Sur le ring

8 minutes de lecture

Marxia massait les épaules de Poise comme s’il s’agissait un boxeur prêt à entrer en scène.

— Comment tu te sens ?

— Je vais l’exploser ! ragea l’elfe noire, les yeux lançant des éclairs.

— Tu te rappelles qu’il s’agit d’un duel de cuisine, s’inquiéta sa partenaire.

L’intéressée tordit son cou dans tous les sens pour le faire craquer.

— Cet imbécile est tellement prétentieux qu’il me fait choisir le thème de l'épreuve ! Il cherche à m’humilier.

L’archère se rassit sur sa chaise puis se releva, incapable de tenir en place. Les bras croisés, elle s’appuya contre le buffet.

— Le gars avec un nom de gâteau t’as pourtant prévenu.

— Honoré, marmonna Poise.

Un instant, elle imagina un gros chou caramélisé, coiffé de chantilly, engoncé dans une armure.

— Que voulais-tu que je fasse, renoncer ? reprit-elle. Qu’est-ce qu’on aurait dit à Maëva ? Jamais je n’aurais osé remettre les pieds à la Salicorne.

Marxia regarda une mouche entêtée s'écraser encore et encore contre la fenêtre en bourdonnant furieusement.

— Tu as eu raison d’aller jusqu’au bout, mais j’ai peur que ce type ne t’en veuille tellement qu’il te détruise.

Elles restèrent silencieuses jusqu’au retour de Saucier. Le chevalier semblait avoir décuvé et empli d’une énergie nouvelle.

— Je vous ai trouvé la crème de la crème ! claironna-t-il. Alexandre Mogette va vous épauler !

Les narines de Marxia s’agrandirent quand elle retint un éclat de rire.

Pourquoi les gens ont toujours des noms loufoques ? pensa-t-elle en se pinçant le bras pour retrouver son sérieux.

Le chevalier susnommé ne tarda pas à se montrer. Grand et fin, il semblait flotter dans son armure noire aux jointures d’argent. Son nez pointu était souligné d’une moustache en guidon, dont il entortillait les extrémités en un tic régulier.

— Mesdames, les salua-t-il en se courbant bien bas, nous n’avons que peu de temps pour nous entretenir. Marmiton s’époumone tant et plus afin d’avancer le début du duel et m’empêcher de vous dispenser quelques conseils.

Saucier passa la tête par la porte, soucieux de surveiller l’agitation du dehors. Mogette appuya ses mains sur le dossier d’une chaise et planta ses yeux gris dans ceux de Poise.

— Vous avez bien fait de choisir la pâtisserie, c’est son point faible. Autant il est incollable sur les plats en sauce, autant sur la technique des desserts, il peut revoir sa copie.

— On vient, annonça Saucier, nerveux. Je vais vous gagner un peu de temps.

Il passa le battant et le referma derrière lui.

Sans se laisser gagner par la panique, le chevalier longiligne poursuivit :

— C’est vos nerfs qui feront la différence. Il fera tout pour vous déstabiliser. Respirez calmement tout du long et laissez vous du temps pour répondre, pas de pression.

La porte grinça en s’entrouvrant.

— Il faut y aller, annonça Saucier, des yeux curieux épiant par-dessus son épaule.

Poise essuya ses mains moites sur son pantacourt et suivit les chevaliers dans le réfectoire.

Une table ronde les attendait, couverte d’une nappe écrue sur laquelle reposaient deux cloches d’acier.

Une quinzaine de chevaliers s’alignaient le long du mur, droit comme des i. Un pâtissier au large tour de taille patientait près de la table d’examen. Saucier emmena Marxia vers le parterre de chaises où trépignaient les pages et un public trié sur le volet.

Quand et comment ces gens sont-ils arrivés ? se demanda l’archère en s’asseyant.

— Le chevalier Marmiton va dévorer ta copine, claironna le page à sa droite, dont le front proéminent se perçait de deux minuscules cornes.

— Cette petite est bien prétentieuse, appuya une dame au port de tête altier, placée juste devant Marxia. Monsieur Marmiton ne m’a jamais déçu.

La demi-elfe tira la langue à la nuque de la femme. Son époux prit place sur la chaise voisine et lui tendit une coupe de champagne.

— N’est-ce pas, Georges, qu’il ne peut pas perdre ? s'enorgueillit la dame en jetant un coup d’oeil derrière elle.

