Ave culina

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Poise enfourna un morceau de brioche dans son bec. Colin, le mari de Maëva, s’était levé aux aurores pour les gâter avec un petit déjeuner gargantuesque.

Il passa les portes battantes et déposa une pile de beignets poudrés de sucre sur la table.

— Prenez des forces, vous en aurez besoin, dit-il avec un sourire avant de repartir.

Les aventurières se goinfrèrent autant que possible avant de prendre la route.

— J’ai trop mangé, se plaignit Poise dès les premiers mètres.

Marxia lui lança un regard amusé.

— Si tu crois que je ne t’ai pas vu emballer les restes dans une serviette pour t’empiffrer sur le chemin.

Poise prit un air savant.

— Alors non, j’ai juste le respect du beau travail et je ne voulais pas gâcher.

— Bin tiens, ricana sa binôme.

Les employés de la ville nettoyaient les rues à grandes eaux. L’épisode de l’invasion des chats ne seraient bientôt pour les habitants qu’un lointain souvenir. Elles passèrent au bureau des quêtes pour saluer Tiffany et furent étonnées de trouver à sa place un garçon au visage couvert de boutons.

— Tiffany ne travaille plus ici, leur annonça le garçon en postillonnant à travers son appareil dentaire. Elle est en charge du projet de l’Amicale féline, le futur café des chats.

Le duo se réjouit de la nouvelle.

— Du coup, tu as été embauché pour la remplacer ? demanda Marxia.

— Je suis en stage, c’est tonton qui m’a mis là en attendant de trouver quelqu’un.

Le garçon ne semblait pas ravi de son sort.

— Tonton ? répéta Poise, restant à bonne distance du nuage de postillons.

— Basil Ducru, c’est mon oncle. Ma mère et lui sont frère et sœur. Elle lui a demandé de me trouver une place, soit disant que je fichais rien.

Il roula des yeux d’un air blasé.

— Bon et bien, bon stage, sourit Marxia en retenant un rire. Tu verras, c’est un poste intéressant.

Le garçon les regarda partir d’un œil las.

— Un garçon dynamique, ironisa Poise un peu plus loin.

Marxia pouffa.

— Tu crois que ça va marcher ? Pour la confrérie.

Poise perdit son air moqueur.

— On verra bien, en tout cas, je suis prête à aller au bout.

Elles marchèrent sous une météo clémente, observant les animaux batifoler et vaquer à leurs occupations printanière. Les insectes pollinisateurs bourdonnaient dans les massifs en fleurs, les oiseaux mâles se lançaient dans des sérénades et des parades effrénées, les petits animaux collectaient déjà des denrées en vue de l’hiver suivant.

Bien vite, elles virent apparaître les coteaux du vignoble de Basil Ducru. Des travailleurs, sous des chapeaux de paille, soignaient les pieds de vignes.

— Qu’est-ce qu’ils collent là-dessus ? demanda Marxia, la main en visière.

— C’est de la cendre. C’est très nutritif et ça les protège des maladies.

Au bout de la propriété se dressait une grande maison de plain-pied au toit couvert de tuiles. Une allée de cyprès menait à l’endroit, terminée avec deux statues de satyres, amphore de vin sous le bras.

— Il en fait toute une mise en scène pour un picrate qui termine dans le bourguignon, fit remarquer Marxia, ce qui provoqua l’hilarité de sa binôme.

Les montagnes leur semblaient maintenant à portée de main. Le paysage se vallonait de plus en plus et les cours d’eau prenaient l’allure de torrents sautillants. La route se rétrécit et se mit à alterner montées et descentes, transformant la marche en campagne en une randonnée montagnarde.

Poise conservait sa gourde à la main et buvait régulièrement.

— Une petite brise fraîche ne serait pas refus, dit-elle en tâtant son cuir chevelu brûlant.

Aux alentours de midi, se dressa enfin la silhouette de la confrérie. Le quartier général des chevaliers gourmets avait une allure de monastère. Le bâtiment en grosses pierres possédait un cloître, un dortoir, un réfectoire, une chapelle, des archives, des salles de réunion et de travail. La vie en communauté venait avec l’adoubement. Les membres œuvraient pour la prospérité de la gastronomie. Leur divinité n’était autre que l’âme de la cuisine elle-même, qui remplissait leurs panses et leurs esprits par ses bienfaits.

Le tympan du bâtiment se garnissait de représentations de chevaliers, fromages piqués au bout de leurs épées ou miches de pain sous le bras.

— C’est pas possible de se prendre autant au sérieux, ricana Marxia.

Poise haussa les épaules et pénétra par les portes ouvertes dans la fraîcheur de l’édifice. Dans la grande pièce principale, au plan basilical, quelques chevaliers discutaient, des rouleaux sous le bras. Les vitraux colorés créaient des jeux de lumière sur leurs visages et leurs armures. L’un d’eux tourna son visage vers les nouvelles-venues et prit congé de ses confrères. Ses cheveux blanc mi-longs semblaient avoir été bouclés au fer.

— Mesdames bonjour, Honoré Saucier, pour vous servir. Vous avez une réclamation concernant un établissement ?

— Euh, non… répondit Poise, prise au dépourvue.

— C’est une autre sorte de réclamation, précisa Marxia.

Le regard inquisiteur de l’homme passa de l’une à l’autre.

— Je vous écoute.

Poise prit son courage à deux mains.

— Je souhaite lancer un défi culinaire à Romarin Marmiton.

L’autre écarquilla les yeux. L’elfe noire gardait un visage des plus sérieux, mais ses jambes avaient une folle envie de flancher.

