À table !

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Dans la mansarde sous les toits, les filles dormirent à même le sol, dans leur sac de couchage. Marxia n’avait qu’une hâte, que le jour se lève, afin de faire avancer la mission. Les villageois semblaient tellement remontés contre le clan des chats, accepteraient-ils de trouver un terrain d’entente ? Et une fois qu’elles seraient parties, les représailles ne tomberaient-elles pas sur les félins ? Elle se retourna dans l’obscurité, meurtrissant ses côtes sur les lattes de plancher. Leurs quêtes devenaient de plus en plus intéressantes, fini de défendre les champs de carottes. Cependant, avec l’avancée des paliers venait les responsabilités. Leurs actions laissaient des traces partout où elles passaient. Elle se demanda comment allaient Gélatine, Gerlin, Guanaca, Chaku. Toutes leurs rencontres passées restaient dans sa mémoire. Sentant le sommeil arriver, elle caressa son pendentif en forme d’alpaga et ferma les yeux.

Tiffany se leva aux aurores pour écrire et distribuer les invitations. Elle rédigea une lettre manuscrite, qu’elle s’empressa d’aller photocopier au bureau de poste. Contrairement aux derniers mois, elle ne croisa pas un chat dans les rues. Le service d’entretien s’en étonna, eux qui d’ordinaire jetaient l’éponge et retournaient se coucher devant l’ampleur des dégâts. Tiffany trouva les employés municipaux rassemblés devant leur hangar à matériel, alors qu’elle traçait son chemin, ses feuilles sous le bras.

— Qu’est-ce qu’on fait ? On nettoie ? demanda l’un en se grattant le crâne.

— Autant faire un coup de propre avant qu’ils ne montrent le bout de leur moustache, confirma un autre en empoignant un rateau.

Revenu au bureau des quêtes, Tiffany s’empressa d’ouvrir le guichet puis s’attela au pliage des lettres. Une dizaine de minutes plus tard, une pile d'enveloppes attendaient sagement d’être distribuées. Elle allait se lancer dans sa tournée quand Maguy, la dernière boulangère ouverte en ville, vint la trouver, la mine préoccupée.

— Bonjour Tiffany, dit-elle en inspectant la placette du regard. Tu le crois toi, pas un de ces sales matous en ville.

La jeune femme ne put retenir un souvenir.

— C’est grâce aux deux aventurières que j’héberge. Elles ont été trouver le clan hier et on réussit à parlementer.

La femme ouvrit des yeux ronds comme des tasses.

— Tu plaisantes ?

Tiffany lécha le rabat de sa dernière enveloppe.

— Non, je m’apprête d’ailleurs à diffuser la nouvelle. Il y aura une rencontre ce soir, dans le but de trouver une voie pacifique entre les habitants et les chats. Le mieux c’est de se rencontrer cet après-midi, pour en discuter.

La boulangère n’écoutait plus que d’un oreille, obnubilée par le spectacle des agents de service en train de nettoyer les rues.

— Pince-moi s’il te plait…

La jeune femme ne se fit pas prier. Elle fourra ses enveloppes dans sa besace, sortit de la cabane et pinça énergiquement le bras de Maguy avant de partir.

— Aïe, couina la femme avant de se frotter le bras, un grand sourire aux lèvres.

La grande salle de l'hôtel du commerce bruissait d’une conversation agitée. La tension était palpable. Partout, on se saluait et on entamait sans attendre la discussion. Marxia et Poise, en marge, attendaient avec fébrilité que s’ouvre la séance. Enfin, on les invita à entrer et chacun se trouva une place autour de la grande table en U. Le vieux parquet craquait sous les pieds des visiteurs. Au mur pendaient de lourdes tapisseries, mettant en avant les savoir-faire artisanaux. On y voyait des elfes remontant leurs robes au-dessus des genoux pour piétiner du raisin, un groupe de farfadets peinant sous le poids de meules de fromages ou encore un humain présentant fièrement des prothèses auditives à une foule en délire.

