Epilogue

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Donny sortit du bâtiment par une porte dérobée. Le soleil se couchait, diffusant dans le ciel un camaïeu de rose saisissant. Il leva le nez vers le belvédère surplombant le village. Les deux agents de la milice lui avaient indiqué que les filles s’y trouvaient.

L’elfe fut bien content de prendre un bol d’air frais après l’agitation provoquée par les Détrousseurs roublards. Grâce aux aventurières, tout était rentré dans l’ordre et la présentation de son œuvre se trouvait auréolée de succès.

Après une rude montée, il les trouva sur le banc devant la table d’orientation. Marxia s’empiffrait de petits fours, dont elle avait piqué un plateau sur le buffet.

— Alors les justicières, commença-t-il avec un sourire. Ça fait quoi de se dire qu’on ne retournera plus à la fac ?

Poise sourit en retour, tournant encore et encore sa carte rouge carmin entre ses doigts.

— Il s’est senti obligé de faire ça devant tout le monde, répondit-elle à l’artiste qui s’asseyait à ses côtés.

— L’occasion était trop belle, deux aventurières qui sauvent la cérémonie, le signe suprême que les modes de vie traditionnels ne doivent pas disparaître.

Migö Lhirsute n’avait pas hésité un seul instant à s’emparer de l’arrestation des Détrousseurs roublards pour servir sa cause. Il les avait comparé à ses détracteurs, exemples d’une société corrompue où les valeurs dépérissaient peu à peu. Les filles avaient été applaudies à s’en faire des ampoules aux mains et reçurent leurs points de quête sous l’ovation générale.

— Ta statue est incroyable, le complimenta Marxia. Je suis désolée qu’on t'ait volé la vedette.

Donny rit. Tout le monde en bas les cherchait, avide de leur tirer le portrait et de recueillir leurs témoignages.

— Vous avez au contraire permis la création d’une légende autour de cette statue. La défense de la nature entravée par la cupidité, Migö en aurait presque pleuré de joie.

Quand le drap était tombé, l’archère avait retenu sa respiration. Un vieil homme en marbre gris se tenait debout dans une position tordue. Ses mains et ses genoux cagneux étaient emprisonnés dans des fils barbelés, desquels pendaient des télésièges et des télécabines. Sur ses jambes, les pistes de sport d’hiver creusaient de profonds sillons. Des résidences de tourisme poussaient sur son dos telles d’affreuses pustules, alors que son visage exprimait une douleur profonde. Ses cheveux se trouvaient ceint d’une couronne de sapins et sa barbe se parsemait de fleurs de montagne. Ses globes oculaires avaient été taillés par les nains dans un cristal de roche laiteux. Le tout donnait une œuvre percutante, qui frappait l’esprit et vous collait la chair de poule.

— Qu’est-ce que vous allez faire maintenant ? demanda Lagouache.

Poise soupira et Marxia cessa de mâcher sa gougère au fromage.

— On vient d’en parler, répondit l’elfe noire. On ne peut plus rester ici, on nous reconnaîtra partout.

— Et vous croyiez que ça sera différent dans un autre PAR ?

Marxia avala sa bouchée. Passer de l’anonymat complet à une célébrité aussi soudaine qu’éphémère ne les enchantait pas. Elle repensa à Socquette, reclu dans son refuge de montagne pour échapper aux paparazzis. L’authenticité de leurs missions s’en trouverait grandement altérée.

— Je crois qu’on a tiré de cette région tout ce qu’on pouvait. Il est temps de passer à autre chose.

Le sourire de Donny s’élargit encore.

— Certains y passent des années, vous n’êtes même pas là depuis six mois.

Poise observa les dernières lueurs du jour s’éteindre. Elle se mit à frissonner. Elle qui rêvait de grandes aventures en montagne se voyait contrainte de revoir ses ambitions à la baisse. Tous les médias du pays semblaient vouloir leur parler depuis quelques heures. Le bureau de poste s’arrachait les cheveux devant la tonne de courrier qui arrivait en continu.

— Je ne sais pas comment ils ont eu nos coordonnées. J’ai l’impression qu’ils veulent faire de nous des exemples “ Regardez ces jeunes femmes modernes qui se tournent vers une profession d’antan !”. Si on reste trop longtemps, on va se faire alpaguer par toutes sortes de représentants politiques, de promoteurs de télé-réalité, de publicitaires en manque d'égéries et j’en passe.

Elle soupira en s’imaginant vanter les mérites d’une crème anti-odeur pour les pieds.

— Je me dis qu’il fera meilleur dans le Sud. J’ai bien envie de tancer du pirate, de devenir capitaine d’un navire.

Donny ne l'imaginait que trop bien tenir la barre d’un fier galion, distribuant des ordres à des moussaillons en panique.

— Besoin de changer d’air alors, je comprends. Après tout, rien ne vous retient ici.

Marxia eut un pincement au cœur. Elle se repassa mentalement le film de leurs aventures et surtout les visages rencontrés sur la route. Ces quelques mois avaient été riches en tout point. Elle se sentait bien mieux dans ses baskets, ou plus dans ses chaussures de randonnée. Croire en leur rêve n’aboutissait pas à la grande déception contre laquelle tous les avaient mises en garde. L’archère savait que leurs aventures dans ce PAR ne s’arrêtaient pas là. Elles voulaient en voir plus, croiser des dragons des neiges, visiter d’anciennes mines naines, retourner visiter leurs connaissances. Tout cela devrait attendre que les évènements se tassent et que l’engouement à leur égard retombe.

— Ce n’est qu’un au-revoir, conclut-elle.

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