— Allons dans un endroit plus calme voulez-vous, répondit le chevalier, voyant ses homologues, plus loin, l’oreille aux aguets.

Il leur fit traverser le cloître où poussait un jardin d’herbe médicinale, visant principalement l’aide à la digestion. De là les filles aperçurent la tour qui abritait le pigeonnier. Les pigeons voyageurs restaient le moyen de communication privilégié par la confrérie, malgré l’embonpoint des volatiles. Certaines mauvaises langues affirmaient que les oiseaux étaient dressés à déféquer sur les restaurateurs belliqueux. Elles montèrent un escalier en colimaçon, à la suite d’Honoré Saucier, qui traversa le dortoir au pas de course pour rejoindre un passage couvert menant aux salles de réunion. Il finit par pousser une porte et les inviter à entrer.

Une table octogonale emplissait les lieux, bordée de chaises au rembourrage de cuir clouté. De petites fenêtres obstruées de verre opaque laissaient pénétrer la lumière. Contre le mur reposait un buffet ouvragé, dont le chevalier tira une carafe d’hydromel, des coupes et un boite en fer contenant des pâtes de fruits.

— Mesdemoiselles, dit-il en les servant alors qu’elles prenaient place, je vous conjure de ne point mettre à exécution votre projet. La sainte Gourmandise sait que je ne tiens pas Marmiton en haute estime, mais si vous perdez, vous pouvez dire adieu à votre réputation et votre carrière. D’autres ont essayé de se dresser contre lui, plus personne ne connaît leurs noms.

Poise attrapa sa coupe sans y toucher, cherchant simplement à occuper ses mains par nervosité.

— Je ne le fais pas pour défendre mon honneur, mais celui d’amis, dont il a visité le restaurant hier soir.

Honoré s’installa et plongea sa main dans les confiseries.

— La Salicorne n’est-ce-pas ? Il était intarissable sur le sujet hier soir. Cet établissement sera mort et enterré dès la parution de sa critique dans le guide.

Marxia crispa ses mains sur les bords de sa chaise.

— Justement, répondit Poise, la seule manière d’empêcher cette catastrophe c’est de le défier, je connais vos règles. Si je le bats, je pourrais lui demander ce que je veux. Une contre-visite, c’est tout ce que je souhaite.

L’autre soupira.

— Même si vous y arriviez, pensez-vous qu’il sera de bonne foie lors de cette contre-visite. La vengeance est un plat qui se mange froid et il adore ça.

Les yeux de l’elfe noire se perdirent dans le vide, indiquant sa profonde réflexion.

— Mais, osa Marxia, je croyais que les chevaliers étaient très à cheval sur leur code d’honneur ? Vous ne vous engagez pas à rester impartial ?

Le chevalier eut un sourire triste. Il remplit de nouveau sa coupe du liquide liquoreux.

— En théorie oui, après, c’est comme ailleurs, certains prennent des libertés. Marmiton a élevé plus d’un cuisinier au rang de star. Il a son fan club. En un sens, il est intouchable, la confrérie le sait et lui plus encore.

Honoré Saucier dégusta sa boisson à petites gorgées.

— Il n’y a vraiment personne pour lui tenir tête ? demanda Poise en désespoir de cause. Quelqu’un qui pourrait assister à la contre-visite et donner également son avis.

— Il y a une fort concurrence entre Marmiton et les autres chevaliers, ça ne sera pas le plus difficile à trouver. Déjà faut-il que vous réussissiez le défi, il a un palais entraîné.

La remarque fit sourire Marxia. À ses yeux, aucun palais n’était plus expérimenté que celui de sa binôme, surtout s’il s’agissait d’un dessert.

La porte s’ouvrit alors brusquement. Marmiton fit son entrée, suivi par une escorte de pages et de quelques chevaliers.

— Alors, dit-il d’un ton pompeux, je mets un visage sur le nom de la personne qui ose me défier. Nous serions-nous déjà croisé quelque part, vous m’êtes familière.

— Hier soir, à la Salicorne, grinça Poise.

L’autre afficha un sourire narquois.

— C’est donc ça, vous venez défendre les lâches propriétaires de cette gargotte.

Poise sauta sur ses pieds. Marxia se mordit la lèvre. Si son amie se mettait en colère, elle risquait de débiter un flot d’injures peu susceptible de faire pencher la balance en leur faveur.

— Nous sommes des aventurières, c’est notre métier de venir en aide aux citoyens qui en font la demande. Ces personnes sont d’honnêtes gens, qui tentent de vivre de leur passion malgré les coups du sort.

Marmiton se mit à rire pour de bon.

— Ils feraient mieux de se réorienter. La cuisine n’est pas faite pour les amateurs, trancha-t-il avec un sourire carnassier.

Ses pages le rejoignirent dans son hilarité, des étoiles dans les yeux, en adoration devant leur mentor et sa langue bien pendue.

— Je maintiens le duel, articula Poise, les machoire serrées.

Une lueur amusa passa dans le regard de son adversaire.

— Qu’il en soit ainsi et vous voulez que je vous dise, si vous réussissez, je vous obtiens un passage de pallier.

Il se délecta de la surprise qui passa sur le visage des aventurières.

— Votre chute n’en sera que plus grande et ma victoire plus savoureuse.

Il se retira en grandes pompes, sa troupe sur ses talons.

Saucier, les joues rougies par l’alcool, soupira tout son soul avant de s’extirper de son assise et de leur lancer :

— Attendez ici, je vais m’occuper des préparatifs.

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