L’homme s’humecta les lèvres de quelques bulles avant de répondre :

— C’est hautement improbable. Qu’en dites-vous ? demanda-t-il à la demi-elfe en se tournant vers elle. Votre amie a-t-elle l’ombre d’une chance ?

Marxia, qui contenait sa peur et son stress depuis une bonne heure, décida qu’il était grand temps de répliquer :

— Je pense que les avis, c’est comme les trous de fesses, tout le monde en a un. Maintenant, si vous le permettez, j’aimerais suivre le duel.

Elle garda les yeux obstinément rivés sur les cloches rutilantes, ignorant superbement la femme qui couvrait sa bouche d’une main choquée.

Poise et Marmiton se défiaient du regard par-dessus la nappe immaculée. On apporta un micro au pâtissier qui, bien mal à l’aise face à cet objet, annonça les termes de l’épreuve dans un concert de bruits parasites.

— Sous ces cloches se trouvent deux meringues différentes. Au goût et à l'apparence, vous devrez différencier la meringue elfique de la meringue humaine. Ensuite, nous apporterons des pâtisseries et vous devrez à tour de rôle choisir quelle meringue est utilisée pour leur confection.

Il attendit l’approbation des deux participants et appela ses commis qui s’empressèrent de soulever les cloches. Le public se tordit le cou pour apercevoir les deux cailloux blancs faits de sucre glace et de blanc d’oeufs.

Marxia observa le visage concentré de Poise, qui inspectait les meringues avec grande attention. Elle croisa discrètement les doigts pour lui porter chance.

— Dégustez ! annonça le pâtissier.

Un silence religieux tomba sur le réfectoire. Les pages se tenaient sur le bord de leurs chaises, surexcités.

Marmiton s’empara d’une meringue et l’observa sous toutes ses coutures, la portant au-dessus de sa tête pour faire jouer la lumière sur sa surface.

Poise tâta les produits délicatement. Elle prit un couteau mis à sa disposition et fendit les pâtisseries en deux pour en inspecter l’intérieur. Un mince sourire étira ses traits.

Jaugeant son assurance, le chevalier gourmet passa à l’étape supérieure et croqua dans une première meringue, qu’il avala en une seule bouchée. Sur de lui, il inscrivit quelques mots sur sa feuille réponse. De son côté, l’elfe noire laissa fondre un morceau de meringue sur sa langue pour mieux appréhender sa texture et sa composition. Elle se pencha également sur son questionnaire.

La dégustation finie, le pâtissier ramassa les copies et les étudia.

— Madame, pouvez-vous me présenter la meringue elfique.

Un commis apporta une nouvelle assiette témoin. Poise pointa un des rochers blanc. L’homme à la toque approuva.

— La meringue humaine est très légère. On fouette des blancs d'œufs et on y incorpore ensuite le sucre glace, sa texture est craquante.

Marmiton grinça des dents.

Elle s’y connait la pimbêche ! pensa-t-il, mécontent.

— Monsieur, à votre tour, même chose avec la meringue elfique.

Le chevalier la désigna sans attendre et s'en empara pour la montrer à la foule tel un professeur.

— Celle-ci est moins légère et plus fondante. On dit en général qu’elle est la plus compliquée, c’est pourquoi vous me posez la question à moi cher Monsieur Pralin.

Il chercha l’assentiment du pâtissier, qui conserva un air neutre.

Marxia souffla, le juge se montrait impartial.

— On monte également les blancs, continua Marmiton en perdant de sa superbe, mais le sucre est cuit au boulé, à 120 degrés très précisément avant d’être incorporé.

Pralin acquiesça et moulina de la main pour faire venir le chariot des desserts. Des ventres gargouillèrent à la vue de tant de gourmandises. Les commis disposèrent sur la table les assiettes ainsi que de petites étiquettes à piquer dans les meringues.

— À vous l’honneur, dit Marmiton à Poise en lui désignant les pâtisseries.

Sans attendre, l’elfe noire piqua sa première étiquette dans du nougat. Ils procédèrent ainsi pendant cinq bonnes minutes. Bientôt, le mont-blanc, le merveilleux, la pavlova, la bûche de nöel, le vacherin, les macarons, la tarte au citron meringuée et autres sucreries reçurent leurs écriteaux. Ne resta plus sur la table que la glace mystère et un Romarin Marmiton en pleine hésitation.

