Enquête de satisfaction

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— Emo Globine, il est dans le coin ? demanda Marxia sur un ton innocent.

— Il observe beaucoup mais se montre peu, répondit évasivement le baron.

Manqué, pensa Marxia.

Lagoule lorgna sur le cou gracile de la demi-elfe. Un rictus ourla ses lèvres et hérissa l’épiderme de l’archère.

— C’est dommage, enchaîna-t-elle, j’ai entendu dire que c’était le plus vieux vampire du pays. J’aurais bien aimé voir à quoi il ressemble.

Poise se mit à ronfler.

— Pourquoi vouloir rencontrer Emo alors que vous êtes invitées à ma table ? sourit Raoul.

La demi-elfe comprit que Lagoule n’en dirait pas plus, il commençait à se refermer telle une huître récalcitrante. Il était temps de trouver une porte de sortie, sinon, elle ne donnait pas cher de leurs peaux, ou plutôt, de leur sang.

— J’ai besoin de passer aux toilettes, lança-t-elle d’un air détaché. Je vais y emmener Poise pour la rafraîchir un peu.

Elle se releva, testa son équilibre sur ses talons et voulut faire un pas vers son amie, mais Lagoule lui barra le chemin, canines de sortie, une lueur démente dans le regard.

— Mais non voyons, c’est ridicule, susurra-t-il. Laissez-moi vous accompagner. Damaris l’y conduira ensuite.

Il la dévisagea comme on le ferait d’une religieuse dans la vitrine d’une pâtisserie. Marxia se ratatina alors qu’une main crochue agrippait sa hanche. Un battement de paupière plus tard et le vampire l'entraînait entre les danseurs, direction le petit coin. La panique s’insinuait dans les veines de l’aventurière. Les doigts glacés de Raoul restaient greffés à sa taille. Le sourire du centenaire s’épanouissait à chaque pas.

Arrivé à destination, le vampire constata que l’endroit manquait d'intimité. Appuyées nonchalamment contre le mur, une dizaine de femmes attendaient leur tour pour les toilettes.

— Ne vous en faites pas, glissa Raoul à l’oreille de Marxia, je connais un endroit moins fréquenté.

Il poussa une lourde porte “interdite au public”. Celle-ci se referma sur eux, les coupant de la musique et de l’ambiance du club. Une épaisse moquette noire étouffait leurs pas. Toujours menée telle une marionnette, Marxia vit un panonceau doré passer dans son champ de vision

Bureau de Mr Globine, lut-elle.

Lagoule l’emmena plus loin, vers des toilettes privatives.

— Vous y serez plus à votre aise, chère Marxia. Permettez-moi.

Il la précéda et lui tint le battant ouvert. Mal à l’aise, la demi-elfe s’aventura tout de même dans la pièce, où s’alignaient des vasques en marbre blanc.

— Bon, eh bien, je reviens tout de suite, annonça-t-elle, plus que gênée.

Elle se glissa dans une cabine et tira le verrou derrière elle. Consciente d’être espionnée, l’aventurière surveilla le haut et le bas de la porte avec attention. Rien à sa disposition ne lui permettait de se défendre. Elle considéra un instant la brosse accolée au WC.

Je ne pourrais jamais l’assommer avec ça… se lamenta-t-elle.

Sa vessie la travaillait.

Autant évacuer la drogue de mon organisme, se dit-elle.

Engoncée dans sa robe, elle se soulagea tant bien que mal, guettant le moindre mouvement suspect.

Plus un son ne lui parvenait de l’extérieur. Marxia tira la chasse d’eau et, anxieuse, se dirigea vers un lavabo pour se laver les mains. Elle frictionna entre ses paumes la savonnette en forme de gousse d’ail, puis la reposa sur le lourd porte-savon en marbre rose.

Alors qu’elle ouvrait le robinet, une respiration proche de son oreille lui fit relever le nez. Elle ne rencontra que sa propre image dans le miroir.

Les vampires n’ont pas de reflet, percuta-t-elle trop tard.

Un croc pointu perça la peau de son cou et lui arracha un cri. La main de Marxia se referma sur le porte savon. La douleur s’accentua, un filet de sang coula le long de sa gorge. Tremblante, la demi-elfe souleva son arme de fortune et l'abattit sur le crâne de son agresseur.