Tiffany vint tirer la manche de Marxia.

— Basil a demandé à ce que vous soyez placé à côté de lui.

— Basil ? questionna Poise en suivant la jeune femme.

— Basil Ducru, le président du conseil. Il possède le plus grand cépage du PAR.

Les filles retirèrent les affichettes “réservé” et s’assirent sur leurs sièges.

— Je ne savais pas que le vin était réputé dans la région, se pencha Poise pour poursuivre la conversation.

— Il ne l’est pas, répondit tout bas Tiffany. C’est une vraie piquette, mais les restaurateurs de Papilles-en-noces s’en servent en cuisine.

Le vigneron ventru entra dans la pièce et prit le temps de serrer toutes les mains à sa portée.

— En fait, poursuivit leur informatrice, il a surtout pas mal de biens mobiliers en ville. La plupart des commerçants lui louent leurs boutiques. C’est aussi pour ça que nous avons essuyé pas mal de fermeture, à cause des expulsions.

Tiffany se redressa alors que l’homme arrivait à leur hauteur. La main de Marxia disparut sous une mare de doigts boudinés.

— Voilà donc notre précieuse interprète, annonça-t-il bien fort.

Les visages se tournèrent vers la demi-elfe, qui se sentit rougir.

— Mesdames et Messieurs, c’est grâce à cette personne que nous sommes réunis aujourd’hui.

— Et ma coéquipière, précisa Marxia, gênée.

Basil s’assit sans adresser un regard à Poise.

— Sans plus tarder ouvrons le débat. Si je peux commencer par donner mon avis, la situation a bien assez durée. Nous ne tirerions pas grand intérêt à chercher querelle au clan de Nyx. Le mieux serait de trouver une solution pacifique.

— Comment ! s’insurgea un homme chauve en tapant du poing sur la table. Mais c’est impensable, au contraire, tendons leur un piège !

Plusieurs voix donnèrent leur approbation.

— Attendez, coupa Marxia. Nyx a accepté ce rendez-vous justement parce que j’ai réussi à la convaincre que les humains pouvaient faire preuve de bonté.

Tiffany secoua vigoureusement la tête de haut en bas.

— Il serait contre productif d’envoyer un message négatif aux chats, appuya Basil Ducru. Notre ville a besoin de se reconstruire.

— Sans compter que même la milice a baissé les bras face à l’obstination de ces animaux, releva une elfe à la longue natte fauve. La nature reprend toujours ses droits.

Poise observa la femme. Sur son tablier vert se trouvait épingler un badge “ Le jardin d’hiver de Palmaris”.

Certainement la fleuriste du coin, releva-t-elle mentalement.

— Alors qu’est-ce que vous proposez ? s’énerva de nouveau l’homme chauve. On leur déroule le tapis rouge et on étale de la pâté dessus ?

Son voisin pouffa avant de lui glisser :

— Bien envoyé Maurice.

— Nous y avons réfléchi en amont, avec Tiffany, reprit Basil. L’idée nous a été soufflée par Marxia, notre brillante aventurière.

L’intéressée garda le nez baissé. Les compliments la mettaient extrêmement mal à l’aise.

— Nous proposons d’instaurer une collecte de nourriture pour les chats, qui leur sera distribuée au sein d’un établissement spécialisé. Ainsi, ils ne seront plus autorisés à piller les poubelles, ni à vagabonder en surnombre en ville.

Les membres du conseil se consultèrent à voix basses.

— Qui voudrait diriger cet établissement dont vous parler ? demanda le dénommé Maurice. Et quelle forme prendrait-il ?

Basil sourit à Tiffany, l’incitant à prendre la parole.

— J’ai pensé m’en charger. Monsieur Ducru mettrait à ma disposition un local dont il est propriétaire. Le projet viserait à relancer l’économie en créant un café des chats. Les touristes pourraient venir boire et manger mais aussi jouer et câliner les animaux et laisser des dons pour leurs soins.

Maurice et son voisin éclatèrent de rire.

