Loup voit Rouge

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Marre de ce macronisme qui nous condamne à errer sans bouffer : les poubelles de restaurants sont désormais vides, les gens dépensent moins mais mangent nettement plus. Triste époque ! Il me fallait retourner dans la forêt, revenir à l’état de nature, c’est ce que je me suis dit mais trouverais-je des ressources, outre celles que j’ai en moi ?

J’étais trop habitué à me gargariser des restes des hommes, comme si, d’une certaine façon, j’étais domestiqué. Non mais ohhhh ! Je suis un loup, un loup solitaire, sans meute, mais un loup tout de même. Je me suis dirigé donc, avec mon honneur de loup, vers la forêt. Je fis alors la rencontre d’une petite gourde : onze piges à tout casser, vêtue comme une pute de bar à champagne. Intéressant…

Je la vis brandir son téléphone intelligent : elle se prenait sans doute pour une voiture, avec un GPS, ne sachant pas trop où aller dans cette forêt dense ! Bon samaritain, bien qu’un peu putain, je lui demandai où elle allait d’un pas si peu convaincu, intriguée par sa jupe ras la touffe et son air tellement perdu qu’elle ferait sans doute une victime succulente même si, soyons perspicace et réaliste, ses jambes grêles, son corps filiforme, m’évoquaient férocement cette anorexie propre aux mannequins des années 90. Elle avait peut-être, dans son sac à main, un sachet de coke.

Elle ne fut pas trop surprise de voir un animal qui parle : je me demandais bien à quelle série elle pouvait bien biberonner. Enfin, soyons sérieux, venons-en aux faits : les humains essaient toujours de vous embrouiller parce qu’au fond, ils ne savent pas trop où ils vont, quel sera leur destin. J’essayais donc de la baratiner afin de lui tirer les vers du nez, ce qui fut un jeu d’enfant : à l’heure de la pornographie sur internet, les jeunes n’ont aucune échelle de valeurs. Tout le monde est beau, tout le monde est gentil, tout le monde a… un kiki. Surtout moi. Ha ! Ha ! Ha !

Quelle pauvresse, tout de même... Néanmoins, malgré ses carences intellectuelles évidentes, elle me fournit l’adresse exacte de l’appartement de sa précieuse grand-mère, dans une zone d’urbanisation prioritaire étrangement déserte. D’après ses dires - car elle était un peu disserte malgré ses borborygmes - il paraissait que, dans cet immeuble, il n’y avait que des vieux. La jeunette s’y ennuyait sévère ! Les papys, qu’elle disait, n’arrivaient jamais à jouir. Bien qu’ils payassent bien, elle perdait son temps. Je me suis dit que la grand-mère était peut-être plus appétissante : va savoir ! Vu comme la progéniture était dégourdie, j’arriverais sans doute au domicile de la vieille avant elle, avec ou sans Uber. C’était à tenter !

A destination, je pris ma voix la plus féminine, sensuelle et larmoyante : mes imitations de Mylène Farmer au karaoké ayant payé au centuple : la mamie, une enfarinée de première, m’ouvrit, pensant qu’il s’agissait de sa précieuse petite fille. Elle me regarda d’un air étrange, signe que sa vue n’était pas si mauvaise que ça :

«Hé mamie, lançai-je sans me démonter, toujours calé sur les chuintements de la vilaine fermière, t’as vu mon costume d’halloween ?

- Il est super Emma, viens, entre donc, ta petite mamie a préparé une quiche à la courge. »

Je n’étais pas franchement décidé à être végétarien mais cette quiche à la courge m’étonnait : je pensais y trouver peut-être des morceaux de personnes débiles. En tant que loup surdoué, j’ai toujours eu du mal à détecter l’implicite et l’explicite, le premier degré et le second degré. Néanmoins, il y avait sans doute mieux à bouffer : cette vieille toute rabougrie avait quelques rondeurs, dommage que, nue, ses varices et ses mélanomes me coupassent l’appétit. Je décidai donc de la bâillonner un bon coup et de la remiser au placard, avec ses nippes sentant la naphtaline.

C’est alors que l’anorexique en rouge sonna ! Super, l’heure du repas, m'exclamai-je dans ma tête. Méticuleusement gentil, je remerciai la rachitique Emma de m’avoir apporté une canette de jus de couille de taureau (la boule rouge, pour les intimes) et des cookies premier prix. Après ce festin minimaliste, je lui proposai une petite sieste réparatrice : elle n’eut pas l’air surprise et me tendit un bédo. Mais quelle est donc cette jeunesse ? Et qu’est ce donc que ces vieux qui permettent tout ? Bref, peu importe, je comptais bien sur le pouvoir du bédo pour l’assouplir.

Une fois dans le lit, la fille en rouge, qui s’était mise à nu, et toute nue - beurk, je voyais les côtes ! - commença à me brancher, moi, sa grand-mère !

« Mamie, tu as la peau douce. Mamie, tu as des poils sympas comme les hipsters. Mamie, ta musculature est ferme, je vois que tu t’es mise à Just Dance. Mamie… »

Trop de mamie tue la mamie.

« C’est pour te faire plaisir, mon enfant, lui répondis-je, avec un sourire de loup.

- Oh, mamie, t’es la meilleure des mamies mais, oh, purée, mamie, tu as un sexe d’homme ? Et il est dur ! Plus gros, plus dur que celui de beau papa. Comment se fait-ce ? »

A cette question, je ne répondis rien, mais je lui permis d’user de ma protubérance turgide sans ombrage, ce qu’elle fit, à bonne école. Une fois les deux connasses fraichement décédées, je m’emparai de leurs téléphones et découvris que le macronisme, finalement, n’était pas si mauvais : on pouvait se nourrir d’autres choses que d’amour, d’eau fraiche et de steak congelé. Une photo de mes victimes atrophiées, à moitié dévorées, postée sur les réseaux sociaux, et je sentis que les gens m’aimaient, m’adulaient, me portaient aux nues : un nouveau monde s’ouvrait à moi, plein de nouvelles victimes. Du coup, empli de cette merveilleuse sagesse, je ne voyais plus rouge - et je me mis à l’autofiction.

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