— C’est ridicule, lança-t-il, je ne connais pas ce dessert, il est industriel.

— Oui mais il est sur la table, répliqua Pralin. C’est un des produits que nous produisons pour le grand public.

Je ne fais pas partie du grand public, abruti, répliqua mentalement le chevalier. Si c’est fait pour la plèbe, ils ne doivent pas s’embêter et prendre la meringue la plus facile à réaliser.

— De la meringue humaine, assurément.

Un sourire triomphal se dessina sur le visage de sa rivale. Perdant la face, le critique se rendit compte de sa monumentale erreur, trop tard cependant.

— Etes-vous du même avis ? demanda le pâtissier à une Poise rayonnante.

— Du tout, prit-elle un malin plaisir à répondre. La meringue humaine craint l’humidité plus que tout, la mettre dans un dessert glacé serait une hérésie.

Des exclamations de surprise fusèrent du côté du public. Le voisin de chaise de Marxia, précédemment moqueur, se prit la tête dans les mains, dépité.

Marmiton résista à la folle envie d’écraser le visage de l’elfe noire dans l’omelette norvégienne.

— Vous ne pouvez pas me juger là-dessus, déclara-t-il, sûr de lui. Comme je l’ai évoqué, ce n’est en aucun cas un dessert traditionnel.

Les commis se mirent à débarrasser la table.

— Et alors ? L’exercice ne consistait pas à connaître par cœur les recettes des plats présentés, mais de savoir déduire quelle meringue leur était adaptée.

Le chevalier étouffa le cri de rage qui montait dans sa gorge.

— Je refuse de perdre sur un produit congelé que chaque plouc de ce pays peut avoir dans sa glacière ! s’énerva-t-il.

Sans plus débattre du sujet, Pralin accrocha la médaille de la victoire au tee shirt de Poise. L’intéressée baissa le nez pour regarder le macaron doré sur lequel était inscrit “compliment de l’Ordre de la crème fouettée”.

— Jacques enfin ! trottina Marmiton derrière le pâtissier qui s’éloignait.

L’autre se retourna, le regard furieux.

— Monsieur Pralin, rectifia-t-il, nous n’avons pas dressé les assiettes ensemble.

Il quitta la salle en compagnie de son équipe.

Déjà, Honoré Saucier apportait un livre volumineux, relié de cuir, sur lequel apparaissait une fourchette d’or.

— Chevalier Marmiton, s’adressa-t-il au dos du critique, en vertu de nos règles, vous devez maintenant jurer sur le premier guide que vous honorerez vos engagements. Une contre visite sera effectuée au restaurant la Salicorne et vous serez accompagné dans cette mission par le chevalier Mogette.

L’homme fit volte face et, de mauvaise grâce, posa sa main sur l’ouvrage en marmonnant “ je le jure ”. Après cela, il se retira sans dire un mot, le regard noir.

— Quel petit joueur, fit remarquer la femme assise devant Marxia. Moi qui le tenais en haute estime, je crois que je ne donnerai plus aucun crédit à ses critiques.

— Vous avez tout à fait raison Lavigna, acquiesça son époux. Il fait honte à la confrérie.

Le public se dispersa peu à peu. Ne resta bientôt plus que les aventurières et les chevaliers Mogette et Saucier.

— Trop la classe, s’extasia Marxia devant la médaille de Poise.

— J’ai eu chaud, répondit-elle, encore sonnée d’avoir gagné.

Les deux critiques mirent un genou en terre.

— Mesdames, commença Saucier d’une voix solennel alors que Mogette baissait respectueusement le regard, vous avez aujourd’hui rendu un grand service à la confrérie. Sachez que vous serez toujours les bienvenus ici, ainsi que dans nos établissements partenaires.

Ils se relevèrent. Un page se racla la gorge pour signaler sa présence. La moue boudeuse, il tenait à la main un appareil pour créditer des unités.

— Tiens donc, votre mentor ne s’est pas donné la peine de venir, railla Mogette.

— Monsieur Marmiton prend son bain moussant, répondit l’adolescent renfrogné.

C’est avec des cartes bien violettes que les aventurières quittèrent les lieux dans le coucher du soleil. Elles profitèrent du grand air pour pousser des cris de joie, qui se répercutèrent en écho dans toute la vallée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Livia Tournois ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0