Dix

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   Les saisons et les anniversaires se succédèrent. Ronan ne venait plus accompagner sa mère au cimetière. Il lui disait qu’il s’y rendait de son côté quand l’envie le prenait. C’était un mensonge. Il ne voyait plus l’intérêt de consacrer quelques minutes à cet endroit. Le trajet en bus ou en voiture lui paraissait trop long au regard du temps passé dans le cimetière. Il était prêt à faire des kilomètres pour aller à un concert. Mais écouter un chanteur qu’il aimait pendant deux heures lui semblait plus raisonnable. Son père n’était-il par partout avec lui, finalement ?

   Dans le bar, elle avait annoncé à ses clients les plus fidèles qu’elle allait quitter les lieux. L’un d’eux avait posé sur le comptoir une boîte de conserve sur laquelle était inscrit « Au revoir Marina ». Régulièrement on jetait une pièce à l’intérieur. Son patron n’avait pas l’air d’apprécier la démarche. D’autant qu’il avait galéré dans ses recherches pour recruter un nouvel employé. Depuis une semaine, Marina travaillait en tandem avec Mathilde. C’est elle qui allait lui succéder et elle semblait faire l’affaire. Marina avait mis en vente la maison. Elle avait déjà emporté à Luçon la majeure partie de ses meubles. Des acheteurs se succédaient mais ne faisaient pas encore de proposition. Doué-en-Anjou et sa dizaine de milliers d’habitants, bien que située à seize kilomètres de Saumur, n’étaient pas encore assez attractives à cette époque. Les prix de l’immobilier ne tarderaient pas évoluer quelques années plus tard. Et puis la maison de Marina était restée dans son jus. Jacques n’avait pas été un grand bricoleur et n’en avait guère eu le temps. Un homme poussa la porte du bar. Il commanda un Perrier avec une tranche de citron et alla s’asseoir dans un coin. Marina le remarqua immédiatement. Elle avait l’œil pour repérer immédiatement les nouveaux visages. Il resta longtemps, commanda d’autres boissons. Marina devait quitter son service pour sa pause du midi. Elle lui demanda de régler. Elle lui parla un peu trop sèchement, sous l’effet de la fatigue. Elle s’en voulut. Depuis quelque temps elle avait envie de tout envoyer balader et de n’en faire qu’à sa tête.

   Quelques minutes plus tard, elle dévorait une salade garnie de petits légumes crus et de fromage frais à une terrasse tandis qu’en face d’elle, l’homme dégustait une friture d’anguilles. Déjeuner avec un inconnu lui paraissait une idée tellement incongrue et c’était bien la première fois que cela lui arrivait. De cette manière. Il ne savait où aller pour casser la croûte. Elle lui avait conseillé ce petit restaurant, dépourvu de charme mais dont la cuisine rustique était un régal. Elle avait expliqué comment y aller, les rues à emprunter. Il aurait même pu s’y rendre à pied. L’homme répondait à côté, comme s’il était un parfait demeuré incapable de se rendre du point A au point B. À regret, elle l’avait emmené dans sa voiture. Il était séduisant. Elle voyait bien qu’il en abusait. Sous couvert de connaître une région qui lui était inconnue, il la harcela de questions. Elle le soupçonna d’être un journaliste en quête d’un sujet pour faire un papier dans un magazine. Un papier sur elle évidemment. Et sur Jacques. On lui avait déjà fait le coup. Elle avait eu des mots très durs à l’égard d’un type qui travaillait pour un grand journal qu’elle ne lisait jamais. Il avait eu le culot de sonner à sa porte. Elle l’avait copieusement insulté. L’homme en face d’elle se montra d’une gentillesse infinie. Il n’était pas du tout journaliste. Sur la défensive, elle s’efforça d’éluder les questions personnelles. Elle s’imagina être désagréable avec lui, volontairement, assez pour lui ôter toute envie de faire connaissance avec elle. Rencontrer un homme et nouer une relation avec lui alors qu’elle allait quitter le coin lui semblait stupide. Et surtout elle s’était mis en tête, comme une règle à respecter, qu’elle n’avait pas besoin de se trouver un compagnon. Les grands principes de la vie nous libèrent lorsque l’espace d’un instant on ne les respecte pas. Elle changea soudainement de posture, guidée par un remords. Qui était-elle pour se comporter avec autant de froideur face une personne aussi agréable ? Elle considéra l’homme et ce repas qu’ils partageaient comme un vrai moment de rencontre. Elle voulut tout savoir de ce qu’il était. Marina sut qu’elle reverrait. Elle en eut envie, animée par une espèce d’espoir.

   Ils se revirent à Luçon. Le hasard fit qu’il y habitait depuis une dizaine d’années. Il lui servit de guide et lui fit découvrir la ville et ses environs, le marais poitevin, la baie de l’Aiguillon, une sortie en mer sur le petit bateau qu’il possédait au port de la Faute-sur-Mer. Pendant les premiers mois de sa relation avec Michel, Marina résista à cet amour naissant. Elle ne parvenait pas à reconnaître qu’elle était amoureuse de lui. Une voix intérieure lui murmurait sans cesse que ce n’était pas possible. Elle chercha d’où lui venait cette barrière. Ronan ignorait tout des questions de sa mère. Lorsqu’il se rendait à Luçon, il voyait un couple, des gestes de tendresse, une vie à deux en apparence harmonieuse. Derrière la façade de leur amour, il n’avait aucune raison d’imaginer que se cachait une rupture inévitable. La mémoire de Jacques n’avait rien à voir dans l’esprit de Marina. Et puis un jour, Michel était parti pour quelques jours, elle se retrouva seule dans l’appartement, elle craqua, pleurant assise dans la cuisine. Cette solitude passagère lui fit comprendre combien elle aimait Michel et depuis cet instant, il ne fit plus aucun doute qu’elle voulait vivre le restant de ses jours avec lui.

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