules et surtout la gente féminine. Il fallait bien avouer que l’artiste était bel homme, mais surtout passionnant à écouter. Son engagement dans ses créations lui amenait la sympathie de beaucoup.

— Dire qu’il a proposé de faire mon portrait, se lamenta Marxia en s’enfonçant les ongles dans le front.

— Du calme jeune fille, rit Doris. C’est un garçon très sympathique et facilement abordable. Si tu retournes lui demander poliment, il se fera un plaisir de te dessiner.

L’archère resta suspendue dans l’hésitation quelques secondes avant de partir comme une fusée, abandonnant son tabouret qui continua à tourner dans le vide.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Livia Tournois ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0