Raoul lâcha prise et plaqua deux mains sur la bosse qui enflait sous ses cheveux gominés.

À cet instant, Damaris et Mirena firent irruption dans la pièce, arbalète à la main.

— Milice urbaine PAR, on ne bouge plus ! hurlèrent-elles.

Le vampire s’apprêtait à riposter. Damaris découvrit une cuisse galbée, autour de laquelle se trouvait caché un étui rempli de fléchettes sédatives.

— Ne me forcez pas à m’en servir, Lagoule, menaça-t-elle en armant un projectile.

Sous l'œil vigilant de la nymphe, sa collègue sortit une paire de menottes en argent, qu’elle passa aux poignets du centenaire.

— Tout ceci n’est qu’une vaste plaisanterie, j’ose l’espérer ! se défendit-il.

— Vous êtes en état d’arrestation pour agression, lui répondit Mirena, qui resserra les entraves du baron.

— Agression ? répéta-t-il, excédé. Comme vous y allez. Je ne faisais que chasser mon dîner. De mon temps, on ne faisait pas tant de chichis.

Plaquée contre le mur du fond, Marxia frissonna. Le vampire venait d’insinuer qu’elle n’était qu’un simple aliment, un morceau de gibier.

— Plusieurs plaintes ont été déposées à votre encontre. Vous vous pensiez intouchable parce qu’influant dans votre milieu, mais on vient de vous prendre sur le fait ! asséna Damaris.

— Vos subterfuges sont déloyaux ! s’énerva Lagoule tandis que l'agent de la milice le poussait en avant. Je suis quelqu’un d’important figurez-vous ! Je connais du monde !

— C’est ça, on en parlera au juge, lui répondit Mirena de son ton blasé.

Raoul se débattit et montra les dents dans une attitude de cobra prêt à mordre. D’un mouvement agile, Damaris le musela à l’aide d’un protège dent en caoutchouc.

— Tenez-vous tranquille, le sermonna-t-elle. N'aggravez pas votre cas.

Mirena, toujours en robe de soirée, escorta son prisonnier vers le camion de la milice stationné devant le club.

L'interpellé hors de sa vue, Damaris se détendit et tourna son attention vers Marxia. Elle tira plusieurs feuilles de papier du distributeur et les pressa sur la plaie de la jeune femme.

— Je suis navrée que vous vous retrouviez mêlée à tout cela. On le surveille depuis des semaines mais, avant ce soir, il n’était plus passé à l’acte. Il devait se retenir depuis trop longtemps, une pulsion a eu raison de sa jugeote. Madame, vous vous sentez bien ? s’inquiéta-t-elle devant le manque de réaction de son interlocutrice.

— Oui... ça va… répondit l’intéressée d’une voix éteinte.

— Les secouristes ont pris en charge votre amie, à l’extérieur. Nous allons leur faire voir la morsure.

La demi-elfe se laissa entraîner hors des toilettes.

Arrivée dans le couloir, une ampoule s’alluma dans son esprit.

— Attendez ! s’exclama-t-elle.

Damaris sursauta et lui lâcha l’épaule.

— Il faut que je rentre dans le bureau de Monsieur Globine, expliqua Marxia tout bas. C’est pour une quête, je suis aventurière.

L’autre la dévisagea, sourcils levés.

— Je suis navrée, mais je ne peux pas vous aider à entrer par effraction dans ce bureau. Votre blessure doit être examinée le plus rapidement possible.

L’agent se remit en marche, la demi-elfe sur ses talons, penaude.

Damaris mit la main sur la poignée de la porte menant au club. Elle actionna la poignée, puis se ravisa.

Elle lança sans se retourner :

— J’ai été impressionnée par votre courage. Je comprends mieux pourquoi vous êtes rentrée dans le jeu de Raoul Lagoule. Attention toutefois, il vous faut apprendre à choisir vos informateurs avec plus de discernement.

Elle ouvrit le lourd battant et laissa échapper de son autre main un passe-partout, que Marxia s’empressa de ramasser.

— Merci, chuchota-t-elle.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez, répondit Damaris avec un sourire en coin.