— Non mais, vous avez vu l’état des bestioles ? Elles sont à moitié galeuses, personne ne voudra les chouchouter.

— Nous procéderons à une sélection, assura Basil. Les chats viendront à tour de rôle.

Plusieurs moues dubitatives dans l’assistance lui indiquèrent que l’auditoire n’était pas entièrement conquis par l’idée.

— Bien sur c’est un projet qui s’établit sur la durée. Je vous demande de faire confiance à Tiffany.

Une heure de tractation plus tard et la proposition recevait les signatures des commerçants. Certains, comme Maurice, restaient sceptiques, mais leur envie de relancer leur activité prenait le dessus.

C’est avec une pointe d’appréhension, et un visage ayant perdu de sa confiance légendaire, que Basil se lança dans les pourparlers avec la sombre Nyx. Marxia traduisait mot pour mot le dialogue, attentive au langage corporel de la chatte, prompt à s’enflammer.

Les conseillers, recroquevillés dans un coin de la placette, suivaient l’étrange scène de loin, ne comprenant rien aux miaulements autoritaires de cette reine griffue.

— On devrait en profiter pour leur tomber dessus, souffla Maurice aux autres.

— Non, lui répliqua Palmaris, la fleuriste. Vous devez avoir confiance en ces jeunes femmes. C’est la première fois que nous réussissons à parlementer avec les chats.

L’autre se renfrogna, ne s’enlevant pas de l’idée que jamais il ne tolérerait la présence de ces bêtes dans sa ville.

La nuit s’emparait des rues quand Nyx donna son accord. Elle appuya sa patte sur le tampon encreur que lui tendait Marxia et laissa son empreinte sur le document officiel.

Un soupir de soulagement monta du côté des commerçants. La petite Mirette sauta souplement sur les épaules de l’archère et se mit à ronronner.

— Le clan présente ses excuses pour les dégâts occasionnés, clama tout fort la demi-elfe. Nyx vous demande de lui pardonner tout particulièrement et de ne pas tenir rancune à ses sujets. Elle s’engage à vous débarrasser des rats et des autres rongeurs qui pourraient traîner dans vos arrières boutiques.

Un murmure approbateur accueilli l’annonce.

La foule humaine comme féline se dispersa. Les uns partant s’ouvrir une bonne bouteille, qui ne viendrait donc pas de chez Basil Ducru, les autres chasser en bordure de la ville.

Poise félicita sa partenaire, dans l’ombre de laquelle elle s’était tenue toute la journée.

— C’est ta victoire, je suis très fière de toi, lui dit-elle sincèrement.

Marxia sentit des larmes lui monter aux yeux. Elle les chassa d’un papillonnement de paupière.

— Je suis désolée que Monsieur Ducru t’es mise de côté comme ça.

L’elfe noire haussa les épaules.

— Ça n’était pas mon heure de gloire, je t’ai laissé la tête d’affiche sourit-elle.

Une femme s’approcha du binôme, accompagné de Ducru.

— Mesdemoiselles, je tenais à vous remettre en personne vos points de quête, collectés auprès de tous nos conseillers. Ils vous adressent leurs chaleureux remerciements ! Bien sûr, nous avons ajouté un bonus pour vous, Marxia. Vous avez été le fer de lance de cette mission.

L’intéressée sourit poliment tandis qu’il créditait leur carte, qui virèrent au rose bonbon.

L’émotion leur étreignit la gorge et elles se contentèrent de hocher la tête en signe de gratitude.

— Je vous laisse aux bons soins de Maëva, qui possède l’excellent restaurant de la Salicorne. Un bon repas vous fera le plus grand bien.

Après de courtes présentations, elles suivirent la restauratrice à travers les rues.

— C’est bizarre comme nom de restaurant “ la sale licorne”, souffla Marxia à Poise.

Elle imaginait très clairement une enseigne ou un équidé cornu salissait son bavoir.

Poise leva les yeux au ciel.

— C’est bien de voir que certaines choses ne changent pas, répondit-elle en souriant.

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