Un accident dont elle lut le récit dans son journal, un matin, l’assomma. C’était le garçon du lycée. Elle ressentit sa mort comme un nouveau coup du destin. À l’entreprise Joly et fils où elle travaillait, elle se retrouverait aux premières loges pour assister à son enterrement. Elle se devait d’être là, aux funérailles de l’homme de sa vie. Elle devait pleurer un mort elle aussi. Ce qu’elle fit. Son fils aussi devait avoir des obsèques, un cercueil, une tombe. Elle avait le droit à une cérémonie. Elle insista auprès de son patron pour qu’elle ait lieu le même jour. Celle de Gabriel se déroula rapidement. Mathilde avait un autre enterrement auquel assister. Dans les couloirs de l’entreprise, il y avait de l’agitation. Il manquait du personnel, comme d’habitude. Elle ne devait pas travailler, c’était son jour de repos. Elle donna un coup de main, sans la moindre hésitation. Elle n’eut aucun mal à intervertir le cercueil vide de Gabriel en partance pour une crémation avec celui de Jacques.

   Sur le buffet de la salle, la photo de mariage semblait étrange. Les contours des joues de la mariée ne semblaient pas nets. Sa tête avait des proportions inhabituelles. Le collage était maladroit. Mathilde connaissait bien cette femme dont le visage était dissimulé sous son visage à elle. Elle était là, ce jour-là, célébrant les noces de Marina et Jacques dans une salle de la mairie de Doué. Elle avait pris sa place sur une photo de mariage qui n’était pas la sienne. Elle avait toujours voulu prendre la place de Marina, dès le lycée. Dans un cadre à droite, la photo d’un beau jeune homme en tenue de pêcheur. Sur le cliché, il souriait, un grand poisson dans les bras. À gauche de la photo du plus beau jour de sa vie, trônait un vase fermé en albâtre d’un joli vert nervuré. Avec une petite plaque portant l’inscription Jacques Legras. Près de l’urne funéraire, les clés d’une Mercedes.