Dans la salle principale, un Amber Moon mécontent rangeait son matériel. Des agents de la milice avaient investi les lieux en intimant au DJ de couper le son. Les lumières allumées donnaient un tout autre visage à la piste de danse. Des flaques d’alcool se dessinaient sur le sol et des détritus gisaient ça et là. Les clients avaient été évacués. Seuls restaient les membres du personnel, en train de se faire interroger, et les vampires VIP potentiellement complices.

Emo Globine ne montrait pas le bout de ses crocs, bouclé dans son bureau. Assis sur l’un des tabourets du bar, son avocat le défendait bec et ongle auprès du chargé de l’enquête. L’agent en question, le chef de la BISE — Brigade d’Intervention Spécialité Espionnage — écoutait les palabres du juriste d’un air qui signifiait “je connais la chanson”.

— Mon client est un gestionnaire méticuleux qui se charge d'affaires bien plus importantes que de savoir quelles crapules hantent son établissement. Cette mission revient aux employés de la sécurité, que nous payons grassement pour ce service. Je vous conseille de vous tourner vers eux avec vos questions insidieuses et de ne pas déranger Monsieur Globine, qui a bien d’autres choses à penser. Le service d’ordre est géré par un prestataire extérieur, dont voilà les coordonnées.

Il lui tendit une carte de visite.

— Je vous prierai de libérer les lieux le plus vite possible. Ah ! Un autre détail, dit-il en se levant. Laissez nos habitués tranquilles. Nous tenons à eux tout particulièrement.

Marxia remonta le grand escalier pour retrouver l’air frigorifique d’une nuit d’hiver bien avancée.

Une roulotte médicale attendait dans la petite rue et attisait la curiosité des badauds. Un infirmier se porta aussitôt à sa hauteur et la fit monter à l’abri des regards. Sur une civière, les yeux fermés, Poise reprenait des couleurs sous une couverture de survie.

— Comment va-t-elle ? s’inquiéta sa binôme.

L’infirmier la fit asseoir et sortit une lampe de poche minuscule. Il agita le faisceau devant les pupilles de sa patiente.

— Elle va s’en sortir, tranquillisez-vous, répondit-il avec un sourire bienveillant. Elle a bu ce qu’on appelle “ la drogue du vampire ”. C’est un puissant anesthésiant à base de venin de manticore. À très petite dose, ça n’est pas létal, mais le produit agit vite et bien.

Il attrapa une mallette de soin sous le banc.

— Elle s’est endormie tellement rapidement, se remémora l’archère.

— Ça ne fait pas bon ménage avec l'alcool. Laissez-moi voir votre cou.

Le soigneur désinfecta la plaie et y déposa un pansement. Il laissa à sa disposition une couverture, dont l’aventurière se drapa aussitôt, alors que Damaris et Mirena montaient dans la roulotte.

— Elle va manger un peu et elle sera requinquée, les informa l’infirmier. Le vampire n’a pas eu le temps de lui prendre une grande quantité de sang, inutile de la transfuser. La morsure est superficielle, pas de risque de transformation.

Les agents le remercièrent. L’homme inclina la tête et partit s’occuper d’un fêtard mal en point.

— Marxia, entama Mirena, un dictaphone à la main, nous aimerions retracer les événements de la soirée avec vous. Je sais que vous n’avez pas la tête à ça, mais il faut le faire pendant que vos souvenirs sont frais. Les vampires sont soumis à des lois spécifiques pour pouvoir vivre parmi les humains et Raoul Lagoule a enfreint les plus fondamentales. Nous sommes prêtes à nous battre pour le faire tomber.

La demi-elfe leur offrit un faible sourire. Cette soirée leur laissait un goût plus qu’amer dans la bouche. Elle prit soin de taire leur objectif, à savoir entrer chez le propriétaire du club par effraction, et une heure plus tard, la milice les raccompagna à leur hôtel.

Mirena et Damaris s’assurèrent qu’elles passent la porte de l’établissement sans encombre. Poise, toujours vaseuse, tenait à peine sur ses jambes, supportée par sa partenaire. La gérante, une cigarette entre les lèvres, les regarda passer avec un rictus amusé. Marxia n’avait qu’une hâte : se coucher. Une fois qu’elle eut aidé Poise à se mettre au lit, la demi-elfe s’extirpa de sa robe moulante et se glissa sous l’édredon. Ses paupières à peine fermées, elle se laissa emporter par le sommeil.

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